Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 31 janvier 2019 et le 9 août 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement, en tant qu'il prononce la restitution à la SARL Nord Image d'une partie du crédit d'impôt qui avait été sollicitée par celle-ci au titre des années 2011 et 2012 ;
2°) de prescrire le reversement des sommes versées à la SARL Nord Image en exécution de ce jugement.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de la propriété intellectuelle ;
- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- l'arrêté du 12 décembre 2003 fixant la liste des métiers de l'artisanat d'art ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., représentant la SARL Nord Image.
Considérant ce qui suit :
1. La société à responsabilité limitée (SARL) Nord Image, dont le siège social est situé à Abbeville (Somme), exerce l'activité de conseil en relations publiques, de communication, de création graphique ou numérique, de traitement de l'image et de réalisation de maquettes, photographies, ainsi que d'autres documents, à usage commercial, promotionnel et publicitaire. Elle a demandé à bénéficier, au titre des exercices clos en 2011 et 2012, du crédit d'impôt en faveur des métiers d'art prévu par l'article 244 quater O du code général des impôts. Toutefois, elle n'a demandé le bénéfice de ce crédit d'impôt, dans le cadre de formulaires de demande de remboursement de ces crédits, pour un montant de 31 954 euros au titre de l'année 2011 et de 31 659 euros au titre de l'année 2012, que le 3 septembre 2015, alors que les délais qui lui étaient impartis pour ce faire expiraient respectivement le 15 janvier 2013 et le 15 janvier 2014. Ces demandes ont, dans ces conditions, été regardées par l'administration comme ayant le caractère de réclamations. Dans le cadre de l'examen de celles-ci, l'administration a engagé, en février 2016, une vérification de la comptabilité de la SARL Nord Image, portant, en matière de crédit d'impôt en faveur des métiers d'art, sur la période couvrant les exercices clos en 2011 et 2012. A l'issue de ce contrôle, l'administration a fait connaître à la SARL Nord Image, par un document intitulé " proposition de rectification " qu'elle lui a adressé le 3 mai 2016, qu'au terme d'une analyse de ses productions durant la période vérifiée, ses demandes de remboursement du crédit d'impôt étaient partiellement admises, à concurrence de 15 018 euros au titre de l'exercice clos en 2011 et de 13 930 euros au titre de l'exercice clos en 2012. La SARL Nord Image a porté le litige devant le tribunal administratif d'Amiens, en lui demandant de prononcer la restitution de l'intégralité du crédit d'impôt en faveur des métiers d'art dont elle avait demandé le bénéfice. Le ministre de l'action et des comptes publics relève appel du jugement du 20 décembre 2018 par lequel ce tribunal a fait droit, à l'exclusion des charges afférentes à deux de ses productions, à cette demande et demande à la cour de prescrire le reversement des sommes versées à la SARL Nord Image en exécution de ce jugement.
2. Aux termes de l'article 244 quater O du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige : " I. - Les entreprises mentionnées au III et imposées d'après leur bénéfice réel ou exonérées en application des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 septies, 44 octies, 44 octies A, 44 decies, 44 undecies, 44 terdecies à 44 quindecies peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt égal à 10 % de la somme : / 1° Des salaires et charges sociales afférents aux salariés directement chargés de la conception de nouveaux produits dans un des secteurs ou métiers mentionnés au III et aux ingénieurs et techniciens de production chargés de la réalisation de prototypes ou d'échantillons non vendus ; / (...) / III. - Les entreprises pouvant bénéficier du crédit d'impôt mentionné au I sont : / 1° Les entreprises dont les charges de personnel afférentes aux salariés qui exercent un des métiers d'art énumérés dans un arrêté du ministre chargé des petites et moyennes entreprises représentent au moins 30 % de la masse salariale totale ; / (...) ". Par un arrêté du 12 décembre 2003, applicable au présent litige, le ministre chargé des petites et moyennes entreprises a inscrit les métiers des arts graphiques, notamment ceux de graphiste, d'infographiste, de maquettiste et de photographe illustrateur, comme relevant de l'artisanat d'art. Enfin, aux termes de l'article 49 septies ZL de l'annexe III au code général des impôts, applicable au présent litige : " Pour l'application des dispositions de l'article 244 quater O du code général des impôts, les opérations de conception de nouveaux produits s'entendent des travaux portant sur la mise au point de produits ou gamme de produits qui, par leur apparence caractérisée en particulier par leurs lignes, contours, couleurs, matériaux, forme, texture, ou par leur fonctionnalité, se distinguent des objets industriels ou artisanaux existants ou des séries ou collections précédentes. ".
Sur la charge de la preuve :
3. Il appartient, en principe, au juge de l'impôt, au vu de l'instruction dont le litige qui lui est soumis a fait l'objet, d'apprécier si une entreprise remplit ou non les conditions lui permettant de se prévaloir d'un avantage fiscal, tel un crédit d'impôt. Toutefois, la procédure d'imposition mise en oeuvre à l'égard de cette entreprise est susceptible, conformément aux dispositions de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales, de conduire le juge à attribuer la charge de la preuve à celle-ci lorsqu'elle n'a formulé, dans le délai imparti, aucune observation quant aux rectifications qui lui ont été notifiées ou lorsque les impositions mises à sa charge ont été établies conformément à ses déclarations.
4. D'une part, s'il est constant que la SARL Nord Image n'a pas formulé d'observations dans le délai de trente jours imparti par le document improprement intitulé " proposition de rectification " qui lui avait été adressé le 3 mai 2016 par l'administration, ce document, qui ne lui notifiait aucun rehaussement et avait pour seul objet de se prononcer sur sa réclamation en matière de crédit d'impôt en faveur des métiers d'art, n'appelait, en réalité, pas de réponse particulière mais ouvrait seulement à la SARL Nord Image, en cas de désaccord sur les éléments ainsi portés à sa connaissance, la possibilité de porter le litige devant le tribunal administratif, ce qu'elle a d'ailleurs fait. D'autre part, le droit au bénéfice du crédit d'impôt en faveur des métiers d'art sollicité par la SARL Nord Image ne dépend pas des éléments qu'elle a déclarés, ni même de ceux qu'elle a présentés dans sa réclamation, mais d'une appréciation, au vu des éléments versés à l'instruction, sur le point de savoir si les productions de cette société répondent aux conditions posées par les dispositions précitées de l'article 244 quater O du code général des impôts. Dès lors, le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à soutenir que la charge de la preuve incombe à la SARL Nord Image en application des dispositions de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales.
Sur le droit au bénéfice du crédit d'impôt en faveur des métiers d'art :
5. Il résulte de l'instruction et, notamment, de la " proposition de rectification " adressée le 3 mai 2016 à la SARL Nord Image, que, pour estimer que cette société ne pouvait bénéficier que partiellement, au titre des années 2011 et 2012 sur lesquelles portait sa réclamation à cette fin, du crédit d'impôt institué par les dispositions précitées de l'article 244 quater O du code général des impôts en faveur des métiers d'art, le vérificateur, après s'être livré à un examen de 131 produits réalisés par la SARL Nord Image au cours de ces deux années, a estimé, ainsi que le précisent les mentions du tableau de synthèse annexé à ce document, que certains de ces produits n'étaient pas éligibles, dès lors qu'ils résultaient essentiellement d'un travail de mise en page ou, s'agissant d'autres travaux également regardés comme inéligibles, que le produit final donnait la primauté aux articles et descriptifs mis en page. Toutefois, de tels critères ne sont pas au nombre de ceux prévus par les dispositions précitées de l'article 244 quater O du code général des impôts et précisés par les dispositions précitées de l'article 49 septies ZL de l'annexe III à ce code, qui subordonnent le bénéfice du crédit d'impôt en faveur des métiers d'art à la condition que les produits ou gammes de produits au titre desquels le crédit est demandé constituent le résultat d'un travail de création original, c'est-à-dire qu'ils se distinguent, par leur apparence, en particulier par leurs lignes, contours, couleurs, matériaux, forme, texture, ou par leur fonctionnalité, des objets industriels ou artisanaux existants ou des séries ou collections précédentes. A cet égard, le seul fait que l'entreprise utilise, pour la réalisation de certains produits, des éléments de texte, des photographies, voire des tableaux ou des logos qu'elle intègre à son travail, ne peut suffire à établir que les produits en cause ne procèderaient pas d'un véritable processus créatif, incluant une recherche sur les couleurs, sur la typographie, sur la trame de fond ou encore sur les photographies, aboutissant à l'élaboration d'un résultat original, quand bien même il consisterait essentiellement en un travail de mise en page.
6. En revanche, il ressort du même tableau annexé à la proposition de rectification que, pour estimer que les produits réalisés, en août 2011, pour la société Bricoman, en octobre 2011, pour la société Big Mat, et, en novembre 2012, pour la société SIAF, n'étaient pas éligibles au crédit d'impôt, le vérificateur a retenu que ces produits ne présentaient pas de caractère de nouveauté, lequel critère est au nombre de ceux prévus par les dispositions citées au point 2. Si ces mentions du tableau ne sont assorties d'aucune précision circonstanciée, la SARL Nord Image, qui ne critique pas le caractère suffisant de la motivation de la proposition de rectification, n'apporte pas de contestation précise à l'appréciation ainsi portée par l'administration s'agissant, en particulier, de ces trois productions. Dans ces conditions, le ministre est fondé, en ce qui concerne les charges afférentes à ces trois productions, à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont accueilli les conclusions de la SARL Nord Image et à demander, dans cette mesure, la réformation du jugement attaqué.
7. Enfin, il résulte de l'instruction, en particulier de l'échantillon de 52 productions se rattachant aux années 2011 et 2012 que la SARL Nord Image a versé à l'instruction devant le tribunal administratif d'Amiens, et dont il n'est pas sérieusement contesté qu'il est représentatif des autres travaux effectués par cette société durant les deux années d'imposition en litige, que ces travaux, y compris ceux effectués pour l'association ASPADA, ne consistent pas en un simple agencement, sans réelle valeur ajoutée, d'éléments préexistants, mais procèdent d'un processus de création conduisant à l'élaboration d'un produit original. En particulier, il résulte des éléments versés à l'instruction que ceux de ces travaux qui consistent essentiellement en une mise en page d'éléments fournis par le client ont néanmoins donné lieu à un travail soit sur la typographie, soit sur les couleurs, soit sur la trame de fond, soit sur les photographies, voire consistant à l'insertion de dessins originaux ou donnant lieu à l'élaboration de plusieurs propositions alternatives, de sorte qu'ils constituent chacun un produit original issu d'une réelle démarche créative. Dans ces conditions et quand bien même la SARL Nord Image n'a pas versé à l'instruction l'intégralité des 131 produits examinés par le vérificateur, c'est à bon droit, contrairement à ce que soutient le ministre, que les premiers juges ont retenu que la majeure partie des productions élaborées, au cours des années d'imposition en litige, par la SARL Nord Image, qui n'a pas relevé appel incident du jugement du tribunal administratif d'Amiens en tant qu'il a écarté les travaux de conception des catalogues de colonnes à eau et à bières pour la société Heineken, était éligible au crédit d'impôt en faveur des métiers d'art.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a fait droit à la demande de la SARL Nord Image tendant à la restitution du crédit d'impôt en faveur des métiers d'art en ce qui concerne les montants afférents aux produits réalisés en août 2011 pour la société Bricoman, en octobre 2011 pour la société Big Mat et en novembre 2012 pour la société SIAF. Par ailleurs, dès lors que le ministre de l'action et des comptes publics tient de l'article 11 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique le pouvoir d'émettre un ordre de recouvrement à l'effet d'obtenir le reversement de sommes dont une personne serait redevable envers l'Etat, ses conclusions tendant à ce que la cour prescrive le reversement de la somme qui aurait été versée à la SARL Nord Image en exécution du jugement attaqué sont irrecevables et doivent être rejetées. Enfin, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la SARL Nord Image, qui est, pour l'essentiel, la partie gagnante dans le présent litige.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1603320 du 20 décembre 2018 du tribunal administratif d'Amiens est annulé en tant qu'il fait droit aux conclusions de la SARL Nord Image à fin de restitution, au titre des années 2011 et 2012, du crédit d'impôt en faveur des métiers d'art en ce qui concerne les produits réalisés en août 2011 pour la société Bricoman, en octobre 2011 pour la société Big Mat et en novembre 2012 pour la société SIAF.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête du ministre de l'action et des comptes publics et les conclusions de la demande présentée par la SARL Nord Image devant le tribunal administratif d'Amiens en ce qui concerne les produits mentionnés à l'article 1er ci-dessus sont rejetés.
Article 3 : L'Etat versera à la SARL Nord Image la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre délégué chargé des comptes publics et à la SARL Nord Image.
Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
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N°19DA00257