Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 février 2019 et le 28 août 2019, l'association " Compagnie de la lune bleue ", représentée par Me B... A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner le département de la Somme à lui verser la somme de 238 211 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2016 et capitalisation de ces intérêts ;
3°) de mettre à la charge du département de la Somme la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. L'association " Compagnie de la lune bleue " organise et diffuse des spectacles. Elle a négocié une convention triennale d'objectifs pour les années 2015 à 2017 avec les personnes publiques qui la finançaient, à savoir la région Picardie, la communauté de communes de Haute Picardie et celle du pays Neslois et le syndicat mixte du pays de Santerre-Haut de Somme ainsi que le département de la Somme. Ce dernier a renoncé à signer cette convention. L'association lui a alors adressé, le 15 juillet 2016, une demande préalable d'indemnisation des préjudices résultant selon elle de ce défaut d'engagement. Faute de réponse, elle a saisi le tribunal administratif d'Amiens. Elle relève appel du jugement du 30 novembre 2018 de ce tribunal qui a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. L'association a fait valoir devant le tribunal administratif d'Amiens que la décision de refus de signer la convention triennale d'objectifs avait été prise trop tardivement par le département de la Somme et qu'il aurait ainsi engagé sa responsabilité à son égard. Devant la cour, elle indique que le juge de première instance n'a pas analysé ce moyen. Elle doit ainsi être regardée comme soulevant l'omission du tribunal administratif d'Amiens à se prononcer sur ce fait générateur de responsabilité. Le tribunal administratif a visé ce moyen mais il ne ressort pas du jugement qu'il y ait répondu, alors que ce moyen n'était pas inopérant. Par suite, l'association " Compagnie de la lune bleue " est fondée à soutenir que le tribunal administratif d'Amiens a omis de se prononcer sur un moyen qu'elle avait soulevé. Il s'ensuit que le jugement du 30 novembre 2018 doit être annulé. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par l'association " Compagnie de la lune bleue " devant le tribunal administratif d'Amiens.
Sur la responsabilité du département de la Somme :
En ce qui concerne le refus de soumettre la convention à l'approbation de la commission permanente :
3. D'une part, aux termes de l'article L. 3211-2 du code général des collectivités territoriales : " Le conseil départemental peut déléguer une partie de ses attributions à la commission permanente, à l'exception de celles visées aux articles L. 3312-1 et L. 1612-12 à L. 1612-15. ". Par sa délibération du 27 avril 2015, le conseil départemental a délégué à sa commission permanente, notamment le pouvoir " d'approuver les conventions, contrats, protocoles d'accord et leurs avenants éventuels dans le cadre de la mise en oeuvre des politiques votées par le conseil départemental ". D'autre part, aux termes de l'article 16 du règlement intérieur adopté également lors de la séance du conseil départemental du 27 avril 2015: " La commission permanente se réunit à l'initiative et sur convocation du président, ... ". Aux termes de l'article 17 de ce règlement : " Huit jours au moins avant la réunion de la commission permanente, le Président adresse aux conseillers départementaux un rapport, sous quelque forme que ce soit, sur chacune des affaires qui doivent leur être soumises, (...) A la demande du Président et sur décision prise à la majorité des membres présents des propositions de délibérations complémentaires peuvent être examinées. ".
4. Il résulte de ces dispositions que si la commission permanente doit nécessairement approuver les conventions avant leur signature par le président du conseil départemental, celui-ci, qui dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour fixer l'ordre du jour de la commission permanente, n'était pas tenu de soumettre à la délibération de la commission permanente, le refus de signer la convention triennale d'objectifs pour la période 2015-2017, proposée par l'association " Compagnie de la lune bleue ". Il doit ainsi être regardé comme ayant valablement opposé un refus de signer la convention au nom de la commission permanente. Par suite, les motifs d'illégalité invoqués par l'association appelante pour engager la responsabilité du département, à savoir l'incompétence de l'auteur de la décision, et l'erreur de droit tirée notamment de la méconnaissance du règlement intérieur du conseil départemental, ne peuvent qu'être écartés. L'association n'est donc pas fondée à soutenir que le département de la Somme a engagé sa responsabilité en refusant de soumettre au vote, la convention triennale d'objectifs.
5. La fixation de l'ordre du jour de la commission permanente ne rentre dans aucune des catégories de décisions qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Le département n'était donc pas tenu, suite à la demande formulée par l'association par courrier électronique du 27 juillet 2015, de communiquer les motifs de la décision de son président de ne pas inscrire à l'ordre du jour de la séance du 2 juillet 2015 de la commission permanente, ni ceux du refus de signer la convention triennale d'objectifs avec l'association " Compagnie de la lune bleue ". Sa responsabilité ne saurait en conséquence, en tout état de cause, être engagée de ce fait.
En ce qui concerne la promesse non tenue et l'incitation à démarrer un projet :
6. Si l'association appelante soutient que le département s'était engagé à signer la convention triennale, il ne ressort pas des pièces qu'elle produit l'existence d'assurances constantes et précises des responsables de cette collectivité en ce sens. Si lors d'une réunion de l'ensemble des partenaires, le 13 juin 2014, le chargé de mission " spectacle vivant " auprès du responsable du service culturel du département a indiqué que le département ne signerait pas la convention, si les communautés de communes et le pays renonçaient à leur engagement, il ne s'est pas pour autant engagé sur l'approbation de la convention en cas de participation de ces échelons de proximité. De même, si ce même chargé de mission a précisé dans un courrier électronique du 4 décembre 2014 que le projet de convention lui convenait et s'il a ensuite informé, par courrier électronique du 12 février 2015, l'association que la convention serait signée dès que la commission permanente l'aurait adoptée, faisant également mention des prochaines élections départementales, de tels échanges ne permettent pas d'établir un engagement ferme du département à signer la convention. Au surplus, la présidente de l'association reconnaît dans sa lettre ouverte du 27 juillet 2015 demandant les motifs du refus de soumettre la convention au vote, qu'elle a une portée symbolique. La convention telle qu'elle a été signée par les autres collectivités et établissements publics se contente en effet d'indiquer que chaque signataire " s'engage à participer au financement, sous réserve des crédits correspondants " et ne comporte donc pas d'engagements financiers fermes. Le préjudice réclamé n'est donc pas en tout état de cause, établi. Il résulte de ces éléments que l'association " Compagnie de la lune bleue " n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité du département de la Somme est engagée à son égard, en raison d'une promesse non tenue. Il n'est pas plus établi, compte tenu de ces mêmes éléments, que, comme le prétend l'association appelante, le département l'ait engagée à développer des projets ou à consentir des dépenses non prévues en raison de la signature future de la convention d'objectifs triennale.
En ce qui concerne l'erreur manifeste d'appréciation :
7. Si l'attribution d'une subvention par une personne publique ne constitue pas un droit, il appartient au juge administratif de contrôler qu'une telle décision n'est ni entachée d'erreur manifeste d'appréciation, ni prise dans un but étranger à l'intérêt général. L'association appelante se fonde sur la note stratégique sur la politique culturelle du département 2016-2020, qui cite l'action de la " Compagnie de la lune bleue " sur le Santerre pour soutenir que le département aurait dû signer la convention, il n'est pas contesté que cette note a débouché sur un appel à projets et non sur la mise en place de conventions pluriannuelles, le département ayant souhaité ne plus prendre d'engagement sur le long terme comme il l'a confirmé à l'association par un courrier du 21 juin 2016. Par ailleurs, ce souhait de ne pas prendre d'engagements sur le long terme afin de maîtriser la dépense publique constitue un motif qui n'est pas dénué de lien avec l'intérêt général. Par suite, l'association " Compagnie de la lune bleue " n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité du département de la Somme est engagée du fait de l'illégalité interne de la décision de ne pas signer la convention triennale d'objectifs.
En ce qui concerne la tardiveté de la décision :
8. Si l'association se plaint du comportement du département qui ne l'a informée par écrit de son refus de signer que par le courrier précité du 21 juin 2016, elle reconnaît, comme la présidente le mentionnait dans sa lettre ouverte déjà citée du 27 juillet 2015, qu'elle a été avertie dès le 20 juillet 2015, de ce refus. En outre, le chargé de mission " théâtre " du département a indiqué que la signature était mise en attente dans un courrier électronique du 29 septembre 2015, ce qui confirmait l'absence de signature immédiate. Au surplus, et alors qu'ainsi qu'il a été dit, la convention n'emporte pas d'engagements financiers fermes, l'association appelante ne démontre pas que le caractère tardif de la réponse officielle du département ait remis en cause les engagements des autres partenaires, ni ait mis en péril le fonctionnement de l'association, à laquelle le département de la Somme avait par ailleurs alloué une subvention de fonctionnement de 21 500 euros en 2015. Elle n'établit pas plus que cette absence de signature l'ait privée, comme elle le prétend, d'une perte de chances d'obtenir des financements d'autres partenaires, alors qu'il ressort des pièces du dossier que c'est le refus de l'Etat en 2014 de s'engager à nouveau sur une convention triennale qui est à l'origine des interrogations sur le devenir de la compagnie.
9. Il résulte de tout ce qui précède que les demandes de l'association " Compagnie de la lune bleue " doivent donc être rejetées, y compris ses conclusions dans la présente instance au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y lieu, en revanche, de mettre à la charge de cette association une somme de 500 euros, à verser au département de la Somme en application de ces dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 30 novembre 2018 est annulé.
Article 2 : La demande de l'association " Compagnie de la lune bleue " est rejetée.
Article 3 : L'association " Compagnie de la lune bleue " versera la somme de 500 euros au département de la Somme, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4: Le présent arrêt sera notifié à l'association " Compagnie de la lune bleue " et au département de la Somme.
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N°19DA00273
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