Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 mars 2019, Mme E..., représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 4 juin 2018 du préfet de la Somme ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Somme, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, de lui délivrer une carte de séjour temporaire et, à défaut, de procéder à un nouvel examen de sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 200 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., ressortissante gabonaise née le 22 décembre 1960, est entrée régulièrement sur le territoire français le 18 septembre 2017, sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa de court séjour, en compagnie de sa fille. Cette dernière étant atteinte depuis sa naissance d'un handicap moteur et ayant souhaité être prise médicalement en charge en France, elle a sollicité, afin de pouvoir l'accompagner dans son parcours de soins, la délivrance d'un titre de séjour. Par un arrêté du 4 juin 2018, le préfet de la Somme a refusé de faire droit à sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être reconduite d'office. Mme E... relève appel du jugement du 6 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de cet arrêté et à ce qu'il soit enjoint, sous astreinte, au préfet de la Somme de l'admettre au séjour et, à défaut, de procéder à un nouvel examen de sa situation.
Sur la décision portant refus de séjour :
En ce qui concerne la régularité de la procédure :
2. En vertu du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, applicable au présent litige, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est, sous réserve d'une menace pour l'ordre public, délivrée de plein droit à " l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé (...) ".
3. L'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. / Les orientations générales mentionnées à la quatrième phrase du 11° de l'article L. 313-11 sont fixées par arrêté du ministre chargé de la santé ".
4. L'article R. 313-23 du même code dispose que : " Le rapport médical mentionné à l'article R. 313-22 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement le demandeur ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre, dans les conditions prévues par l'arrêté mentionné au deuxième alinéa de l'article R. 313-22. Le médecin de l'office peut solliciter, le cas échéant, le médecin qui suit habituellement le demandeur ou le médecin praticien hospitalier. Il en informe le demandeur. Il peut également convoquer le demandeur pour l'examiner et faire procéder aux examens estimés nécessaires. (...) Il transmet son rapport médical au collège de médecins. / (...) / Le collège à compétence nationale, composé de trois médecins, émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du présent article. La composition du collège et, le cas échéant, de ses formations est fixée par décision du directeur général de l'office. Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège (...) / Le collège peut demander au médecin qui suit habituellement le demandeur, au médecin praticien hospitalier ou au médecin qui a rédigé le rapport de lui communiquer, dans un délai de quinze jours, tout complément d'information. Le demandeur en est simultanément informé. Le collège de médecins peut entendre et, le cas échéant, examiner le demandeur et faire procéder aux examens estimés nécessaires. (...) / L'avis est transmis au préfet territorialement compétent, sous couvert du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ".
5. L'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précise que : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis, conformément au modèle figurant à l'annexe C du présent arrêté, précisant : a) si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; b) si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; c) si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont le ressortissant étranger est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; d) la durée prévisible du traitement. Dans le cas où le ressortissant étranger pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, le collège indique, au vu des éléments du dossier du demandeur, si l'état de santé de ce dernier lui permet de voyager sans risque vers ce pays. Cet avis mentionne les éléments de procédure. Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle. L'avis émis à l'issue de la délibération est signé par chacun des trois médecins membres du collège ".
6. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser de délivrer à la fille de Mme E... la carte de séjour temporaire qu'elle sollicitait pour raison médicale, le préfet de la Somme s'est notamment fondé sur un avis émis le 16 avril 2018 par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Il ressort des mentions de cet avis que le collège de médecins a estimé que, si l'état de santé de la fille de Mme E... rendait nécessaire une prise en charge médicale, le défaut de celle-ci ne devrait pas entraîner pour l'intéressée des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Eu égard à la teneur de cet avis, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration n'avait pas à prendre position sur le point de savoir si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé existant dans le pays dont la fille de Mme E... est originaire, elle pourrait y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. Dans ces conditions, cet avis doit être regardé comme comportant l'ensemble des mentions requises par les dispositions, citées au point 5, de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016. Il suit de là que le moyen tiré de l'irrégularité de cet avis doit, en tout état de cause, être écarté.
En ce qui concerne la motivation de cette décision :
7. Il ressort des motifs de l'arrêté contesté que ceux-ci comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet de la Somme s'est fondé pour refuser de délivrer un titre de séjour à Mme E..., en relevant notamment que, si l'état de santé de sa fille rend nécessaire une prise en charge médicale, un défaut de celle-ci ne devrait pas entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que l'admission au séjour sollicitée par Mme E... ne répond pas à des considérations exceptionnelles ni à des motifs humanitaires. Par suite, cette décision de refus de séjour, qui permet de constater que le préfet de la Somme s'est livré à un examen particulier de la situation de Mme E..., est suffisamment motivée au regard de l'exigence posée par les dispositions de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
En ce qui concerne la légalité interne :
8. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Somme, en se prononçant sur la demande de titre de séjour présentée par la fille de Mme E..., se serait à tort cru lié par l'avis émis le 16 avril 2018 par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, ni que cette autorité ne se serait pas livrée à un examen particulier de la situation de l'intéressée. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet de la Somme aurait, ce faisant, méconnu l'étendue de sa compétence et commis, en conséquence, une erreur de droit ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.
9. Mme E... soutient que sa fille est atteinte, depuis sa naissance, d'une paralysie cérébrale des membres inférieurs pour la prise en charge de laquelle elle n'a pu bénéficier de soins appropriés dans son pays d'origine. Par un certificat médical établi le 3 décembre 2017, le chef de service hospitalier exerçant au centre hospitalier universitaire d'Amiens qui suit cette dernière confirme la réalité du handicap dont elle est atteinte et précise que celui-ci a eu pour conséquences une perte de la marche et une limitation des possibilités de déplacement en fauteuil roulant. Ce même certificat précise que l'état de de la fille de Mme E... rend nécessaire une assistance pour les actes de la vie courante ainsi qu'un accompagnement pour les déplacements, qui lui sont apportés par sa mère, et qu'une prise en charge adaptée permettrait une réduction des troubles orthopédiques et une amélioration des déplacements en fauteuil roulant, voire le rétablissement d'une certaine capacité à la marche. Il ressort d'une correspondance adressée le 18 mai 2018 par le même praticien à un confrère que la fille de la requérante a bénéficié d'un appareillage un mois et demi auparavant et que cet équipement, bien toléré par l'intéressée, lui a permis de faire quelques pas avec aide. Ce même courrier préconise une poursuite de la prise en charge orthopédique de l'intéressée durant trois mois avant d'envisager une option chirurgicale. Par un compte-rendu de consultation établi le 24 septembre 2018, ce même praticien précise qu'après six mois d'utilisation de cet appreillage, il s'avère que celui-ci ne permettra pas à lui seul d'améliorer durablement la situation de la fille de Mme E... et qu'une intervention chirurgicale pourra être discutée en lien avec un confrère compétent.
10. Toutefois, ces certificats médicaux, s'ils envisagent une intervention chirurgicale, ne se prononcent pas de façon formelle sur sa faisabilité ni sur son utilité et ne fixent aucune échéance pour sa réalisation. Ainsi, ces certificats ne sont pas de nature, à eux seuls, à remettre en cause l'appréciation portée par le préfet de la Somme, au vu notamment de l'avis du collège de médecins de l'Office, selon laquelle un défaut de prise en charge médicale ne devrait pas entraîner pour la fille de Mme E... des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Par suite, sans qu'il soit nécessaire pour la cour d'examiner si, eu égard à l'offre de soins existant au Gabon, l'intéressée pourrait effectivement y bénéficier d'un traitement approprié, la décision par laquelle le préfet de la Somme a refusé de délivrer à Mme E..., sa mère, un titre de séjour afin de lui permettre de l'accompagner dans son parcours de soins n'est pas entachée d'erreur dans l'appréciation de sa situation.
11. Eu égard à ce qui a été dit au point précédent quant à l'état de santé de la fille de Mme E..., il n'est pas établi que l'admission au séjour de cette dernière répondait à des considérations humanitaires ou à des motifs exceptionnels justifiant la délivrance à la requérante d'un titre de séjour dans le cadre de l'admission exceptionnelle au séjour prévue par les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le préfet de la Somme, en estimant d'office que Mme E... ne pouvait être admise au séjour à ce titre, n'a pas méconnu ces dispositions ni n'a commis d'erreur manifeste d'appréciation.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination :
12. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 11 que la décision de refus de titre de séjour prise à l'égard de Mme E... n'est entachée d'aucune des illégalités invoquées. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision faisant obligation à l'intéressée de quitter le territoire français devrait être annulée par voie de conséquence de l'annulation de ce refus de séjour doit être écarté.
13. Eu égard notamment à ce qui a été dit au point 10 quant aux conséquences prévisibles d'une interruption du suivi médical dont la fille de Mme E... bénéficie en France, le préfet de la Somme, en faisant obligation à cette dernière de quitter le territoire français et en fixant le pays de destination, n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de ces mesures sur la situation personnelle de l'intéressée.
14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte et celles qu'elle présente au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... E... épouse B..., au ministre de l'intérieur et à Me A... D....
Copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Somme.
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N°19DA00633