Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 4 février 2020, M. A..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 13 janvier 2020 ;
2°) d'annuler les arrêtés du préfet de la Côte-d'Or et du préfet de la Haute-Savoie du 6 janvier 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Côte-d'Or ou au préfet de la Haute-Savoie de lui remettre une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans un délai de quarante-huit heures et de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois, de mettre fin à son signalement dans le système d'information Schengen ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué a été rendu en méconnaissance du caractère contradictoire de l'instruction pour avoir eu communication du mémoire en défense quelques minutes avant l'audience ;
- le tribunal administratif de Grenoble a également entaché le jugement attaqué d'une irrégularité en se fondant sur un document produit par l'administration dans le cadre d'une autre instance ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français et l'interdiction de retour méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il justifie compte tenu de sa situation particulière d'une circonstance humanitaire faisant obstacle à ce qu'une interdiction de retour soit prise à son encontre, a fortiori pour une durée si longue ;
- l'assignation à résidence a été prise par une autorité incompétente ;
- cette décision est insuffisamment motivée ;
- cette décision n'a pas été prise à l'issue d'un examen particulier de sa situation personnelle ;
- cette décision viole l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'obligation qui lui est faite de se présenter chaque jour au commissariat dont est assortie l'assignation à résidence est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 août 2020, le préfet de la Haute-Savoie conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens dirigés contre l'assignation à résidence sont infondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 octobre 2020, le préfet de la Côte-d'Or, représenté par la SELARL Claisse et Associés, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés sont infondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E... D..., première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... relève appel du jugement du 13 janvier 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation, d'une part, de l'arrêté du 6 janvier 2020 par lequel le préfet de la Côte-d'Or lui a fait obligation de quitter le territoire Français sans délai et interdiction de retour pendant un délai de deux ans, d'autre part, de l'arrêté du même jour du préfet de la Haute-Savoie portant assignation à résidence.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le mémoire du préfet de la Côte-d'Or a été mis à la disposition du conseil de l'intéressé par l'application Télérecours, le 13 janvier 2020 à 13 heures 17. M. A... fait valoir qu'ainsi ce mémoire n'a été communiqué à son avocat, le même jour, que quelques minutes avant le début de l'audience, à 14 heures. Toutefois, cette seule circonstance n'a pas été de nature à faire obstacle à ce que le requérant, qui était présent et représenté à l'audience, ait pu utilement formuler des observations, comme le confirment les mentions du jugement attaqué.
3. En second lieu, M. A... soutient que le premier juge a encore violé le principe du contradictoire dès lors qu'il s'est fondé pour rejeter sa demande sur une fiche MedCOI datant de janvier 2018, établissant la disponibilité au Kosovo de la colchicine, principe actif du traitement médicamenteux que requiert l'état de santé de Mme A..., produite par l'administration dans une instance n° 19LY00968. Toutefois, cet arrêt de la cour, du 15 octobre 2019, répondait à un contentieux engagé par M. et Mme A... qui, en leur qualité de parties à cette instance, ne pouvaient dès lors en ignorer le sens, ni la portée, non plus que les éléments produits à la procédure et notamment la fiche dont M. A... fait état.
4. Il résulte de ce qui précède que le premier juge n'a pas méconnu le principe du contradictoire et n'a pas entaché le jugement d'irrégularité à cet égard.
Sur la légalité de l'arrêté du préfet de la Côte d'Or :
5. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
6. M. A..., ressortissant du Kosovo, est entré en France en juillet 2015, accompagné de son épouse et de ses trois enfants mineurs. Débouté du droit d'asile, il a fait l'objet, de même que son épouse, d'une première mesure d'éloignement le 4 août 2017, puis d'une deuxième obligation de quitter le territoire français le 15 novembre 2018, après le retrait des titres de séjour qui leur avaient été délivrés en exécution de jugements du tribunal administratif de novembre 2017 finalement annulés par la cour le 20 septembre 2018. Malgré la confirmation de la légalité de cette mesure par un jugement du tribunal administratif de Grenoble du 11 février 2019 et par l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 15 octobre 2019 mentionné au point 3, M. A... s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire national jusqu'au 6 janvier 2019, date à laquelle il a fait l'objet d'un contrôle routier et d'une retenue pour vérification de son droit au séjour à l'origine de l'obligation de quitter le territoire français sans délai en litige. Au soutien du moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, M. A... fait principalement valoir la situation médicale de son épouse, ainsi que sa bonne intégration professionnelle. Toutefois, les éléments médicaux produits par le requérant, en particulier l'échange de courriels avec le responsable de la pharmacie centrale du centre de clinique universitaire du Kosovo ne suffisent pas à contredire sérieusement la fiche MedCOI citée au point 3 et à établir de manière probante que la colchicine, principe actif du traitement médicamenteux que requiert la maladie de Behçet dont souffre Mme A..., ne serait pas disponible au Kosovo. Si ce document précise encore que les autres médicaments qui lui sont prescrits ne sont pas davantage disponibles, il s'agit d'un anti-inflammatoire, d'un immunosuppresseur, d'un médicament contenant du calcium et de la vitamine D et de deux anxiolytiques dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il n'existerait pas d'équivalents au Kosovo. Dans ces conditions, alors que les certificats médicaux rédigés en termes généraux et les documents dénonçant les carences du système d'assurance maladie du Kosovo ne permettent pas davantage de remettre en cause l'appréciation déjà portée par la cour, le requérant n'est pas fondé à soutenir que son épouse ne pourrait bénéficier de soins au Kosovo. Le requérant, qui a vécu dans ce pays jusqu'à l'âge de trente-trois ans et où la cellule familiale a vocation à se reconstituer, la scolarisation de ses enfants n'y faisant pas obstacle, n'est pas fondé à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Pour les mêmes motifs, alors que le requérant ne se prévaut d'aucune attache familiale en France autre que son épouse et ses enfants qui ont vocation à l'accompagner, l'interdiction de retour sur le territoire français n'a pas davantage méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
7. En deuxième lieu, il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'il justifie, au regard de l'état de santé de son épouse, d'une circonstance humanitaire faisant obstacle au prononcé d'une interdiction de retour sur le territoire français sur le fondement du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. En troisième lieu, le requérant, qui s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement et dont la cellule familiale a vocation à se reconstituer au Kosovo ainsi qu'il a été dit, n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait commis une erreur d'appréciation au regard du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Sur la légalité de l'arrêté du préfet de la Haute-Savoie :
9. En premier lieu, si M. A... a fait l'objet d'un contrôle routier et d'une retenue pour vérification de son droit au séjour en Côte-d'Or, le préfet de la Haute-Savoie était territorialement compétent, au regard du lieu de résidence de l'intéressé à Saint-Julien-en-Genevois, pour décider son assignation à résidence sur le fondement de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
10. En deuxième lieu, la décision litigieuse est motivée, en fait comme en droit, avec une précision suffisante au regard des exigences des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
11. En troisième lieu, alors que l'assignation à résidence prévue par les dispositions de l'article L. 561-2 constitue une mesure alternative au placement en rétention prévu par les dispositions de l'article L. 551-1 du même code lorsque l'étranger ne peut quitter immédiatement le territoire français mais que son éloignement demeure une perspective raisonnable, l'allégation du requérant selon laquelle le préfet de la Haute-Savoie n'aurait pas eu connaissance de la procédure menée par les enquêteurs qui ont réalisé l'audition dans le cadre de la retenue pour vérification du droit au séjour ayant abouti à la décision du préfet de Côte-d'Or ne permet pas de considérer que le préfet de la Haute-Savoie n'aurait pas procédé à un examen sérieux de sa situation ni que l'assignation à résidence dont il a fait l'objet serait dépourvue en l'espèce de justification.
12. En dernier lieu, en l'obligeant à se présenter tous les jours à heure fixe à la gendarmerie de Saint-Julien-en-Genevois, commune dans laquelle il réside, le préfet de la Haute-Savoie n'a pas porté une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir de M. A... ou à son droit au respect de sa vie privée et familiale, une telle mesure ne pouvant être regardée comme faisant en elle-même obstacle à ce que le requérant, qui n'a pas été autorisé à travailler, s'occupe de ses enfants et conduise son épouse à ses rendez-vous médicaux.
13. Il résulte de ce qui précède, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction et celles qu'il présente sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée aux préfets de la Côte-d'Or et de la Haute-Savoie.
Délibéré après l'audience du 24 novembre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Daniel Josserand-Jaillet, président de chambre,
M. Thierry Besse, président-assesseur,
Mme E... D..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2020.
N° 20LY00482
fp