Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 13 avril 2020, Mme C... E... et M. A... E..., représentés par Me D..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 20 janvier 2020 ;
2°) d'annuler ces décisions du préfet du Rhône du 25 avril 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône de leur délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt ou, à titre subsidiaire, de leur délivrer des autorisations provisoires de séjour en qualité de parents d'enfant malade, dans le même délai, ou, à titre infiniment subsidiaire, de réexaminer leur situation dans le même délai après leur avoir délivré une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement à leur conseil de la somme de 1 400 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- le jugement est irrégulier, le magistrat désigné ayant omis de statuer sur le moyen tiré de ce que l'avis rendu par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration était devenu caduc ;
- le jugement est insuffisamment motivé, s'agissant des motifs retenus pour écarter les moyens tirés de l'insuffisante motivation des refus de séjour, de l'absence d'examen au regard de la disponibilité des soins dans le pays dont ils ont la nationalité, du moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale sur les droits de l'enfant ;
- les décisions de refus de séjour sont insuffisamment motivées ;
- les décisions de refus de séjour ont été prises sans réel examen de leur situation personnelle ;
- les décisions de refus de séjour ont été prises sur le fondement d'un avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration devenu caduc, du fait de son ancienneté ;
- les décisions de refus de séjour méconnaissent l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les décisions de refus de séjour méconnaissent l'article 3-1 de la convention internationale sur les droits de l'enfant ;
- les décisions de refus de séjour méconnaissent le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation quant à leurs conséquences sur leur situation personnelle ;
- ils sont fondés à exciper de l'illégalité des refus de séjour à l'appui de leurs conclusions dirigées contre les décisions les obligeant à quitter le territoire français ;
- les décisions les obligeant à quitter le territoire français méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 3-1 de la convention internationale sur les droits de l'enfant et les articles 7 et 24 de la charte des droits fondamentaux ; elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation quant à leurs conséquences sur leur situation personnelle.
La requête a été communiquée au préfet du Rhône, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par décision du 4 mars 2020, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale à M. et Mme E....
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à NewYork le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Besse, président-assesseur ;
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme E..., ressortissants russes d'origine tchétchène, nés respectivement en 1989 et 1991, sont entrés en France en octobre 2015. Ils ont déposé une demande d'asile qui a été rejetée en dernier lieu par la Cour nationale du droit d'asile en décembre 2016. Ils ont déposé des demandes de titre de séjour le 18 juillet 2017 en faisant valoir l'état de santé de leur enfant B.... Par deux arrêtés du 25 avril 2019, le préfet du Rhône a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. et Mme E... relèvent appel du jugement du 20 janvier 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur la régularité du jugement :
2. Le premier juge a omis de répondre au moyen, qui n'était pas inopérant, tiré de ce qu'en raison du délai ayant séparé l'avis émis par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et la décision préfectorale en litige, cet avis devait être regardé comme caduc. Le jugement attaqué, qui est irrégulier, doit donc être annulé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens tendant à mettre en cause la régularité du jugement.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. et Mme E... devant le tribunal administratif de Lyon.
Sur la légalité des refus de titre de séjour :
4. En premier lieu, les décisions de refus de séjour énoncent de manière détaillée les considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet s'est fondé, en indiquant notamment, s'agissant de l'état de santé de leur enfant, que celui-ci peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié à son état de santé dans le pays dont il a la nationalité. Par suite, elles répondent aux exigences des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
5. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Rhône ait omis de procéder à un examen particulier des demandes.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 31322 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile " Pour l'application du 11° de l'article L. 31311, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé (...) ". Aux termes de l'article R. 313-23 du même code : " (...) le service médical de l'office informe le préfet qu'il a transmis au collège de médecins le rapport médical. (...) / Le collège à compétence nationale, composé de trois médecins, émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du présent article. La composition du collège et, le cas échéant, de ses formations est fixée par décision du directeur général de l'office. Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège. ". Aux termes de l'article 5 de l'arrêté du 27 décembre 2016 susvisé : " Le collège de médecins à compétence nationale de l'office comprend trois médecins instructeurs des demandes des étrangers malades, à l'exclusion de celui qui a établi le rapport (...) ". Enfin, aux termes de l'article 6 du même arrêté : " (...) Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle. L'avis émis à l'issue de la délibération est signé par chacun des trois médecins membres du collège. ".
7. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que l'avis médical destiné à éclairer la décision du préfet doit être pris au vu d'un rapport médical spécialement établi par un médecin ne siégeant pas au sein du collège de médecins de l'OFII qui rendra l'avis final, auquel il incombe d'instruire le dossier et à qui ledit collège de médecins pourra, en tant que de besoin, demander toute précision complémentaire utile à son appréciation. La régularité de l'avis émis, et par suite de la décision préfectorale, sont dès lors subordonnées à ce que cet avis ait pu être rendu après que le dossier ait été régulièrement instruit par le rapporteur et éclairé par son rapport.
8. Il ressort de l'attestation du directeur territorial de l'OFII, datée du 19 août 2019, versée au débat, qu'un rapport médical a été établi le 18 décembre 2017 par le Dr Pacaud. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que l'avis du collège de médecins de l'OFII a été rendu le 22 janvier 2018 et que le médecin rapporteur, le Dr Pacaud, n'a pas siégé au sein du collège qui a rendu l'avis sur l'état de santé du fils des requérants. Enfin, l'avis du 22 janvier 2018 porte la mention " Après en avoir délibéré, le collège des médecins de l'OFII émet l'avis suivant " et cette mention du caractère collégial de l'avis fait foi jusqu'à preuve du contraire.
9. Par ailleurs, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, le préfet du Rhône pouvait légalement se fonder sur l'avis du 22 janvier 2018 du collège de médecins de l'OFII, quand bien même il était intervenu plus d'un an avant l'arrêté en litige, dès lors qu'aucun élément d'ordre médical dûment porté à la connaissance du préfet ne permettait de considérer qu'il était devenu caduc par suite d'un changement de circonstance de fait.
10. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure suivie doit être écarté.
11. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si leur présence constitue une menace pour l'ordre public, une autorisation provisoire de séjour est délivrée aux parents étrangers de l'étranger mineur qui remplit les conditions mentionnées au 11° de l'article L. 313-11, ou à l'étranger titulaire d'un jugement lui ayant conféré l'exercice de l'autorité parentale sur ce mineur, sous réserve qu'ils justifient résider habituellement en France avec lui et subvenir à son entretien et à son éducation, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. "
12. Il ressort des pièces du dossier que, selon l'avis rendu par le collège des médecins de l'OFII, si l'état de santé du jeune B... E... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il peut effectivement bénéficier d'une telle prise en charge dans son pays d'origine. Les requérants n'apportent aucun élément probant de nature à établir que la pathologie de l'enfant, qui est atteint de surdité, d'une forte myopie et de troubles du comportement ne pourrait être prise en charge en Russie, pays dont ils ont la nationalité, ou qu'il ne pourrait pas bénéficier d'un accès effectif à un traitement du fait de ses origines tchétchènes. Par suite, le préfet du Rhône n'a pas méconnu les dispositions de l'article citées au point précédent en refusant de délivrer une autorisation de séjour à ses parents.
13. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
14. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme E... ne résidaient en France que depuis trois années, à la date des décisions en litige, et qu'ainsi qu'il a été dit au point 12, leur enfant B... peut bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé dans le pays dont ils ont la nationalité. Dans ces conditions, et même si M. E... bénéficiait d'un contrat de travail à la date du refus, les décisions refusant de leur délivrer un titre de séjour n'ont pas porté à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elles ont été prises et n'ont pas méconnu les dispositions et stipulations citées au point précédent.
15. En sixième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
16. Ainsi qu'il a été dit au point 12, les requérants n'établissent pas que, contrairement à ce qu'a estimé le collège des médecins de l'OFII, leur enfant aîné ne pourrait bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé en Russie. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier qu'il ne pourrait y suivre une scolarité dans un établissement adapté, ni qu'un départ de France entraînerait pour lui des pertes de repère telles que son développement puisse être affecté dans des conditions portant atteinte à son intérêt supérieur. Par suite, le moyen tiré de ce que les refus de séjour méconnaissent les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale sur les droits de l'enfant doit être écarté.
Sur les obligations de quitter le territoire français :
17. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme E... ne sont pas fondés à exciper de l'illégalité des refus de séjour à l'appui de leurs conclusions dirigées contre les décisions les obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de destination.
18. Pour les motifs exposés aux points 14 et 16, les décisions portant obligation de quitter le territoire français ne méconnaissent pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni l'article 3-1 de la convention internationale sur les droits de l'enfant, ni, enfin, les articles 7 et 24 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
19. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que les arrêtés des 25 avril 2019 par lesquels le préfet du Rhône a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination sont entachés d'illégalité et à en demander l'annulation. Leurs conclusions aux fins d'injonction et celles qu'ils présentent, au bénéfice de leur conseil, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 20 janvier 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées devant le tribunal administratif de Lyon par Mme C... E... et M. A... E... et le surplus de leurs conclusions en appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... E... et à M. A... E..., ainsi qu'au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 5 janvier 2021 à laquelle siégeaient :
M. Thierry Besse, président,
Mme I... G..., première conseillère,
Mme H... F..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 janvier 2021.
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N° 20LY01328