Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 13 juillet 2020, M. C... et Mme D..., représentés par Me A..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 24 février 2020 ainsi que les arrêtés du préfet du Rhône du 24 juillet 2019 ;
2°) d'enjoindre au préfet du Rhône, à titre principal, de leur délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois et, à titre subsidiaire, de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour les autorisant à travailler, sans délai à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à leur conseil en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement est irrégulier, faute pour le magistrat désigné d'avoir motivé sa réponse au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant ;
- le préfet a entaché sa décision de refus de titre de séjour d'une erreur d'appréciation pour l'application du 11° de l'article L. 313-11 du même code ; les certificats médicaux versés aux débats établissent que Mme D... encourt des risques d'une exceptionnelle gravité en cas de défaut de prise en charge médicale ;
- le refus de titre de séjour opposé à M. C... méconnaît l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;
- les décisions leur refusant un titre de séjour méconnaissent l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant ;
- ils sont fondés à exciper de l'illégalité de la décision leur refusant un titre de séjour à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire
- les décisions portant obligation de quitter le territoire méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant et sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation ;
- ils sont fondés à exciper de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire à l'encontre de la décision fixant le pays de destination.
Le préfet du Rhône, à qui la requête a été communiquée, n'a pas produit de mémoire en défense.
M. C... et Mme D... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 3 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E..., première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. M. C... et Mme D..., ressortissants angolais nés respectivement le 11 octobre 1983 et le 9 avril 1991, sont entrés en France le 23 janvier 2016 accompagnés d'un enfant né le 28 juin 2009. Leur demande d'asile respective a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 23 mars 2017 puis par la Cour nationale du droit d'asile le 20 février 2018. Le 13 octobre 2017, Mme D... a demandé son admission au séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et son époux, le 15 mai 2018, en se prévalant de sa qualité d'accompagnant d'un étranger malade et sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du même code. Le préfet du Rhône a refusé de délivrer ces deux titres de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination vers lequel chacun d'eux pourra être éloigné d'office par deux arrêtés du 24 juillet 2019. M. C... et Mme D... relèvent appel du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon du 24 février 2020 qui, après les avoir jointes, a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces deux arrêtés du préfet du Rhône.
Sur la régularité du jugement :
2. En se bornant à écarter le moyen tiré de ce que les décisions portant refus de titre de séjour méconnaissaient l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant sans en exposer les motifs, le premier juge a omis de motiver sa réponse à ce moyen, qui n'était pas inopérant. Le jugement attaqué, qui est irrégulier, doit donc être annulé. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées par M. C... et Mme D... devant le tribunal administratif de Lyon.
Sur la légalité des refus de titres de séjour :
3. En premier lieu, les décisions de refus de séjour énoncent de manière détaillée les considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet s'est fondé, en indiquant notamment, s'agissant de l'état de santé de Mme D..., que celle-ci nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'elle peut voyager sans risque vers le pays dont elle a la nationalité. Par suite, elles répondent aux exigences des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
4. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Rhône ait omis de procéder à un examen particulier de chaque demande.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 31322 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile " Pour l'application du 11° de l'article L. 31311, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé (...) ". Aux termes de l'article R. 313-23 du même code : " (...) le service médical de l'office informe le préfet qu'il a transmis au collège de médecins le rapport médical. (...) / Le collège à compétence nationale, composé de trois médecins, émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du présent article. La composition du collège et, le cas échéant, de ses formations est fixée par décision du directeur général de l'office. Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège. ". Aux termes de l'article 5 de l'arrêté du 27 décembre 2016 susvisé : " Le collège de médecins à compétence nationale de l'office comprend trois médecins instructeurs des demandes des étrangers malades, à l'exclusion de celui qui a établi le rapport (...) ". Enfin, aux termes de l'article 6 du même arrêté : " (...) Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle. L'avis émis à l'issue de la délibération est signé par chacun des trois médecins membres du collège. ".
6. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que l'avis médical destiné à éclairer la décision du préfet doit être pris au vu d'un rapport médical spécialement établi par un médecin ne siégeant pas au sein du collège de médecins de l'OFII qui rendra l'avis final, auquel il incombe d'instruire le dossier et à qui ledit collège de médecins pourra, en tant que de besoin, demander toute précision complémentaire utile à son appréciation. La régularité de l'avis émis, et par suite de la décision préfectorale, sont dès lors subordonnées à ce que cet avis ait pu être rendu après que le dossier ait été régulièrement instruit par le rapporteur et éclairé par son rapport. Par ailleurs aucune disposition ne prévoit la communication de l'avis ainsi émis au demandeur avant que la décision préfectorale soit édictée.
7. Il ressort de l'attestation du directeur territorial de l'OFII, datée du 22 octobre 2019, versée au débat, qu'un rapport médical a été établi le 18 avril 2018 par le Dr Delaforest. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que l'avis du collège de médecins de l'OFII a été rendu le 20 août 2018 et que le médecin rapporteur, le Dr Delaforest, n'a pas siégé au sein du collège qui a rendu l'avis sur l'état de santé de Mme D.... Enfin, l'avis du 20 août 2018 porte la mention " Après en avoir délibéré, le collège des médecins de l'OFII émet l'avis suivant " et cette mention du caractère collégial de l'avis fait foi jusqu'à preuve du contraire. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure suivie doit être écarté.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
9. Il ressort des pièces du dossier que, selon l'avis rendu par le collège des médecins de l'OFII, si l'état de santé de Mme D... nécessite une prise en charge médicale, le défaut d'une telle prise en charge ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'elle peut voyager sans risque vers son pays d'origine. Les requérants n'apportent pas d'élément probant de nature à infirmer l'appréciation portée par le collège des médecins de l'OFII sur la pathologie de Mme D..., qui a été atteinte d'une tuberculose extra pulmonaire ayant lésé les ganglions du cou et la tête et le foie. De plus, en se bornant à verser aux débats un certificat médical daté du 11 décembre 2018 attestant du suivi par Mme D... de sa radiothérapie et de la circonstance qu'elle aurait développé une asthénie, les requérants n'établissent pas une évolution de la pathologie de Mme D... remettant en cause l'appréciation portée par le collège de médecins de l'OFII. Par suite, le préfet du Rhône n'a pas méconnu les dispositions du 11° de l'article L.313-11 citées au point précédent en refusant de délivrer un titre de séjour à Mme D....
10. Par ailleurs il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet aurait commis une erreur de fait en retenant que M. C... ne remplissait pas les conditions de délivrance d'une carte de séjour portant la mention vie privée et familiale au motif que son épouse ne remplit pas les conditions de délivrance d'un titre de séjour au titre des dispositions précédentes.
11. En sixième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. C... et Mme D... ne résidaient en France que depuis trois ans et six mois, à la date des décisions en litige et n'établissent pas leur intégration dans la société française. Dans ces conditions, les décisions refusant de leur délivrer un titre de séjour n'ont pas porté à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elles ont été prises et n'ont pas méconnu les dispositions et stipulations citées au point précédent, ni ne sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences sur la situation personnelle de chacun des requérants.
12. En septième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
13. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que les deux enfants aînés du couple âgés de dix et trois ans ne pourraient poursuivre leur scolarité en Angola alors même qu'ils ont été scolarisés trois années pour l'aîné et une année pour le deuxième enfant du couple en école élémentaire en France et que l'aîné montre une bonne maîtrise de la langue française. Par suite, le moyen tiré de ce que les refus de séjour méconnaissent les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale sur les droits de l'enfant doit être écarté.
Sur les obligations de quitter le territoire français et les décisions fixant le pays de destination :
14. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. C... et Mme D... ne sont pas fondés à exciper de l'illégalité des refus de séjour à l'appui de leurs conclusions dirigées contre les décisions les obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de destination.
15. En deuxième lieu, pour les motifs exposés aux points 11 et 13, les décisions portant obligation de quitter le territoire français ne méconnaissent pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni l'article 3-1 de la convention internationale sur les droits de l'enfant, ni ne sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences sur la situation personnelle de chacun des requérants.
16. En troisième et dernier lieu, alors que l'avis du collège des médecins de l'OFII précise que la requérante peut voyager sans risque vers son pays d'origine, la décision obligeant Mme D... à quitter le territoire français ne méconnait pas l'article L. 511-4 10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
17. Il résulte de ce qui précède que M. C... et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que les arrêtés des 24 juillet 2019 par lesquels le préfet du Rhône a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination sont entachés d'illégalité et à en demander l'annulation. Leurs conclusions aux fins d'injonction et celles qu'ils présentent, au bénéfice de leur conseil, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 24 février 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : Les demandes de M. C... et Mme D... sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et Mme G... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 9 mars 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Danièle Déal, présidente ;
M. Thierry Besse, président-assesseur ;
Mme F... E..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mars 2021.
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N° 20LY01835