Par une requête enregistrée le 4 novembre 2019, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il prononce l'annulation partielle de son arrêté ;
2°) de rejeter la demande de M. C....
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Par une ordonnance du 27 août 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 septembre 2020 à 12h00.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Binand, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant tunisien né le 25 novembre 1989, est entré irrégulièrement en France, selon ses déclarations, au début de l'année 2017. Par un premier arrêté du 10 septembre 2019, le préfet du Pas-de-Calais lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Par un second arrêté pris le même jour, le préfet du Pas-de-Calais a assigné M. C... à résidence dans la commune d'Arras. Par un jugement du 24 septembre 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé le premier de ces arrêtés en tant qu'il fait interdiction à M. C... de retourner sur le territoire français pour une durée d'un an et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Le préfet du Pas-de-Calais relève appel de ce jugement, en tant qu'il annule la décision faisant interdiction à M. C... de retourner sur le territoire français pour une durée d'un an, et M. C..., par la voie de l'appel incident, demande à la cour d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Sur l'appel du préfet du Pas-de-Calais :
En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le premier juge :
2. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur: " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. / (...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III (...) [est décidée] par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / (...) ".
3. M. C..., qui n'a pas d'enfant à charge, est entré irrégulièrement en France à l'âge de vingt-sept ans, au début de l'année 2017, ainsi qu'il a été dit au point 1. Il n'est pas contesté qu'il a, à l'occasion de son précédent séjour en France, fait l'objet d'une mesure d'éloignement à laquelle il a déféré au-delà du délai qui lui avait été imparti. A la date de l'arrêté du 10 septembre 2019 lui faisant interdiction de retour sur le territoire français, son séjour, irrégulier, remontait ainsi à près de trois ans. En outre, l'intéressé ne se prévalait, à cette date, d'aucune attache familiale ou privée d'une particulière intensité en France, hormis la relation nouée un peu plus d'un an auparavant avec une ressortissante française avec laquelle il avait, il est vrai, formé un projet de mariage. Toutefois, à cette date, la célébration de ce mariage demeurait suspendue sur décision du procureur de la République, dans l'attente du résultat d'une enquête de police destinée à établir la réalité de l'intention matrimoniale des époux. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que M. C... n'est pas isolé en Tunisie où il a vécu pour l'essentiel et où réside sa famille proche. Dans ces conditions, M. C... ne peut être regardé comme justifiant, au 10 septembre 2019, d'aucune circonstance humanitaire de nature à faire obstacle à ce que le préfet prononce une interdiction de retour à son encontre en application des dispositions précitées du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les circonstances, toutes postérieures à la date d'édiction de la décision en litige, que le mariage a été régulièrement célébré au mois d'octobre 2019, que l'intéressé est retourné en Tunisie pour solliciter la délivrance d'un visa de long séjour et qu'il a conservé, en dépit de son éloignement géographique, des liens étroits avec son épouse étant sans incidence sur ce point. Il s'ensuit que le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé, au motif qu'elle serait entachée d'une erreur d'appréciation, la décision faisant interdiction à M. C... de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés à l'encontre de cette décision par M. C... devant le tribunal administratif et devant elle.
En ce qui concerne les autres moyens :
5. En premier lieu, par un arrêté du 18 décembre 2017, publié le même jour au recueil spécial des actes administratifs de la préfecture n°121, le préfet du Pas-de-Calais a donné délégation à M. D... A..., attaché principal, chef du bureau de l'éloignement, signataire de l'arrêté en litige, à l'effet de signer, notamment, les décisions en matière de police des étrangers, au nombre desquelles figurent celles contenues dans l'arrêté contesté, dont notamment les décisions faisant interdiction de retour sur le territoire français. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français manque en fait et doit, dès lors, être écarté.
6. En deuxième lieu, le préfet du Pas-de-Calais a énoncé, dans l'arrêté du 10 septembre 2019 faisant obligation à M. C... de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, l'ensemble des considérations de droit et de fait sur lesquelles il s'est fondé pour prendre ces décisions. La circonstance que le préfet du Pas-de-Calais n'a pas mentionné tous les éléments caractérisant la situation personnelle de M. C... n'est pas de nature à faire regarder cette motivation comme insuffisante, ni davantage à établir que l'autorité préfectorale n'aurait pas procédé à l'examen de la situation particulière de l'intéressé au regard des stipulations et des dispositions législatives et réglementaires applicables. Par suite, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français et du défaut d'examen individuel de la situation de M. C... manquent en fait et doivent être écartés.
7. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu notamment des motifs énoncés par le préfet du Pas-de-Calais, dans la décision contestée, pour fixer la durée d'interdiction de retour sur le territoire français à partir des éléments caractérisant la situation personnelle de l'intéressé, que cette autorité se serait crue tenue de retenir une durée minimale d'un an. Par suite, M. C... n'est pas fondé à soutenir que le préfet-du-Pas-de-Calais, en fixant à un an la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français, s'est mépris sur l'étendue de sa compétence.
8. En quatrième lieu, M. C... soulève, à l'encontre de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français, l'illégalité, par voie d'exception, de l'arrêté du 10 septembre 2019 en tant que, par cet arrêté, le préfet du Pas-de-Calais lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai. Toutefois, d'une part, ainsi qu'il a été dit au point 6, cette décision n'est entachée ni d'insuffisance de motivation ni d'un défaut d'examen individuel de la situation de l'intéressé. D'autre part, dans les circonstances de l'espèce, rappelées au point 3, le préfet du Pas-de-Calais, en faisant obligation à M. C... de quitter le territoire français, n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de la vie privée et familiale, protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une atteinte disproportionnée aux buts qu'il a poursuivis ni entaché cette décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences emportées par cette mesure d'éloignement sur la situation de M. C.... Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que l'arrêté attaqué, en ce qu'il fait obligation à M. C... de quitter le territoire français, aurait été pris dans le but de faire obstacle à la célébration du mariage de l'intéressé, qui d'ailleurs était suspendue, ainsi qu'il a été dit précédemment, et non de tirer les conséquences du caractère irrégulier de son séjour révélé lors de son audition par les services de police, comme le préfet l'a mentionné dans l'arrêté contesté. Enfin, en se bornant à citer littéralement l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers du droit d'asile, M. C... n'assortit pas le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté, en tant qu'il lui fait obligation de quitter le territoire français, méconnaîtrait les dispositions de cet article, des précisions permettant d'en apprécier le bien- fondé. Il s'ensuit que la décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas entachée des illégalités reprochées, l'exception d'illégalité soulevée à l'encontre de la décision faisant interdiction, à M. C..., de retour sur le territoire français doit être écartée.
9. En cinquième lieu, dans les circonstances de l'espèce, M. C... n'est pas davantage fondé à soutenir que le préfet du Pas-de-Calais, en lui interdisant de retourner sur le territoire français pour une durée d'un an, a porté à son droit au respect de la vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts qu'il a poursuivis.
Sur l'appel incident :
10. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 8, M. C... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté du préfet du Pas-de-Calais, en ce qu'il lui fait obligation de quitter le territoire français,
méconnaît les stipulations de l'article 8 la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences emportées par cette mesure sur sa situation. Il s'ensuit que les moyens soulevés à ce titre par M. C..., par la voie de l'appel incident, doivent être écartés. De même, il ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, que cet arrêté, en ce qu'il lui fait obligation de quitter le territoire français, serait entaché d'un détournement de pouvoir.
11. En second lieu, il résulte du point précédent que les exceptions tirées de l'illégalité de l'arrêté du 10 septembre 2019, en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français, soulevées respectivement à l'encontre des décisions refusant un départ volontaire à M. C..., fixant le pays de destination et portant assignation à résidence doivent être écartées.
12. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le préfet du Pas-de- Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 10 septembre 2019 en tant qu'il fait interdiction à M. C... de retour sur le territoire français pour une durée d'un an et à demander, dans cette mesure, l'annulation de ce jugement, d'autre part, que la demande de M. C... devant le tribunal administratif de Lille ainsi que ses conclusions aux fins d'annulation et d'injonction sous astreinte, présentées devant la cour par la voie de l'appel incident, doivent être rejetées. Par voie de conséquence, les conclusions de M. C... tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 24 septembre 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé en tant qu'il annule la décision d'interdiction de retour sur le territoire français contenue dans l'arrêté du 10 septembre 2019 du préfet du Pas-de Calais.
Article 2 : Les conclusions de M. C... devant la cour et les conclusions de sa demande devant le tribunal administratif de Lille sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. E... C... et à Me B....
Copie en sera transmise au préfet du Pas-de-Calais.
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N°19DA02429