Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 septembre 2019 et des mémoires enregistrés les 22 et 24 mars 2021 ainsi qu'un mémoire enregistré le 4 mai 2021 et non communiqué, M. C..., représenté par Me E... G..., demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 1 à 4 de ce jugement ;
2°) de condamner la Poste à lui verser la somme de 84 738,53 euros ;
3°) de mettre à la charge de la Poste, la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 2007-1333 du 10 septembre 2007 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public ;
- et les observations de Me E... G... pour M. C... et de Me D... B... pour la Poste.
Considérant ce qui suit :
1. M. F... C..., agent professionnel qualifié de la Poste, exerce les fonctions de facteur à l'unité de distribution de Desvres dans le Pas-de-Calais. A la suite d'un accident survenu le 25 juin 2015, causé par le véhicule professionnel qu'il conduisait et au cours duquel une personne est tombée sur la chaussée, il a été suspendu de ses fonctions puis a fait l'objet d'une sanction d'exclusion temporaire de fonctions de trois mois dont deux avec sursis. Le tribunal administratif de Lille, par un jugement devenu définitif du 12 décembre 2018 a rejeté sa demande d'annulation pour excès de pouvoir de cette sanction. M. C... a par ailleurs formulé une demande indemnitaire pour les préjudices résultant de l'illégalité de sa suspension et des fautes de la Poste dans la gestion de sa carrière. Le tribunal administratif de Lille, par un jugement du 10 juillet 2019, a fait partiellement droit à sa demande en condamnant la Poste à lui verser la somme de 1 900 euros. M. C... relève appel de ce jugement. La Poste par la voie de l'appel incident demande également l'annulation du jugement en tant qu'il l'a condamnée à indemniser M. C....
Sur la responsabilité :
En ce qui concerne l'absence de progression de carrière de M. C... :
2. M. C... recherche d'abord la responsabilité de la Poste en raison de son absence de progression de carrière. Toutefois, la promotion de grade ne constitue pas un droit. Or, les fiches de notation produites pour la première fois en appel indiquent que sa valeur professionnelle a été appréciée en 2011 et de 2013 à 2015 comme correspondant aux exigences du poste et non comme largement supérieure. La seule circonstance qu'il n'ait pas été noté en 2012, comme il l'affirme sans que la Poste produise cette fiche d'évaluation, ne suffit pas à démontrer qu'il a été privé d'une chance sérieuse d'être promu. Si la Poste produit pour la première fois en appel une proposition de promotion au titre de la reconnaissance de l'expérience professionnelle, le 11 octobre 2010, cette proposition qui se borne à noter une bonne valeur professionnelle et des acquis de l'expérience professionnelle adaptés, ne saurait constituer un engagement de sa hiérarchie à ce que l'intéressé soit promu. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, M. C... n'est pas fondé à soutenir que la Poste aurait commis une faute dans la gestion de sa carrière, comme l'a jugé à bon droit, le tribunal administratif de Lille.
En ce qui concerne le harcèlement moral :
3. M. C... demande ensuite à ce que la Poste soit condamnée à réparer le préjudice résultant du harcèlement moral que son employeur lui a fait subir.
4. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. ". Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.
5. L'appelant invoque à nouveau la procédure disciplinaire engagée à son encontre alors que le tribunal administratif de Lille, par un jugement devenu définitif du 12 décembre 2018, a confirmé la légalité de la sanction en écartant tous les moyens soulevés par M. C... qu'il reprend cependant à l'appui de son argumentation sur le harcèlement moral, tels que la partialité de la procédure, l'absence de matérialité des faits, l'erreur de qualification juridique des faits et l'erreur d'appréciation. Par suite, compte tenu des motifs du jugement du 12 décembre 2018 et M. C... ne faisant pas état de moyens nouveaux de nature à établir l'illégalité fautive, les faits relatifs à la procédure disciplinaire ne peuvent être considérés comme laissant présumer des agissements de harcèlement moral.
6. Par ailleurs, M. C... soutient que la tournée qui lui a été affectée à compter de juin 2011 est trop chargée et que le contrôle de son supérieur est excessif. Il ne produit toutefois à l'appui de ses dires que trois déclarations faites par ses soins sur le registre d'hygiène et de sécurité de l'établissement qui ne suffisent pas à établir le caractère dangereux de ses fonctions ou le harcèlement de son chef. Si l'appelant allègue que la tournée dont il est chargé lui a été attribuée à la suite de sa protestation contre son refus de promotion, il reconnaît par ailleurs que sa précédente tournée a été supprimée. Si M. C... soutient qu'il n'a pu postuler sur l'attribution d'une nouvelle tournée qui a été décidée pendant sa période de suspension, il résulte de l'instruction que cette réorganisation a été décidée dans l'intérêt du service pour s'adapter aux évolutions du volume de courrier distribué, et non pour des raisons tenant au comportement de M. C.... Par ailleurs, ses remarques dans le registre d'hygiène et de sécurité ont été prises en compte, comme le démontre notamment la compensation de cinquante-trois minutes journalières que l'appelant a obtenu du fait de la charge de sa tournée. De même, si de nombreuses demandes d'explications à M. C... par ses supérieurs successifs, ont été produites au cours de la procédure disciplinaire et sont à nouveau produites par l'intéressé pour laisser présumer qu'il subit des faits de harcèlement moral, ces demandes sont toutes motivées par le comportement de M. C... caractérisé par exemple par son absence de réponse lors d'une visite médicale de contrôle ou par le transport de personnes dans le véhicule postal. Enfin, si M. C... se plaint de la dégradation de son état de santé résultant de l'attitude de son employeur, il se borne à produire un certificat de son médecin traitant du 22 décembre 2016 demandant au médecin du travail de le recevoir pour envisager l'adaptation de son poste de travail et une attestation d'une psychologue indiquant que M. C... la consulte régulièrement et que ces séances sont prises en charge par la Poste depuis 2017, contrairement d'ailleurs à ce que soutient l'appelant. Compte tenu de ces éléments, M. C... n'est pas fondé à soutenir qu'il subit des agissements faisant présumer un harcèlement moral, comme l'a jugé à bon droit le tribunal administratif de Lille.
En ce qui concerne l'attitude de la Poste à l'égard de M. C... :
7. Si l'appelant se plaint du " mauvais vouloir " de la Poste en indiquant que la procédure disciplinaire a duré onze mois et que la Poste n'a pas répondu à ses réclamations, il n'apporte en tout état de cause aucune précision, ni aucun élément quant à ses demandes qui seraient restées sans réponse. S'agissant de la procédure disciplinaire, ainsi qu'il a été dit, la légalité de la sanction et de la procédure a été confirmée par le tribunal administratif de Lille par son jugement définitif du 12 décembre 2018 mentionné au point 5.
En ce qui concerne l'illégalité fautive de la décision de suspension :
8. Par la voie de l'appel incident, la Poste soutient que les faits étaient d'une gravité suffisante pour justifier la suspension de M. C..., contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Lille.
9. Aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dans la rédaction applicable à la date des décisions de suspensions : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. Si, à l'expiration de ce délai, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, l'intéressé, sauf s'il est l'objet de poursuites pénales, est rétabli dans ses fonctions. ". La mesure de suspension prévue par ces dispositions est une mesure à caractère conservatoire, prise dans le souci de préserver l'intérêt du service, qui peut être prononcée lorsque les faits imputés à l'intéressé présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité, au vu des informations dont disposait effectivement l'autorité administrative au jour de sa décision. Les éléments nouveaux qui seraient, le cas échéant, portés à la connaissance de l'administration postérieurement à sa décision, ne peuvent ainsi, alors même qu'ils seraient relatifs à la situation de fait prévalant à la date de l'acte litigieux, être utilement invoqués au soutien d'un recours en excès de pouvoir contre cet acte. L'administration est en revanche tenue d'abroger la décision en cause si de tels éléments font apparaître que la condition tenant à la vraisemblance des faits à l'origine de la mesure n'est plus satisfaite.
10. Il résulte de l'instruction que M. C... a, le 25 juin 2015, reculé sur le côté gauche de la chaussée dans une rue en sens interdit et qu'un piéton se trouvant derrière le véhicule a fait une chute sur la voie publique au moment où a été réalisée cette manoeuvre. Ainsi, aux dates où les suspensions ont été prononcées les 26 et 29 juin 2015 et compte tenu des éléments dont disposait alors la Poste, qui seuls doivent être pris en compte, les faits présentaient un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité de nature à justifier une mesure de suspension. Par suite, la Poste est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a retenu l'illégalité fautive de la mesure de suspension en raison du caractère insuffisamment grave des faits imputés à M. C.... Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif de Lille quant au caractère fautif de la décision de suspension.
11. En première instance, M. C... peut être regardé comme invoquant également l'illégalité fautive de la suspension en faisant valoir que sa durée était excessive et constituait un détournement de procédure pour l'écarter du service. Il résulte de l'instruction que la décision de suspension du 29 juin 2015 comprenait en annexe les dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983, rappelées au point 9. Cette annexe précisait que la suspension prenait effet le lendemain de sa notification. Il résulte également de l'instruction que cette décision a été notifiée à M. C... le 3 juillet 2015. La décision de suspension a donc pris fin le 4 novembre 2015. Eu égard aux éléments portés à sa connaissance le 3 juillet 2015, l'intéressé était informé que cette mesure ne pouvait se prolonger au-delà de la durée de quatre mois mais il n'a pas repris son service à l'issue de cette période. Par ailleurs, il ne résulte d'aucune disposition législative ou règlementaire, ni d'aucun principe jurisprudentiel que la Poste qui ne pouvait prolonger la durée de suspension, en l'absence de poursuites pénales au-delà de son terme de quatre mois, devait inviter son agent à reprendre son service à l'issue de cette suspension. En tout état de cause, ainsi que le soutient la Poste sans être contredite sur ce point, il ne résulte pas de l'instruction que l'intéressé ait contacté son service pour s'informer de sa situation à l'issue des quatre mois. M. C... n'est donc pas fondé à soutenir que l'illégalité fautive de la durée de suspension engage la responsabilité de la Poste.
En ce qui concerne l'absence d'évaluation pour l'année 2012 :
12. Aucun des préjudices dont M. C... demande réparation n'a de lien direct avec l'absence d'évaluation pour l'année 2012, illégalité retenue par le jugement du tribunal administratif de Lille du 10 juillet 2019 et qui n'est pas contestée par la voie de l'appel incident.
13. Il résulte de tout ce qui précède que les demandes de M. C... devant le tribunal administratif de Lille, comme en cause d'appel doivent être rejetées et que la Poste est fondée, par la voie de l'appel incident à soutenir que le jugement du tribunal administratif de Lille du 10 juillet 2019 doit être annulé.
Sur les frais liés à l'instance :
14. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Poste, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. C... demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions de M. C... au même titre.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 10 juillet 2019 est annulé.
Article 2 : Les demandes de M. C... devant le tribunal administratif de Lille et devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de la Poste tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Me E... G... pour M. F... C... et à Me A... H... pour la Poste.
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N°19DA02171
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