Par une requête, et un mémoire enregistré le 29 décembre 2020 et le 28 avril 2021, M. E... D..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler les décisions du 27 décembre 2019 par lesquelles le préfet du Pas-de-Calais l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français avant l'expiration du délai de trois ans ;
3°) d'enjoindre au préfet de procéder au réexamen de sa situation sous couvert d'un titre de séjour provisoire l'autorisant à travailler sous astreinte de 155 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros qu'il versera à son conseil en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet du Pas-de-Calais par un arrêté du 27 décembre 2019 a contraint M. D..., ressortissant de nationalité tunisienne, à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français avant l'expiration du délai de trois ans. Par un jugement du 23 juin 2020 le tribunal administratif de Lille a notamment rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 27 décembre 2019 du préfet du Pas-de-Calais. M. D... en relève appel.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative :" La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. ". Aux termes de l'article R. 776-2 du même code : " II.-Conformément aux dispositions du II de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la notification par voie administrative d'une obligation de quitter sans délai le territoire français fait courir un délai de quarante-huit heures pour contester cette obligation et les décisions relatives au séjour, à la suppression du délai de départ volontaire, au pays de renvoi et à l'interdiction de retour ou à l'interdiction de circulation notifiées simultanément. Cette notification fait courir ce même délai pour demander la suspension de l'exécution de la mesure d'éloignement dans les conditions prévues à l'article L. 743-3 du même code. ". Aux termes de l'article R. 776-5 du code précité : " II. - Les délais de quarante-huit heures mentionnés aux articles R. 776-2 et R. 776-4 et les délais de quinze jours mentionnés aux articles R. 776-2 et R. 776-3 ne sont susceptibles d'aucune prorogation. Lorsque le délai est de quarante-huit heures ou de quinze jours, le second alinéa de l'article R. 411-1 n'est pas applicable et l'expiration du délai n'interdit pas au requérant de soulever des moyens nouveaux, quelle que soit la cause juridique à laquelle ils se rattachent. Le requérant qui, dans le délai de quarante-huit heures ou de quinze jours selon les cas, a demandé l'annulation de l'une des décisions qui lui ont été notifiées simultanément peut, jusqu'à la clôture de l'instruction, former des conclusions dirigées contre toute autre de ces décisions. ". Aux termes de l'article R. 776-26 du code de justice administrative, applicable à l'espèce par renvoi des articles R. 776-13-1 et R. 776-13-2 du même code : " L'instruction est close soit après que les parties ont formulé leurs observations orales, soit, si ces parties sont absentes ne sont pas représentées, après appel de leur affaire à l'audience.
3. La requête de M. D..., détenu en maison d'arrêt, présentée devant le tribunal administratif de Lille le 27 décembre 2019, accompagnée de la copie de la notification de l'arrêté en litige du 27 décembre 2019, puis complétée par mémoire du 4 juin 2020, déposé avant clôture de l'instruction, comportait des conclusions clairement identifiables et l'énonciation des moyens de droit et de fait sur lesquels elle se fonde pour demander l'annulation de l'arrêté en litige du 27 décembre 2019. Par suite, M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté pour irrecevabilité sa requête.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Lille, sans qu'il y ait lieu de renvoyer l'examen de sa requête aux premiers juges, ainsi qu'il le sollicite.
Sur la fin de non-recevoir opposée par le préfet du Pas-de-Calais :
5. Il ressort des pièces du dossier que la requête présentée devant le tribunal administratif de Lille le 27 décembre 2019 par M. D..., incarcéré à la maison d'arrêt de Béthune, lequel n'a par ailleurs, à cette occasion, pas bénéficié de l'assistance d'un avocat, comporte des conclusions aux fin d'annulation de l'arrêté du 27 décembre 2019 qui lui a été notifié. Par mémoire complémentaire de son conseil du 4 juin 2020 il a développé l'énonciation des moyens de droit et de fait sur lesquels il se fonde pour demander l'annulation de l'arrêté contesté. Par suite, la fin de non-recevoir opposée en défense par le préfet du Pas-de-Calais doit être écartée.
Sur le moyen commun à toutes les décisions :
6. Eu égard au caractère réglementaire des arrêtés de délégation de signature, soumis à la formalité de publication, le juge peut, sans méconnaître le principe du caractère contradictoire de la procédure, se fonder sur l'existence de ces arrêtés alors même que ceux-ci ne sont pas versés au dossier. Par un arrêté du 18 décembre 2017, publié le même jour au recueil spécial n° 121 des actes administratifs de la préfecture du Pas-de-Calais, le préfet du Pas-de-Calais a donné délégation à M. C... A..., chef du bureau de l'éloignement, à l'effet de signer notamment les décisions contestées. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté en litige doit être écarté.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
7. L'arrêté attaqué comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Le préfet, a ainsi cité tous les éléments pertinents qui fondent sa décision. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
8. En premier lieu, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ".
9. Il ressort des pièces du dossier que M. D... a été entendu par les services de police le 8 janvier 2019. Il a été informé qu'il était susceptible de faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français et qu'il pouvait formuler ses observations. Il ressort du procès-verbal du 8 janvier 2019 qu'il a indiqué ne pas avoir d'observations à formuler. Il a ainsi été mis en mesure, à cette occasion, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il jugeait utiles, et notamment celles de nature à permettre à l'administration d'apprécier son droit au séjour. En outre, il n'est pas établi que l'intéressé aurait disposé d'autres informations tenant à sa situation personnelle qu'il aurait été empêché de porter à la connaissance de l'administration avant que ne soit prise à son encontre la mesure contestée et qui, si elles avaient pu être communiquées à temps, auraient été de nature à faire obstacle à l'édiction d'une telle mesure. Ainsi, la procédure suivie par le préfet du Pas-de-Calais n'a pas porté atteinte au principe fondamental du droit d'être entendu tel qu'énoncé par l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu tel que garanti par le principe général du droit de l'Union européenne doit être écarté.
10. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Pas-de-Calais n'aurait pas examiné sérieusement la situation personnelle du requérant. Le moyen tiré du défaut d'examen sérieux de la situation personnelle de M. D... doit être écarté.
11. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / (...) / 6° L'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ; (...) ". Si M. D... produit des tickets de caisse et factures faisant état d'achats pour des enfants, ces pièces datent essentiellement de l'année 2017 ou 2018, et pour les deux plus récentes de mars 2019. Il n'apporte pas d'éléments suffisamment probants, qui ne seraient pas que purement ponctuels ou anciens, permettant d'établir qu'il contribue effectivement financièrement, à hauteur de ses moyens, à l'entretien de ses enfants depuis 2019. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
12. En quatrième lieu, M. D... fait valoir être parent de deux enfants français que la décision contestée va priver de la présence de leur père. Il ressort des pièces du dossier que M. D... a été condamné, à trois reprises, pour violences sur mineur et sur sa concubine. Il ne justifie pas de relations professionnelles ou sociales d'une particulière intensité sur le territoire national. M. D... n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, où il a vécu pendant dix-sept ans et où résident sa mère, ses frères et sa soeur. Il a d'ailleurs déclaré lors de son audition, être en contact régulier avec sa mère. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la décision sur sa situation personnelle doivent être rejetés. Eu égard à ce qui a été dit de la violence de l'appelant qui ne justifie pas contribuer effectivement financièrement, à hauteur de ses moyens à l'entretien de ses enfants, la décision contestée ne méconnait pas plus les stipulations du point 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Sur les décisions refusant un délai de départ volontaire et le pays de destination :
13. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose notamment que : " (...) / II. Pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l'étranger dispose d'un délai de trente jours à compter de sa notification et peut solliciter, à cet effet, un dispositif d'aide au retour dans son pays d'origine. Eu égard à la situation personnelle de l'étranger, l'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours. (...) / Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : 1° Si le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; / (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque est regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) c) Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ; (...) ".
14. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que M. D... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français au soutien de ses conclusions dirigées contre la décision refusant un délai de départ volontaire et contre la décision fixant le pays de destination.
15. Comme indiqué au point n° 12, M. D..., présente un risque pour l'ordre public. Par ailleurs. Son titre de séjour a expiré en juillet 2019 et il n'en a pas demandé le renouvellement. Ainsi, le préfet du Pas-de-Calais a pu légalement estimer, en application des dispositions précitées de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne pas devoir lui octroyer un délai de départ volontaire.
16. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 12, et alors que M. D... bénéficie d'un sursis de mise à épreuve, celui-ci n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant un délai de départ volontaire est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Sur la décision portant interdiction de retour :
17. Aux termes de l'article L. 511-III du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. /Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français".
18. La motivation de la décision attaquée atteste de la prise en compte par le préfet, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par les dispositions précitées. Le préfet du Pas-de-Calais a ainsi indiqué les considérations de fait et de droit qui justifient qu'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans soit prise à l'encontre de M. D.... Ce dernier n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que la décision en litige n'est pas suffisamment motivée.
19. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que M. D... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français au soutien de ses conclusions dirigées contre l'interdiction de retour.
20. Comme indiqué au point 12, M. D... est défavorablement connu des services de police. Il a été condamné, à trois reprises, pour des faits de violences, sur mineur et sur sa concubine, et usage illicite de produits stupéfiants. Dès lors, son comportement constitue une menace pour l'ordre public. Par suite, eu égard au passé pénal de l'intéressé et au risque de récidive, le préfet du Pas-de-Calais n'a, en adoptant une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans, pas commis d'erreur d'appréciation.
21. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à obtenir l'annulation de l'arrêté du 27 décembre 2019 du préfet du Pas-de-Calais. Doivent par voie de conséquence, être rejetées ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1910948 du 23 juin 2020 du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : La demande de M. D... est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Me B... avocat de M. E... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Pas-de-Calais.
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N° 20DA02035