Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 30 mai 2019, 7 avril 2020, 3 septembre 2020 et 1er octobre 2020, Mme B..., représentée par Me F... H..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le maire de Sainghin-en-Weppes a refusé de lui accorder la protection fonctionnelle ;
3°) d'enjoindre à la commune de Sainghin-en-Weppes de lui accorder cette protection dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de condamner la commune de Sainghin-en-Weppes à lui verser la somme de 14 433,73 euros en réparation des préjudices subis en raison du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime, assortie des intérêts au taux légal, à compter du 6 juin 2016 et de la capitalisation des intérêts ;
5°) de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de l'instruction en cours sur sa plainte devant le juge pénal ;
6°) de mettre à la charge de commune de Sainghin-en-Weppes la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme G... A..., présidente de chambre,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,
- et les observations de Me D... E..., représentant la commune de Sainghin-en-Weppes.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... a été recrutée par la commune de Sainghin-en-Weppes, en qualité d'ingénieur territorial, à compter du 4 août 2014, pour occuper le poste de directeur des services techniques. Par un courrier du 18 avril 2016, elle a sollicité de son employeur le bénéfice de la protection fonctionnelle en raison d'agissements de harcèlement moral dont elle s'estime victime, lequel lui a été implicitement refusé. Par un autre courrier du 6 juin 2016, elle a sollicité l'indemnisation des préjudices subis du fait de ces mêmes agissements et réitéré sa demande de protection fonctionnelle. Par un courrier du 2 août 2016, le maire a refusé de faire droit à sa demande indemnitaire. Mme B... relève appel du jugement du 4 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Sainghin-en-Weppes à l'indemniser des préjudices résultant du fait du harcèlement moral qu'elle estime avoir subi et à l'annulation de la décision implicite de rejet du maire de Sainghin-en-Weppes de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 7 du code de justice administrative : " Un membre de la juridiction, chargé des fonctions de rapporteur public, expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu'elles appellent. ".
3. Il ressort du dossier de première instance que la magistrate, chargée des fonctions de rapporteur public lors de l'audience du 19 mars 2019, a présidé le conseil de discipline du 8 juin 2016 au cours duquel a été examinée la sanction d'exclusion temporaire de fonctions que la commune de Sainghin-en-Weppes envisageait de prendre à l'encontre de Mme B.... Cette magistrate a signé le 5 juillet 2016 la lettre de notification et le compte rendu de ce conseil de discipline. Les écritures de Mme B... devant le tribunal administratif de Lille se fondaient largement sur cette procédure disciplinaire. Les premiers juges se sont ainsi expressément référés, aux points 5 et 7 du jugement à ce compte rendu pour écarter certains faits invoqués par Mme B... au soutien de sa démonstration du harcèlement moral qu'elle subirait. Dans ces conditions, et alors même que la procédure disciplinaire était juridiquement distincte du litige dont était saisi le tribunal administratif, les circonstances de l'affaire faisaient obstacle à ce que, au nom du principe d'impartialité, cette magistrate exerce les fonctions de rapporteur public. Le jugement est ainsi entaché d'irrégularité. Mme B... est, par suite, fondée à demander l'annulation du jugement pour ce motif.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Lille.
Sur les conclusions indemnitaires fondées sur les faits de harcèlement moral :
5. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; : 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. ".
6. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
7. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.
8. Mme B... soutient avoir été victime de harcèlement moral de la part du directeur général des services de la commune, qui selon elle, a eu un comportement suspicieux, agressif et hostile à son égard. Il aurait interprété à tort le moindre de ses faits comme une remise en cause de son autorité. De nombreux agents et élus auraient été témoins de cette pression constante qu'elle subit et de sa surcharge de travail, l'ayant amenée notamment à devoir travailler lors de ses congés. Elle se serait notamment vu privée de tout accès à sa messagerie professionnelle lors de son congé maladie. Elle fait valoir que le maire a tardé également à prendre une décision sur l'imputabilité au service de sa pathologie, alors que la commission de réforme, qu'elle a, elle-même, dû finalement saisir en l'absence de réaction de la commune, s'est prononcée favorablement. Son état de santé se serait dégradé en raison de cet environnement professionnel.
9. Tout d'abord, il ne résulte pas de l'instruction que le directeur général des services aurait été agressif ou hostile à l'égard de Mme B.... Si lors d'une réunion il lui a demandé de se taire ou et aurait fait référence à elle en tant que chef de service et non comme directrice, il ressort toutefois de l'ensemble des échanges électroniques produits au dossier que le directeur général des services a toujours adopté un ton posé et courtois en proposant des solutions concrètes à Mme B.... Ainsi, alors que dans un courrier électronique du 6 juillet 2015 cette dernière l'alertait sur la surcharge de travail au sein de son service, en mettant en copie non seulement le maire mais également ses propres agents, le directeur général des services, qui ne nie pas la charge de travail pesant sur le service en raison notamment de plusieurs projets importants en cours dans la commune, lui a répondu de manière exhaustive, par écrit le 8 juillet 2015, après l'avoir reçue la veille, en lui prodiguant des conseils pour organiser et alléger son travail. Par ailleurs, si Mme B... fait valoir ne pas avoir pu prendre ses pauses déjeuner sans être sans cesse sollicitée notamment par les élus ou allègue avoir dû travailler lors de ses congés, il ne résulte pas de l'instruction que ces circonstances révèleraient des agissements constitutifs de harcèlement moral de la part du directeur général des services. Elle ne justifie avoir adressé qu'une seule fois à ses collègues un courrier électronique le premier jour de ses congés, faute d'avoir pu avant son départ donner ses consignes. Dans le cadre de ses fonctions, le directeur général des services pouvait, en outre, légitimement exiger d'elle un " bref récapitulatif " des dossiers en cours la veille de son départ en congés en vue de la continuité des services. Il n'a pas davantage excédé les limites de son pouvoir hiérarchique en lui rappelant qu'elle ne pouvait pas signer un bon de commande. Si elle prétend qu'il ne s'agissait que d'un accord technique, elle a toutefois signé ce bon avec la mention " bon pour accord ".
10. Ensuite, il ne résulte pas de l'instruction, en dépit de la mauvaise ambiance au sein des services, que Mme B... aurait subi " d'importantes pressions " et aurait été soumise à des exigences allant au-delà de ce qui peut être attendu d'un directeur des services techniques, ingénieur territorial principal. Les trois attestations de l'un des élus de la commune, qui allègue notamment que le directeur général des services souhaitait se " libérer des personnels en place ", et cherchait à " ternir l'image " de Mme B... s'inscrivent dans un contexte conflictuel avec le maire, qui lui a retiré sa délégation et le directeur général des services, qui a déposé une plainte pour injure contre cet élu. En outre, il résulte de l'instruction qu'à plusieurs reprises, Mme B... a remis en cause les décisions du maire, notamment s'agissant du non renouvellement du contrat d'un des agents du service technique. Elle a ainsi, en présence de cet agent, la conversation ayant été mise sur haut-parleur, fait part " de son étonnement " auprès du directeur général des services quant à la décision de l'autorité territoriale. Si Mme B... conteste également la mise en cause de son savoir être professionnel, même au sein de la précédente collectivité dans laquelle elle était affectée, il résulte notamment des différents comptes rendus d'évaluation de l'intéressée que des remarques lui avaient été déjà formulées sur son savoir être professionnel qualifié en 2011 de " en progression ", sur le respect de la hiérarchie en 2009, ou encore sur la vigilance à avoir en terme de diplomatie en 2012.
11. Mme B... soutient également que la procédure disciplinaire engagée à son encontre fin 2015, serait totalement injustifiée, s'inscrirait dans une logique de harcèlement moral et que la commune a d'ailleurs attendu plus de trois ans pour lui infliger, par un arrêté du 28 février 2020, une sanction d'exclusion temporaire de huit jours. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment des faits décrits au point 10 et de son absence non expliquée à plusieurs réunions hebdomadaires avec le directeur général des services, que Mme B... a méconnu le principe d'obéissance hiérarchique. Ce faisant, et alors même qu'une sanction n'a pu être prise qu'en février 2020 en raison de l'absence du service de Mme B... pour raisons de santé, l'autorité territoriale n'a pas excédé les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.
12. La circonstance que le syndrome anxio-dépressif dont souffre Mme B..., n'a pas été reconnu par la commune comme imputable au service, malgré l'avis favorable émis par la commission de réforme ne saurait suffire à caractériser un agissement constitutif de harcèlement moral. Si un délai important s'est écoulé entre sa demande d'imputabilité au service formulée en novembre 2017 et la tenue de la réunion de la commission de réforme le 24 mai 2019, il résulte de l'instruction et en particulier d'un courriel adressé le 7 décembre 2018 à Mme B... par la responsable des ressources humaines, que la commune lui avait demandé le 15 novembre 2017, son dossier avec un certificat médical de constat des lésions, le document produit ne permettant pas de saisir la commission de réforme. Aucun élément probant ne permet d'établir que la commune aurait sciemment tardé à présenter à la commission de réforme sa demande d'imputabilité au service de sa pathologie. Si Mme B... fait valoir également s'être vu empêcher de reprendre ses fonctions le 10 janvier 2020 en dépit de l'avis favorable à une reprise à mi-temps thérapeutique émis par le comité médical du 13 décembre 2019, cet avis consultatif ne lie pas l'administration. Par ailleurs, le maire a décidé par un arrêté du 10 janvier 2020 de maintenir Mme B... en congé de longue durée, dans l'attente du comité médical supérieur qu'il entendait saisir.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'apporte pas un faisceau d'indices suffisamment probants, susceptibles de faire présumer l'existence de faits de harcèlement moral. Ses conclusions indemnitaires présentées sur ce fondement doivent donc être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'annulation du refus implicite d'octroi de la protection fonctionnelle :
14. En premier lieu, ainsi que le fait valoir la commune de Sainghin-en-Weppes, Mme B... n'a soulevé en première instance aucun moyen de légalité externe à l'appui de ses conclusions d'annulation dirigées contre la décision implicite de rejet de sa demande de protection fonctionnelle. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de ce refus implicite doit être écarté comme irrecevable. Par ailleurs, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision du 2 août 2016 par laquelle le maire a rejeté sa réclamation indemnitaire préalable, devrait être regardée comme comportant une décision expresse de refus de protection fonctionnelle. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation d'une telle prétendue décision doit donc être également écarté.
15. En second lieu, aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : " [...] IV.- La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. [...] ".
16. Lorsqu'un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions, il incombe à la collectivité publique dont il dépend de le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui, dans la mesure où une faute personnelle détachable du service ne lui est pas imputable, de lui accorder sa protection dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales, sauf s'il a commis une faute personnelle, et, à moins qu'un motif d'intérêt général ne s'y oppose, de le protéger contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont il est l'objet.
17. Si la protection résultant du principe rappelé au point précédent n'est pas applicable aux différends susceptibles de survenir, dans le cadre du service, entre un agent public et l'un de ses supérieurs hiérarchiques, il en va différemment lorsque les actes du supérieur hiérarchique sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.
18. Ainsi qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 8 à 12, il ne ressort pas des pièces du dossier que les actes du directeur général des services ou du maire de Sainghin-en-Weppes seraient, par nature ou par leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. En l'absence d'agissements constitutifs de harcèlement moral imputables au directeur général des services ou de manière générale à la commune, le maire n'a pas méconnu les dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 en refusant implicitement à Mme B... le bénéfice de la protection fonctionnelle.
19. Le présent arrêt qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la requête n'implique aucune mesure d'injonction. Par suite, les conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.
20. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer, que Mme B... n'est pas fondée à demander ni la condamnation de la commune de Sainghin-en-Weppes à lui verser la somme de 51 884 euros, ni l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande de protection fonctionnelle.
Sur les frais liés à l'instance :
21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Sainghin-en-Weppes, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que Mme B... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce et sur le fondement de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de Mme B... la somme demandée par la commune de Sainghin-en-Weppes au même titre.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : La demande de Mme B... devant le tribunal administratif de Lille et le surplus de ses conclusions devant la cour sont rejetés.
Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Sainghin-en-Weppes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et à la commune de Sainghin-en-Weppes.
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N°19DA01253
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