Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 29 mai 2018, M.B..., représenté par Me C... A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen du 30 mars 2018 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté du 14 février 2018 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Seine-Maritime de prendre en charge sa demande d'asile sans délai à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) d'admettre M. B...au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Valérie Petit, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
1. M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 3 mai 2018. Par suite, ses conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire sont devenues sans objet.
Sur la légalité de l'arrêté de transfert :
2. Aux termes de l'article 9 du règlement (UE) n°603/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Chaque État membre relève sans tarder l'empreinte digitale de tous les doigts de chaque demandeur d'une protection internationale âgé de 14 ans au moins et la transmet au système central dès que possible et au plus tard 72 heures suivant l'introduction de la demande de protection internationale telle que définie à l'article 20, paragraphe 2, du règlement (UE) n o 604/2013, accompagnée des données visées à l'article 11, points b) à g) du présent règlement. / Le non-respect du délai de 72 heures n'exonère pas les États membres de l'obligation de relever et de transmettre les empreintes digitales au système central. "
3. Il ressort des pièces du dossier que le relevé décadactylaire a été établi le 20 juillet 2017 par les services de la préfecture, soit le jour même de la demande d'asile de l'intéressé. Par suite, le moyen tiré du non-respect du délai de soixante-douze heures entre l'introduction de la demande d'asile et le relevé des empreintes digitales doit, en tout état de cause, être écarté.
4. M. B...ne peut utilement se prévaloir des énonciations du point 21 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013, qui préconisent que les résultats positifs obtenus dans Eurodac soient vérifiés par un expert en empreintes digitales qui ait reçu une formation, de manière à garantir la détermination exacte de la responsabilité au titre du règlement (UE) n° 604/2013 précité dès lors qu'elles n'ont pas de valeur juridique contraignante. En tout état de cause, le requérant n'apporte aucun début de commencement de preuve quant à ses allégations selon lesquelles la personne qui a procédé à la comparaison des empreintes n'aurait pas été qualifiée.
5. Aux termes de l'article 4 - Droit à l'information - du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 5 -Entretien individuel - de ce même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. 2. (...). 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. /(...) ".
6. Il ressort des pièces du dossier et notamment du compte rendu de l'entretien individuel qui s'est tenu 20 juillet 2017, que M. B...s'est vu remettre à cette occasion le guide du demandeur ainsi que les brochures A " j'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et B " je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce de cela signifie ' ". Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article 4 du règlement n°604/2013 doit, par suite, être écarté.
7. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que la confidentialité de l'entretien n'ait pas été respectée ni qu'il n'aurait pas été mené par une " personne qualifiée en vertu du droit national " au sens des dispositions de l'article 5 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.
8. Il ressort des pièces du dossier que la demande adressée par le préfet des Hauts-de-Seine aux autorités italiennes le 27 juillet 2017 a été transmise par l'intermédiaire du réseau de communication DubliNet, qui permet des échanges d'informations fiables entre les autorités nationales qui traitent les demandes d'asile. Ainsi, la copie de l'accusé de réception DubliNet versée aux débats par la préfète de la Seine-Maritime permet d'attester que les autorités italiennes ont été saisies de la demande de prise en charge de M. B...sur leur territoire. Dès lors que les autorités italiennes ont gardé le silence sur cette demande, elles sont réputées avoir donné leur accord implicite au terme du délai de réponse prévu par le règlement, comme en témoigne le " constat d'accord implicite " établi par la préfecture de la Seine-Maritime et transmis le 10 octobre 2017 aux autorités italiennes, sans que cette nouvelle transmission n'ait suscité de réaction de leur part. M. B...n'est, par suite, pas fondé à soutenir qu'il n'est pas démontré que la demande de prise en charge a bien été envoyée aux autorités italiennes et reçue par ces dernières.
9. Aux termes de l'article 13 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n o 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière "
10. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier de la demande adressée par les autorités françaises, que les autorités italiennes ont été saisies d'une prise en charge de M. B..., enregistré sous le numéro IT 2RG025OY, le chiffre " 2 " en début de numéro désignant les personnes interpellées lors du franchissement irrégulier d'une frontière en provenance d'un pays. L'unique circonstance que l'arrêté contesté mentionne dans son article 2 le terme de " reprise en charge " n'est ainsi pas de nature à entacher d'illégalité l'arrêté contesté.
11. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Aux termes de l'article 4 de la même charte : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, dont le paragraphe 1 stipule qu'" aucun des États contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques " ;
12. L'Italie étant membre de l'Union Européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption est toutefois réfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités italiennes répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
13. Par ses allégations, M. B...n'établit pas que la situation générale en Italie ne permettrait pas d'y assurer un niveau de protection suffisant aux demandeurs d'asile et que son transfert vers ce pays l'exposerait à un risque personnel de traitement inhumain ou dégradant. Il n'apporte aucun début de commencement de preuve quant à ses allégations sur les violences qu'il aurait subies lors du relevé de ses empreintes dans ce pays et ne fournit aucun élément sur les difficultés qu'il y aurait rencontrées. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que sa demande d'asile ne serait pas traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Par ailleurs, si M. B...fait valoir qu'il craint un refoulement en raison d'un accord bilatéral conclu entre l'Italie et le Soudan en août 2016, il ne verse au dossier, en tout état de cause, aucun élément permettant de regarder ses allégations sur l'éventualité d'un tel renvoi comme établies. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté aurait été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union et de l'article 33 de la convention de Genève doit être écarté.
14. Il ressort des pièces du dossier que l'entrée en France de M. B...est très récente et que, dépourvu de toute ressource propre et hébergé de façon précaire, il n'établit pas avoir de la famille sur le territoire national. La préfète de la Seine-Maritime n'a, par suite, pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation de la situation du requérant au regard des dispositions de l'article 17 du règlement n°604/2013 précité.
15. Pour les mêmes motifs qui viennent d'être exposés, le requérant n'est pas davantage fondé à soutenir que le préfet aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de son arrêté sur la situation personnelle de M.B....
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, assorties d'astreinte, ainsi que celles présentées au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle présentée par M.B....
Article 2 : La requête de M. B...est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...B..., au ministre de l'intérieur et à Me C... A....
Copie en sera adressée pour information à la préfète de la Seine-Maritime.
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N°18DA01082
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