Par une requête, enregistrée le 17 mars 2020, M. E..., représenté par Me D... F..., demande à la cour :
1°) d'ordonner avant dire droit la production par l'office français de l'immigration et de l'intégration de son entier dossier médical ;
2°) d'annuler ce jugement ;
3°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté du 15 janvier 2019 ;
4°) d'enjoindre au préfet de l'Eure de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou à défaut de lui délivrer, dans un délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir et sous la même astreinte, une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen de sa situation ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'ordonnance n°2005-1516 du 8 décembre 2005 ;
- le décret n°2010-112 du 2 février 2010 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 5111 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme H... A..., présidente de chambre,
- et les observations de Me B... G..., représentant M. E....
Considérant ce qui suit :
1. M. C... E..., ressortissant arménien né le 13 février 1950, serait, selon ses déclarations, entré en France en décembre 2016, en compagnie de son épouse et de son fils. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision du 27 novembre 2017 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmée par une décision du 29 juin 2018 de la Cour nationale du droit d'asile. Il a ensuite sollicité un titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 15 janvier 2019, le préfet de l'Eure a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office. M. E... relève appel du jugement du 19 septembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la décision de refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, la décision contestée comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit sur lesquelles elle se fonde. Le préfet, qui n'avait pas à viser toutes les circonstances de fait de la situation de M. E..., a cité les éléments pertinents qui fondent sa décision Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 5111 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis, conformément au modèle figurant à l'annexe C du présent arrêté (...). Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle. L'avis émis à l'issue de la délibération est signé par chacun des trois médecins membres du collège ". Il ressort des pièces du dossier que l'avis du collège de médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration du 14 novembre 2018 porte la mention : " Après en avoir délibéré, le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration émet l'avis suivant ". Cette mention fait foi jusqu'à preuve du contraire. La circonstance mise en avant par M. E... que l'avis ne permet pas de savoir si le collège de médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration a délibéré physiquement ou éventuellement au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle, expressément autorisée par l'article 6 précité, n'est pas de nature à remettre en cause le caractère collégial de l'avis. Par suite, le moyen tiré d'un défaut de collégialité de l'avis doit être écarté.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article 9 de l'ordonnance du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives : " I. - Un référentiel général de sécurité fixe les règles que doivent respecter les fonctions des systèmes d'information contribuant à la sécurité des informations échangées par voie électronique telles que les fonctions d'identification, de signature électronique, de confidentialité et d'horodatage. Les conditions d'élaboration, d'approbation, de modification et de publication de ce référentiel sont fixées par décret. / II. - Lorsqu'une autorité administrative met en place un système d'information, elle détermine les fonctions de sécurité nécessaires pour protéger ce système. Pour les fonctions de sécurité traitées par le référentiel général de sécurité, elle fixe le niveau de sécurité requis parmi les niveaux prévus et respecte les règles correspondantes. Un décret précise les modalités d'application du présent II. / III. (...) ". Aux termes de l'article 1er du décret du 2 février 2010 pris pour l'application des articles 9, 10 et 12 de l'ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives : " Le référentiel général de sécurité prévu par l'article 9 de l'ordonnance du 8 décembre 2005 susvisée fixe les règles auxquelles les systèmes d'information mis en place par les autorités administratives doivent se conformer pour assurer la sécurité des informations échangées, et notamment leur confidentialité et leur intégrité, ainsi que la disponibilité et l'intégrité de ces systèmes et l'identification de leurs utilisateurs. / Ces règles sont définies selon des niveaux de sécurité prévus par le référentiel pour des fonctions de sécurité, telles que l'identification, la signature électronique, la confidentialité ou l'horodatage, qui permettent de répondre aux objectifs de sécurité mentionnés à l'alinéa précédent. / La conformité d'un produit de sécurité et d'un service de confiance à un niveau de sécurité prévu par ce référentiel peut être attestée par une qualification, le cas échéant à un degré donné, régie par le présent décret ".
5. Il ressort des pièces du dossier que l'avis du collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration est revêtu des signatures électroniques des trois médecins qui en sont membres. D'une part, cet avis n'entre pas dans le champ d'application de l'article L. 212-3 du code des relations entre le public et l'administration dont le respect ne s'impose qu'aux décisions administratives. D'autre part, en se bornant à soutenir que les conditions dans lesquelles ont été apposées les signatures électroniques ne permet pas de s'assurer de l'intégrité du procédé de signature électronique auquel les médecins signataires ont eu recours, sans expliquer en quoi ce procédé aurait méconnu les orientations du référentiel général de sécurité instauré par les dispositions précitées, M. E... n'apporte pas les précisions suffisantes permettant d'apprécier le bien-fondé du moyen soulevé. Par suite, sans qu'il soit besoin de demander la production des fiches de l'application " Themis " le moyen tiré de ce que l'avis du collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration serait entaché d'une irrégularité doit être écarté.
6. En quatrième lieu, il ne résulte ni de la motivation de la décision en litige, ni d'aucune autre pièce du dossier, que le préfet de l'Eure, qui ne s'est nullement cru à tort lié par l'avis du collège de médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration, n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. E.... Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen de la situation particulière de l'intéressé doit être écarté.
7. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...) ".
8. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.
9. Il ressort des pièces du dossier que l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 14 novembre 2018, sur lequel le préfet s'est notamment fondé, indique que l'état de santé de M. E... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité mais qu'il peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine et que son état de santé lui permet de voyager sans risque vers son pays d'origine.
10. M. E... fait valoir avoir subi un triple pontage coronarien en janvier 2017 et être atteint de polyarthrose, d'une cardiopathie ischémique, d'un syndrome néphrotique, de diabète, d'hypertension artérielle et de prostatite. Si les ordonnances médicales versées au dossier établissent que de nombreuses molécules lui sont administrés, cette circonstance n'est toutefois pas suffisante, à elle seule, pour établir qu'il ne pourrait pas effectivement recevoir ses soins en Arménie alors qu'au demeurant, que le préfet de l'Eure a précisé quels étaient les médicaments équivalents disponible an Arménie. Par ailleurs, la circonstance que le préfet n'a pas communiqué la fiche relative à l'Arménie contenue dans la bibliothèque d'information santé sur le pays d'origine (BISPO) qui aurait été utilisée par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration pour émettre son avis, est sans incidence sur la légalité de la décision en litige, dès lors qu'aucune disposition ni aucun principe n'impose une telle communication préalablement à l'intervention d'une décision de refus de titre de séjour. Par suite, sans qu'il soit besoin que l'administration produise les documents sur lesquels le collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration s'est fondé, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
11. M. E... fait état de la présence en France de son épouse, de son fils et de sa fille, qui est titulaire d'un titre de séjour au titre de la protection subsidiaire. Toutefois, il n'est présent en France que depuis un peu plus de trois ans à la date de la décision en litige. Son épouse et son fils se trouvent également en situation irrégulière en France. Le requérant n'établit pas qu'il serait isolé en cas de retour dans son pays de d'origine où il a vécu au moins jusqu'à l'âge de soixante soixante-six et où réside encore un de ses fils. Dès lors, compte tenu des conditions et de la durée du séjour en France de l'intéressé, le préfet de l'Eure n'a pas porté à son droit au respect de la vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels la décision a été prise et n'a pas par suite méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes raisons, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qu'aurait commise le préfet quant aux conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressé doit également être écarté.
12. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 13 que M. E... n'est pas fondé à soutenir que la décision de refus de titre de séjour est entachée d'illégalité.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
13. En application des dispositions du 3° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'obligation de quitter le territoire français qui assortit une décision de refus de titre de séjour, n'a pas à faire l'objet d'une motivation en fait distincte de celle de cette décision. Elle est, en l'espèce, suffisamment motivée. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
14. Le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé dans son avis du 14 novembre 2018 que l'état de santé de l'intéressé pouvait lui permettre de voyager sans risque vers son pays d'origine. M. E... se prévaut d'un certificat médical de son médecin généraliste daté du 5 mars 2019 qui fait état d'une contre-indication à prendre l'avion " surtout depuis quelques semaines ". Une telle contre-indication ne serait avérée que postérieurement à l'acte attaqué et en tout état de cause, ce certificat ne suffit à lui seul à remettre en cause l'appréciation portée par le collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration sur ce point. Le nouveau certificat du même médecin daté du 7 août 2020, qui indique qu'il ne peut pas voyager surtout en avion compte tenu de l'aggravation de son état clinique, est également bien postérieur à la décision en litige. Dès lors, et eu égard à ce qui a été énoncé aux points 3 et 6, les moyens tirés de l'absence de saisine du collège de médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration sur la compatibilité de l'état de santé de M. E... avec la mesure d'éloignement et de l'irrégularité de son avis ne peuvent qu'être écartés.
15. Il résulte de ce qui a été dit au point 12 que M. E... n'est pas fondé à invoquer, par la voie de l'exception, l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour.
16. Il ne ressort pas des pièces du dossier, que le préfet de l'Eure n'aurait pas procédé non plus à un examen particulier de la situation de M. E... avant d'édicter la mesure d'éloignement en litige Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen de la situation particulière de l'intéressé doit être écarté.
17. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ". Il résulte de ce qui est énoncé au point 9 que les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'erreur manifeste d'appréciation ne peuvent qu'être écartés.
18. Il résulte de ce qui a été dit aux points 13 à 17, que M. E... n'est pas fondé à soutenir que la décision l'obligeant à quitter le territoire est entachée d'illégalité.
Sur la décision fixant le pays de destination :
19. La décision en litige énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde. Dès lors, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
20. M. E... fait valoir qu'il encoure des risques de persécutions de la part de groupes criminels. Toutefois, il n'apporte aucune pièce probante à l'appui de ses allégations. Au demeurant, sa demande d'asile a été rejetée tant par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides que par la Cour nationale du droit d'asile. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 512-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.
21. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en fixant le pays de destination, le préfet de l'Eure ait fait une appréciation manifestement erronée des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressé.
22. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner, avant dire droit de produire l'entier dossier médical, que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, assorties d'astreinte, ainsi que celles présentées au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E..., au ministre de l'intérieur et à Me D... F....
Copie sera adressée pour information au préfet de l'Eure.
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N°20DA00504
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