Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 17 décembre 2020, et un mémoire complémentaire enregistré le 2 avril 2021, Mme B... C..., représentée par Me Albertin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 24 novembre 2020 ;
2°) d'annuler cet arrêté du 14 août 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Drôme de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " dans le délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande après lui avoir délivré une autorisation provisoire de séjour dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier, les premiers juges ayant procédé à une substitution de motif non sollicitée par le préfet de la Drôme ;
- le refus de titre de séjour est illégal, en l'absence de consultation de la commission du titre de séjour ;
- le refus de titre de séjour méconnaît le 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le refus de titre de séjour méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le refus de titre de séjour est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- elle est fondée à exciper de l'illégalité du refus de séjour à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français méconnait le 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale sur les droits de l'enfant ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle.
Par un mémoire enregistré le 16 juillet 2021, le préfet de la Drôme conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête d'appel n'est fondé.
Par décision du 20 janvier 2021, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale à Mme C....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
La présidente de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Besse, président-assesseur ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante arménienne née en 1971, est entrée en France en 2009. Elle a déposé une demande d'asile qui a été rejetée en dernier lieu par la Cour nationale du droit d'asile le 30 avril 2011. Elle a déposé une demande de réexamen de sa demande d'asile, rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 22 septembre 2011, puis la Cour nationale du droit d'asile le 24 septembre 2012. Elle a fait l'objet de trois mesures d'éloignement les 31 mai 2011, 4 février 2015 et 3 décembre 2018. Le 20 février 2020, elle a déposé une demande de titre de séjour en invoquant sa qualité de mère d'enfant français. Par arrêté du 14 août 2020, le préfet de la Drôme a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme C... relève appel du jugement du 24 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de la Drôme a refusé de délivrer un titre de séjour à Mme C... au motif qu'elle ne remplissait pas les conditions de délivrance du titre de séjour prévu par les dispositions alors en vigueur du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il n'était pas justifié que le père français de l'enfant contribuait à son entretien et à son éducation. Pour écarter les moyens tirés de l'erreur de droit et de l'erreur d'appréciation commises par le préfet dans l'application de ces dispositions, les premiers juges ont considéré que le préfet avait entendu se fonder sur le fait que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour et sur la fraude ainsi commise dans la demande. En statuant ainsi, le tribunal a procédé à une substitution de motifs sans y avoir été invité par l'administration. Par suite, le jugement attaqué, rendu en méconnaissance du principe du contradictoire est, pour ce motif, entaché d'irrégularité et doit être annulé.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Grenoble.
Sur le refus de séjour :
4. En premier lieu, l'arrêté attaqué a été signé par M. Patrick Vieillescazes, secrétaire général de la préfecture de la Drôme, qui disposait à cet effet d'une délégation de signature consentie par le préfet de la Drôme le 9 septembre 2019, régulièrement publiée. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision en litige doit être écarté.
5. En deuxième lieu, aux termes du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans (...) /Lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent, en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, justifie que ce dernier contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du même code, ou produit une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant ".
6. Il résulte des dispositions du IV de l'article 71 de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 que le second alinéa du 6° de l'article L. 313-11 tel qu'il résulte des dispositions du I de l'article 55 de ladite loi, entré en vigueur le 1er mars 2019, s'applique à la demande de Mme C..., présentée le 20 février 2020. Par suite, c'est sans entacher sa décision d'une erreur de droit que le préfet a opposé à la demande de l'intéressée le fait que le père français ne justifiait pas contribuer à l'entretien et à l'éducation de l'enfant.
7. Il ressort des pièces du dossier que M. F..., de nationalité française, a reconnu le 13 juin 2019 la fille de Mme C... née le 4 août 2013. Toutefois, pour établir la contribution du père français, qui ne vit pas avec les intéressées, à l'entretien et à l'éducation de sa fille, la requérante se borne à produire des attestations très peu circonstanciées sur la nature et l'intensité des liens entre le père et l'enfant, et un document attestant du versement d'une somme d'argent de 100 euros en décembre 2019. Alors que Mme C... n'avait pas fait état, dans ses demandes précédentes, du fait que sa fille serait de nationalité française, ces éléments ne peuvent être regardés comme de nature à établir que M. F... contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant. En l'absence de lien établi entre le père et l'enfant, d'une part, et alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la fille A... la requérante ne pourrait poursuivre sa scolarité en Arménie, où elle peut accompagner sa mère, le refus de séjour opposé par le préfet de la Drôme ne porte pas une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée et familiale de Mme D... et ne méconnaît pas l'intérêt supérieur de sa fille. Par suite, en refusant de délivrer un titre de séjour sur le fondement des dispositions citées au point 5, le préfet de la Drôme n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.
8. En troisième lieu, le préfet n'est tenu, en application de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de saisir la commission du titre de séjour que du cas des seuls étrangers qui remplissent effectivement les conditions permettant d'obtenir de plein droit un titre de séjour. Mme C... n'établissant pas être en situation de bénéficier de plein droit d'un titre de séjour en France sur le fondement des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet n'était pas tenu de saisir la commission du titre de séjour sur le fondement de cet article. Le moyen tiré de ce que le refus de titre a été pris à la suite d'une procédure irrégulière doit, par suite, être écarté.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
10. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... est entrée en France en juillet 2009 et qu'elle s'y est maintenue depuis cette date en dépit de trois mesures d'éloignement. Elle fait valoir par ailleurs qu'elle a exercé une activité professionnelle entre juin 2019 et juillet 2020 et que sa fille, née en France en 2013, y est scolarisée. Toutefois, compte tenu des conditions de séjour en France de Mme C..., qui ne justifie pas par ailleurs d'une particulière insertion dans la société française, et alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la fille de Mme D... ne pourrait être scolarisée en Arménie, la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour ne porte pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle n'est pas, non plus, entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
11. Il résulte en premier lieu de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision de refus de séjour à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision l'obligeant à quitter le territoire français.
12. En deuxième lieu, aux termes du 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile aux termes duquel dans sa version alors en vigueur : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (...) en application du présent chapitre : (...) 6° L'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ".
13. Ainsi qu'il a été dit au point 7, il ne ressort pas des pièces du dossier que le père français de l'enfant de Mme C... contribuerait à son entretien et à son éducation, ni qu'il entretiendrait des liens avec celle-ci, qu'il n'a reconnu que six années après sa naissance. Par ailleurs, le préfet de la Drôme fait valoir que l'intéressée ne s'était jamais prévalu de sa qualité de mère d'enfant français lors de ses précédentes demandes de titre de séjour. Dans ces conditions, et compte tenu de ce que les documents produits par la requérante sont très peu circonstanciés, le préfet de la Drôme établit que, comme il le fait valoir en défense, la reconnaissance de paternité n'avait été souscrite qu'en vue de faciliter l'obtention d'un titre de séjour. Par suite, et au regard du caractère frauduleux de cet acte, auquel il appartenait au préfet de faire obstacle, le moyen tiré de ce que la décision obligeant Mme D... à quitter le territoire français méconnaît les dispositions du 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
14. En troisième lieu, pour les motifs exposés au point 7, les moyens selon lesquels la décision obligeant Mme C... à quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle doivent être écartés.
15. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, que la fille A... la requérante entretiendrait des liens particuliers avec la personne qui l'a reconnue en 2013, ni qu'elle ne pourrait poursuivre sa scolarité en Arménie. Dans ces conditions, la décision obligeant Mme C... à quitter le territoire français ne méconnaît pas l'intérêt supérieur de son enfant, garanti par les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale sur les droits de l'enfant.
16. Il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté du 14 août 2020 par lequel le préfet de la Drôme a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligée à quitter le territoire français est entaché d'illégalité et à en demander l'annulation. Par voie de conséquence, ses conclusions à fins d'injonction doivent également être rejetées.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de Mme C..., partie perdante pour l'essentiel, tendant à la mise à la charge de l'Etat, au profit de son conseil, d'une somme au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2004913 du 24 novembre 2020 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Grenoble par Mme C... et le surplus de ses conclusions en appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Drôme.
Délibéré après l'audience du 7 septembre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Danièle Déal, présidente de chambre,
M. Thierry Besse, président-assesseur,
M. François Bodin-Hullin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 septembre 2021.
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N° 20LY03716