Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 21 juillet 2020 sous le n° 20DA01036, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2001006 du 26 juin 2020 du tribunal administratif de Rouen ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Rouen.
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Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme E... C..., première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Une note en délibérée, produite par le préfet de la Seine-Maritime dans l'affaire n° 20DA01037, a été enregistrée le 1er octobre 2020.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes, présentées par le préfet de la Seine-Maritime, enregistrées sous le n° 20DA01036 et le n° 20DA01037, sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.
2. M. B... F... D..., ressortissant guinéen (République de Guinée), né, selon ses déclarations, le 12 mai 2001 à Conakry, est entré sur le territoire français en février 2017, selon encore ses déclarations. Il a été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance à compter du 11 février 2017, en vertu d'une décision d'accueil provisoire d'urgence du président du conseil départemental de la Seine-Maritime en date du 8 mars 2017, puis d'une ordonnance du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Dieppe en date du 21 mars 2017 et d'un jugement du juge des enfants auprès de ce tribunal en date du 7 avril 2017. Le 13 mars 2019, M. D... a sollicité la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", sur le fondement des dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un jugement du 26 juin 2020, le tribunal administratif de Rouen, d'une part, a prononcé l'annulation de l'arrêté du 13 février 2020 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a rejeté la demande de titre de titre de séjour présentée par M. D..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, d'autre part, a enjoint au préfet de la Seine-Maritime de délivrer à l'intéressé un titre de séjour, enfin, a mis à la charge de l'Etat le versement au conseil de M. D... d'une somme de 1 000 euros au titre des frais d'instance Par deux requêtes distinctes, le préfet de la Seine-Maritime, d'une part, relève appel de ce jugement et, d'autre part, demande à la cour d'en prononcer le sursis à exécution.
Sur la requête du préfet de la Seine-Maritime tendant à l'annulation du jugement du 26 juin 2020 :
En ce qui concerne les moyens retenus par le jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) / 2° bis A l'étranger dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l'article L. 311-3, qui a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance et sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée ; / (...) ".
4. En premier lieu, il ressort des motifs de son arrêté en date du 13 février 2020 que, pour rejeter, par cet arrêté, la demande de carte de séjour temporaire présentée par M. D... sur le fondement des dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Seine-Maritime s'est, notamment, fondé sur ce que l'intéressé conservait un lien familial fort dans son pays, dès lors qu'en contradiction avec ses propres déclarations selon lesquelles sa mère était décédée en 2006, il produisait, à l'appui de sa demande, un jugement supplétif d'acte de naissance rendu le 18 janvier 2019 sur une requête présentée par cette dernière le 2 janvier 2019. Le préfet de la Seine-Maritime a également relevé, dans cet arrêté, que M. D... ne justifiait pas d'une insertion particulière dans la société française. Toutefois, il ressort également des énonciations de cet arrêté que le préfet de la Seine-Maritime n'a ni examiné si la formation suivie par M. D... présentait un caractère réel et sérieux, alors au demeurant que l'intéressé, après avoir, au cours de l'année scolaire 2017-2018, été scolarisé en classe de 3ème dans le cadre d'un dispositif spécifique pour élèves allophones et obtenu le diplôme d'études en langues française de niveau A2, avait validé la première année de certificat d'aptitude professionnelle en maintenance de véhicules automobiles à l'issue de l'année scolaire 2018-2019, et était inscrit en deuxième année de cette formation à la date d'édiction de cet arrêté, ni davantage pris en compte, pour apprécier l'insertion de l'intéressé dans la société française, l'avis de la structure d'accueil, qu'il lui appartenait de solliciter. En conséquence, l'arrêté du 13 février 2020 est entaché d'erreur de droit au regard des dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que M. D..., qui était titulaire, ainsi qu'il a été dit au point précédent, du diplôme d'études en langues française de niveau A2, donnait toute satisfaction au sein de l'entreprise avec laquelle il bénéficiait d'un contrat d'apprentissage dans le cadre de la préparation du certificat d'aptitude professionnelle, et auprès de laquelle il avait réalisé l'un de ses stages de découverte au cours de sa première année de scolarisation en France. Il ressort, en particulier, des attestations établies en 2018 et 2019 par son maître d'apprentissage, qu'il était un apprenti sérieux, " assidu et ponctuel ", " motivé par le métier et bien intégré à l'équipe ". Il ressort également des différentes notes d'actualisation rédigées par un cadre socio-éducatif en 2018 et 2019 que son comportement a toujours donné satisfaction, qu'il " se donne les moyens d'atteindre ses objectifs ", que son projet scolaire et professionnel est cohérent et que, par ailleurs, il a noué un cercle de relations personnelles et pratique un sport collectif. L'effectivité de l'insertion de l'intéressé dans la société française, ainsi relevée par la structure d'accueil, n'a pas été compromise par sa vulnérabilité psychologique qui, bien que non dépourvue de lien avec une agression dont il a fait l'objet durant les premiers temps de son séjour en France, s'est révélée vers la fin de sa prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance et a nécessité un soutien psychothérapeutique ainsi qu'un suivi médical, ainsi qu'il ressort des pièces médicales versées au dossier. Enfin, les notes d'actualisation susmentionnées relèvent que l'intéressé n'a plus de contact avec les membres de sa famille restés au pays. Dans ces conditions, le préfet de la Seine-Maritime, en retenant, pour rejeter la demande de titre de séjour présentée par M. D..., que l'intéressé avait dans son pays des liens familiaux significatifs et qu'il n'était pas suffisamment inséré en France, a procédé à une inexacte appréciation de la situation de l'intéressé au regard des critères, prévus par les dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relatifs à la nature des liens de l'étranger avec la famille restée dans le pays d'origine et à l'insertion de cet étranger dans la société française.
En ce qui concerne la substitution de motif demandée par le préfet de la Seine-Maritime en appel :
6. Lorsqu'il est saisi d'une demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'une des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il est loisible au préfet d'examiner d'office si l'intéressé peut prétendre à une autorisation sur le fondement d'une autre disposition de ce code. Il peut, en outre, exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui appartient, dès lors qu'aucune disposition expresse ne le lui interdit, de régulariser la situation d'un étranger en lui délivrant le titre qu'il demande ou un autre titre, compte tenu de l'ensemble des éléments de sa situation personnelle, dont il justifierait.
7. Le préfet de la Seine-Maritime fait valoir qu'en méconnaissance des dispositions du code civil guinéen, le jugement supplétif d'acte de naissance du 18 janvier 2019, produit par M. D... à l'appui de sa demande de titre de séjour, ne mentionne pas les dates et lieux de naissance des parents de l'intéressé et prévoit qu'il serait transcrit sur le registre de l'année de naissance de l'enfant. Le préfet de la Seine-Maritime soutient qu'ainsi, en l'absence de caractère probant de ce document, l'arrêté du 13 février 2020 est légalement justifié par le motif que M. D... n'établit pas avoir atteint au plus l'âge de seize ans lorsqu'il a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance, alors que les dispositions du 2° bis de l'article 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile subordonnent à cette condition la délivrance de plein droit d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Toutefois, à supposer dépourvus de caractère authentique ou probant les documents produits par M. D... pour justifier de son état civil, il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n'est d'ailleurs pas allégué par l'administration, que l'intéressé aurait un âge significativement supérieur à celui qui résulte de ces documents. Eu égard, par ailleurs, au caractère sérieux de la formation suivie par M. D... et à l'effectivité de son insertion dans la société française, et compte tenu tant de la fragilité psychologique de l'intéressé que de l'absence de lien étroit avec les membres de sa famille restés dans son pays d'origine, le préfet de la Seine-Maritime n'aurait pu, sans entacher d'erreur manifeste son appréciation de la situation personnelle de l'intéressé, s'abstenir de faire usage de son pouvoir discrétionnaire de régularisation en rejetant, pour ce nouveau motif, sa demande de titre de séjour.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 13 février 2020, ni, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, à demander l'annulation de ce jugement en tant que le tribunal administratif de Rouen lui a enjoint de délivrer à M. D... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai de deux mois à compter de la date de notification de ce jugement, ni, enfin, à demander l'annulation de ce jugement en tant qu'il met à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Sur la requête du préfet de la Seine-Maritime tendant au sursis à l'exécution du jugement du 26 juin 2020 :
9. La cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête du préfet de la Seine-Maritime tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête n° 20DA01037 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont désormais privées d'objet. Par suite, il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur les conclusions de M. D... tendant à l'exécution du jugement du 26 juin 2020 :
10. Le présent arrêt rejette, ainsi qu'il a été dit au point 8, la requête du préfet de la Seine-Maritime tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rouen en date du 26 juin 2020 et constate, ainsi qu'il a été dit au point 9, qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la requête du préfet de la Seine-Maritime tendant à ce que la cour prononce le sursis à exécution de ce jugement. Par suite, il n'appartient pas à la cour, en tout état de cause, de se prononcer sur les conclusions de M. D..., présentées par lui dans l'hypothèse où le rejet de la requête à fin d'annulation interviendrait après le prononcé du sursis à l'exécution du jugement contesté ou dans l'hypothèse où le rejet de la requête à fin de sursis à exécution interviendrait préalablement, tendant à obtenir l'exécution de ce jugement, sous astreinte.
Sur les frais en lien avec le litige :
11. Le bénéfice de l'aide juridictionnelle a été maintenu de plein droit au profit de M. D.... Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me A..., avocat de M. D..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me A... de la somme de 1 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête n° 20DA01036 du préfet de la Seine-Maritime est rejetée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 20DA01037 du préfet de la Seine-Maritime.
Article 3 : L'Etat versera à Me A... une somme de 1 000 euros au titre des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me A... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. B... F... D... et à Me A....
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.
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No20DA01036,20DA01037