Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 avril 2018, la préfète de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A...C...devant le tribunal administratif de Rouen.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- la décision n° C-36/17 du 5 avril 2017 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Valérie Petit, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. La préfète de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 5 mars 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 29 janvier 2018 par lequel la préfète de la Seine-Maritime a décidé du transfert de M. A...C..., ressortissant soudanais, aux autorités suisses.
Sur les motifs d'annulation retenus par le tribunal administratif :
2. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier du courrier du 15 novembre 2017 du ministère de l'intérieur adressé à la préfète de la Seine-Maritime, que la consultation du fichier Eurodac a fait apparaitre que M. A...C...avait été identifié par les autorités suisses comme demandeur d'asile le 17 mars 2014 et y avait obtenu la protection subsidiaire le 14 août 2015. Dès lors, et alors même que l'intéressé a d'abord déclaré n'avoir jamais demandé l'asile dans un autre pays et n'a pas produit de preuve aux services préfectoraux de ce qu'il a obtenu la protection subsidiaire, le préfet a commis une erreur de fait en mentionnant que M. A... C...n'établissait pas avoir obtenu la protection subsidiaire en Suisse. Par suite, la préfète n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé pour erreur de fait l'arrêté de transfert en litige.
3. D'une part, aux termes du paragraphe 1. de l'article 18 du règlement n° 604/2013 susvisé : " L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : a) prendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 21, 22 et 29, le demandeur qui a introduit une demande dans un autre État membre ; b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; c) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29 le ressortissant de pays tiers ou l'apatride qui a retiré sa demande en cours d'examen et qui a présenté une demande dans un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre " ; qu'aux termes de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat (...) ". Aux termes de l'article L. 723-11 du même code : " L'office peut prendre une décision d'irrecevabilité écrite et motivée, sans vérifier si les conditions d'octroi de l'asile sont réunies, dans les cas suivants : 1° Lorsque le demandeur bénéficie d'une protection effective au titre de l'asile dans un Etat membre de l'Union européenne (...). / (...)".
4. D'autre part, selon la décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 5 avril 2017 n° C-36/17, rendue sur renvoi préjudiciel, portant en particulier sur l'interprétation des articles 20 à 33 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " l'article 33 de la directive 2013/32 distingue clairement les cas dans lesquels une demande de protection internationale n'est pas examinée en application du règlement n° 604/2013, de ceux dans lesquels une telle demande peut être rejetée comme irrecevable parce qu'une " protection internationale a été accordée par un autre État membre ". Le législateur de l'Union a donc considéré que le rejet de la demande de protection internationale introduite par un ressortissant d'un pays tiers tel que celui en cause au principal devait être assuré par une décision d'irrecevabilité, en application de l'article 33 de cette directive, plutôt qu'au moyen d'une décision de transfert et de non-examen, en vertu de l'article 26 de ce règlement, ce qui entraîne un certain nombre de conséquences, en particulier sur les voies de recours ouvertes contre la décision de rejet ". Il en résulte qu'un demandeur d'asile ayant obtenu le bénéfice d'une protection internationale dans un des Etats membres de l'Union européenne ou un Etat associé, tel que la Suisse, n'entre pas dans le champ du règlement n° 604/2013 susvisé et ne peut donc faire l'objet d'une décision de transfert.
5. Il résulte de ce qui vient d'être dit aux points 3 et 4 que la préfète de la Seine-Maritime ne pouvait se fonder sur les dispositions du b au 1 de l'article 18 du règlement (UE) n°604/2013 en vertu desquelles l'Etat membre responsable est tenu de reprendre en charge le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre, ni même sur aucune autre disposition du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013. La préfète ne peut utilement soutenir que M. A...C...aurait perdu, selon elle, d'après la législation suisse, le bénéfice de la protection subsidiaire en raison du dépôt d'une demande d'asile en France. Par suite, la préfète n'est pas non plus fondée à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé pour erreur de droit l'arrêté de transfert en litige.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète de la Seine-Maritime n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 29 janvier 2018.
Sur les frais liés à l'instance :
7. M. A...C...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Me B...D..., sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la préfète de la Seine-Maritime est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros à Me B...D...au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E...A...C...et à Me B...D....
Copie en sera adressée pour information à la préfète de la Seine-Maritime.
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N°18DA00682
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