Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 29 mai 2019 et 17 avril 2020, la société Maintenance Technique Optimisée Eurogem, représentée par Me G..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 22 décembre 2015 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle d'Arras de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation du travail et de l'emploi du Nord Pas-de-Calais a accordé à la société Véolia eau - Compagnie Générale des Eaux l'autorisation de transférer le contrat de travail de M. D... A... et sa demande de condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
2°) d'annuler la décision du 22 décembre 2015 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle d'Arras de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Nord Pas-de-Calais a accordé à la société Véolia eau - Compagnie générale des eaux l'autorisation de transférer le contrat de travail de M. A... ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive (CE) n° 2001/23 du 12 mars 2001 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- le code du travail ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur ;
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Areva avait sous-traité la mission " facility management " du site de Beaumont Hague, qui consiste en diverses fonctions supports ou techniques, à la société Véolia. A compter du 1er décembre 2015, suite à un nouvel appel d'offres, elle a confié cette prestation à la société Maintenance Technique Optimisée. Le 9 novembre 2015, la société Véolia a saisi l'inspecteur du travail de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Nord Pas-de-Calais d'une demande d'autorisation de transférer le contrat de travail de M. A..., délégué du personnel titulaire depuis le 26 novembre 2013, à la société Maintenance Technique Optimisée. Par une décision du 22décembre 2015, l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle d'Arras a autorisé ce transfert. Le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté le recours hiérarchique du 8 février 2016 de la société Maintenance Technique Optimisée formé contre la décision de l'inspecteur du travail, et a expressément confirmé ce rejet par décision du 29 juin 2016. La société Maintenance Technique Optimisée relève appel du jugement du 27 mars 2019 du tribunal administratif de Lille en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 22 décembre 2015 de l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle d'Arras accordant à la société Véolia eau - Compagnie Générale des Eaux l'autorisation de transférer le contrat de travail de M. A... .
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la procédure contradictoire :
2. Aux termes du 1er alinéa de l'article L. 2421-9 du code du travail: " Lorsque l'inspecteur du travail est saisi d'une demande d'autorisation de transfert, en application de l'article L. 2414-1, à l'occasion d'un transfert partiel d'entreprise ou d'établissement, il s'assure que le salarié ne fait pas l'objet d'une mesure discriminatoire. ". Aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Aux termes de l'article L. 122-2 du même code : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix... ".
3. Il résulte de ces dispositions que cette procédure administrative, qui est instituée aux seules fins de s'assurer que le salarié protégé dont le transfert est demandé ne fait pas l'objet d'une mesure discriminatoire, ne concerne que l'employeur qui demande l'autorisation et le salarié intéressé. Si des circulaires des 12 et 30 juillet 2012 de la direction du travail précisent que toute décision administrative de l'inspecteur du travail saisi d'une demande relative à la rupture ou au transfert du contrat de travail d'un salarié protégé doit être précédée d'une enquête contradictoire, que l'employeur doit pouvoir présenter en temps utile des observations sur l'ensemble des éléments apportés en ce sens par le salarié et s'il est loisible à l'inspecteur du travail de recueillir, au cours de son enquête, les observations de l'entreprise destinée à devenir l'employeur du salarié protégé en cas d'autorisation du transfert, contrairement à ce que soutient la société Maintenance Technique Optimisée aucune disposition de nature impérative ou présentant un caractère de lignes directrices ni aucun principe ne lui impose de recueillir de telles observations avant de rendre sa décision. Par suite, le moyen tiré du non-respect du principe du contradictoire doit être rejeté.
En ce qui concerne la motivation :
4. La décision du 22 décembre 2015 de l'inspecteur du travail vise les dispositions applicables du code du travail, expose les raisons pour lesquelles il a été considéré que la réalité du transfert d'activité était établie et que le salarié était exclusivement affecté à l'activité transférée. Elle constate l'absence de lien entre la demande d'autorisation de transfert et le mandat exercé par M. A.... Elle comporte ainsi l'énoncé suffisamment précis des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Le moyen tiré d'une motivation insuffisante doit, dès lors, être écarté.
En ce qui concerne l'article L. 2414-1 du code du travail :
5. Aux termes de l'article L. 1224-1 du code du travail : " Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ".
6. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés protégés bénéficient d'une protection exceptionnelle instituée dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, afin d'éviter que ces salariés ne fassent l'objet de mesures discriminatoires dans le cadre d'une procédure de licenciement ou d'un transfert partiel d'entreprise. Dans ce dernier cas, il appartient à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de transfert sur le fondement de l'article L. 2414-1 du code du travail, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de vérifier, d'une part, que sont remplies les conditions prévues à l'article L. 1224-1 du code du travail. Cette dernière disposition, interprétée à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001 susvisée, ne s'applique qu'en cas de transfert par un employeur à un autre employeur d'une entité économique autonome conservant son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise par le nouvel employeur. Constitue une entité économique autonome, un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif économique propre. Le transfert d'une telle entité ne s'opère que si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l'exploitation de l'entité sont repris, directement ou indirectement, par un autre exploitant. Il incombe, d'autre part, à l'autorité administrative de s'assurer que le transfert envisagé est dépourvu de lien avec le mandat ou l'appartenance syndicale du salarié transféré et que, ce faisant, celui-ci ne fait pas l'objet d'une mesure discriminatoire.
7. Pour faire obstacle au transfert du contrat de travail de M. A... de la société Veolia Eau-Compagnie Générale des Eaux à la société Maintenance Technique Optimisée, cette dernière soutient que les dispositions précitées de l'article L. 1224-1 du code du travail ne trouvent pas à s'appliquer, dans la mesure où, selon elle, il n'y a pas eu transfert d'une entité économique autonome et de transfert des éléments significatifs d'exploitation corporels ou incorporels.
8. En premier lieu, la société Maintenance Technique Optimisée s'est vu confier à compter du 1er décembre 2015 par la société Areva une activité de " Facility Management " comportant des prestations de logistique, SVP service, serrurerie, plomberie au sein du site de Beaumont Hague (Normandie). Ainsi contrairement à ce que soutient la société Maintenance Technique Optimisée, elle a poursuivi les missions confiées depuis le 1er décembre 2009 par six lots, à la société Veolia Eau - Compagnie Générale des Eaux au titre d'une activité de" Facility Management ". Les circonstances que le périmètre d'intervention ne serait plus le même car la société Maintenance Technique Optimisée assure de nouvelles prestations car elle s'est vu confier vingt lots de plus que ceux précédemment confiés à la société Veolia Eau - Compagnie Générale des Eaux, ne sont pas à elles seules de nature à démontrer que l'entité économique n'aurait pas conservé son identité pour la réalisation de la mission de " Facility Management ".
9. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier et notamment de l'organigramme de la société Véolia du centre Basse Normandie que l'activité " Facility Management " relevait du service industrie nucléaire qui regroupait treize salariés intervenant sur le site de La Hague. Ce service était composé de deux équipes distinctes, l'une placée sous l'autorité de M. E... dans laquelle travaillait M A..., uniquement dédiée au contrat de " Facility Management ", et l'autre placée sous l'autorité de M B... dédiée au contrat de Hague-Energie. Les personnels de cette deuxième équipe effectuaient des travaux relatifs à l'exploitation de la station d'épuration et intervenaient sur les réseaux d'assainissement. Les six salariés de l'équipe chargée de l'activité " Facility Management " dotés d'un savoir-faire notamment dans les tâches relatives à la plomberie, à la gestion des clés, à la lutte contre les nuisibles, d'autant qu'ils travaillaient à ces fonctions auparavant sur le site de Beaumont - Hague au sein d'une autre société prestataire pour la société Areva, n'ont jamais exercé leurs fonctions dans les domaines de la distribution d'eau et de l'assainissement, activités traditionnelles de la société Veolia Eau-Compagnie Générale des Eaux.
10. En troisième lieu, l'équipe " Facility Management " était placée sous la responsabilité hiérarchique de Mme H..., responsable du service industrie nucléaire, dont une petite partie du temps de travail concernait le secteur d'activités transférées, mais qui avait aussi en charge l'équipe dédiée au contrat de Hague-Energie permettant ainsi à M E... d'assurer les modalités d'exécution des tâches qu'elle lui confiait pour animer l'équipe " Facility Management ". Plus de 80 % des prestations effectuées par les six salariés de " Facility Management " pour la société Areva étaient réalisés par la société Veolia Eau-Compagnie Générale des Eaux. L'équipe " Facility Management " disposait ainsi d'un objectif propre qui concernait la gestion et la maintenance des immeubles complètement distincts de l'activité principale de la société Areva. La circonstance qu'une partie minime des activités de " Facility Management " soit dorénavant sous-traitée aux sociétés Sobatec qui intervient sur la partie serrurerie à hauteur d'environ un et demi équivalent temps plein et à la société Selva qui effectue quelques interventions de plomberie à hauteur de quasiment un équivalent temps plein est sans incidence sur la réalité de l'entité économique transférée. Ainsi les activités de " Facility Management " de la société Veolia Eau - Compagnie Générale des Eaux s'exerçaient dans un cadre autonome, et elle réalisait des prestations avec un personnel spécifiquement dédié.
11. En quatrième lieu, subsistent, à l'occasion du transfert du marché d'activité de " Facility Management ", les moyens corporels et incorporels, spécifiquement affectés à l'exploitation, tels que le logiciel de gestion des clés, propriété d' Areva, mis à disposition du prestataire; le stock de pièces de serrurerie, propriété d' Areva, mis à disposition du prestataire, les masques d'accès aux zones, les badges d'accès, le mobilier de stockage avec référencement Areva, les locaux de base de vie, trois ordinateurs équipés, six lignes téléphoniques et l'outillage de serrurerie. Ainsi, des moyens matériels, nullement résiduels comme le soutient la société Maintenance Technique Optimisée, mais significatifs et nécessaires à l'exploitation de l'activité, mis à disposition par la société Areva, ont fait l'objet d'un transfert au profit du nouvel exploitant.
12. Par suite, l'activité transférée constituait bien un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité économique poursuivant un objectif propre, et en conséquence une entité économique au sens de l'article L. 2421-9 du code du travail précité.
13. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n'est au demeurant pas soutenu, que la décision de transfert de contrat en litige aurait été en lien avec le mandat de délégué du personnel titulaire exercé par M A....
14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par la société Véolia eau - Compagnie Générale des Eaux, que la société Maintenance Technique Optimisée n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 22 décembre 2015 de l'inspecteur du travail ayant accordé à la société Véolia eau - Compagnie Générale des Eaux l'autorisation de transférer le contrat de travail de M. A... .
Sur les frais liés à l'instance :
15. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par la société Maintenance Technique Optimisée doivent dès lors être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Maintenance Technique Optimisée est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Me G... pour la société Maintenance Technique Optimisée, à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, à Me F... C... pour la société Véolia Eau - Compagnie Générale des Eaux (Véolia) et à M. D... A....
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N°19DA01248