Par un jugement n° 1703297-1703298 du 7 septembre 2017, le tribunal administratif de Grenoble a joint ces deux demandes, a annulé ces décisions du préfet de la Savoie du 14 avril 2017, a enjoint au préfet de délivrer à M. et Mme C... une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement à l'avocat des demandeurs d'une somme de 1 000 euros au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 13 octobre 2017, le préfet de la Savoie demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 7 septembre 2017 ;
2°) de rejeter les demandes de M. et Mme C....
Il soutient que :
- sa décision refusant un titre de séjour aux intéressés ne méconnaît pas les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales eu égard aux conditions d'entrée et de séjour des intéressés en France et à la durée de ce séjour ;
- les autres moyens des demandes ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 mai 2018, M. et Mme A... et Salhida C..., représentés par Me B..., concluent au rejet de la requête et demandent que soit mis à la charge de l'Etat le versement à leur avocat d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- la requête du préfet n'est pas recevable faute d'avoir été présentée pour chacun d'eux et séparément ;
- les moyens soulevés par le préfet ne sont pas fondés.
M. et Mme C... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 7 novembre 2017.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Christine Psilakis, premier conseiller ;
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet de la Savoie relève appel du jugement du 7 septembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Grenoble, après avoir joint les demandes de M. et Mme A... et SalhidaC..., a annulé les décisions du 14 avril 2017 par lesquelles le préfet de la Savoie a refusé de leur délivrer un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi en cas d'éloignement forcé.
Sur la recevabilité de la requête d'appel :
2. Aucune disposition du code de justice administrative n'imposait au préfet, à peine d'irrecevabilité, de présenter des requêtes distinctes pour faire appel d'un jugement ayant statué, après jonction, sur des demandes distinctes présentées par deux époux contre des décisions relatives à leur droit au séjour au France.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Pour annuler les décisions en litige, le tribunal administratif de Grenoble s'est fondé sur le fait que le refus d'une carte de séjour temporaire porterait une atteinte disproportionnée au droit des intéressés au respect de leur vie privée et familiale en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; (...) ".
5. M. et Mme C... sont des ressortissants du Kosovo nés respectivement le 26 mai 1981 et le 3 décembre 1984. En 2013, ils ont séjourné quelques mois en France et ont fait l'objet d'une remise par les autorités françaises aux autorités suisses, responsables de l'examen de leur première demande d'asile dans l'espace Schengen et ont été renvoyés vers le Kosovo. Ils sont entrés à nouveau en France en novembre 2014, accompagnés de leurs deux enfants nés en 2005 et 2009 et ont déposé une nouvelle demande d'asile au titre de laquelle le préfet de l'Isère a refusé de les admettre provisoirement au séjour. Leurs demandes d'asile ont été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 31 juillet 2015 et par la Cour nationale du droit d'asile le 21 avril 2016. Ils ont fait l'objet d'un premier refus de titre de séjour et d'une obligation de quitter le territoire le 4 juillet 2016 qu'ils n'ont pas exécutée. Si les parents de Mme C... séjournent régulièrement en France sous couvert d'une carte de résident et si les intimés se prévalent d'une bonne intégration avec leurs enfants du fait de leur connaissance de la langue française, de leur participation à l'activité associative locale et de promesses d'embauche, ils ne peuvent être regardés comme ayant installé le centre de leurs intérêts privés et familiaux en France où ils ne résident que depuis un peu plus de deux années à la date des décisions en litige. Par ailleurs, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que la cellule familiale ne pourrait se reconstituer au Kosovo où les risques d'agression allégués ne sont pas établis. Dans ces conditions, la décision de refus de séjour n'a pas porté à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des objectifs qu'elle poursuit et ne méconnaît ni l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet de la Savoie est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges se sont fondés sur une telle méconnaissance pour annuler ses décisions du 14 avril 2017.
6. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme C... tant en première instance qu'en appel.
Sur les autres moyens de M. et Mme C... :
En ce qui concerne le refus de titre de séjour et l'obligation de quitter le territoire :
7. Premièrement, la décision de refus de séjour ainsi que celle obligeant M. et Mme C... à quitter le territoire dans un délai de trente jours comportent la mention des éléments de droit qui les fondent et les motifs pour lesquels le préfet de la Savoie a estimé que la situation des intéressés ne justifie pas la délivrance d'une carte de séjour temporaire. Cette motivation révèle que le préfet a effectué un examen particulier de la situation personnelle de M. et Mme C..., contrairement à ce qu'ils soutiennent.
8. Deuxièmement, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. (...) ". Ni la situation de M. et Mme C... telle qu'elle est exposée au point 5 ni les promesses d'embauche versées aux débats ne permettent de regarder les refus du préfet de prendre une mesure de régularisation en leur faveur au titre de ces dispositions comme étant entachés d'une erreur manifeste d'appréciation.
9. Troisièmement, si l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant impose de prendre en compte l'intérêt supérieur des enfants dans toute décision les concernant, les décisions en litige ne peuvent être regardées comme contraires à ces stipulations dès lors qu'elles n'ont pas pour effet de séparer les enfants de M. et Mme C... de leurs parents et que la cellule familiale a vocation à se reconstituer au Kosovo.
En ce qui concerne le pays de renvoi :
10. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Les intimés soutiennent encourir des risques en cas de retour au Kosovo, du fait de l'engagement politique de M. C... au sein d'un parti politique affilié à la minorité bosniaque. Mais par ces seules allégations et alors que leurs demandes d'asile ont été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile, M. et Mme C... n'établissent pas qu'ils seraient exposés, en cas de retour au Kosovo, à y subir des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 10, les décisions fixant le pays de renvoi en cas d'éloignement forcé ne sont pas entachées d'une erreur manifeste d'appréciation quant à leurs conséquences sur la situation de M. et Mme C....
12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Savoie est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé ses arrêtés du 14 avril 2017 portant refus de délivrer un titre de séjour à M. et Mme C..., obligation pour ceux-ci de quitter le territoire français dans un délai de tente jours et désignation du pays de renvoi en cas d'éloignement forcé. Le préfet est ainsi fondé à demander l'annulation de ce jugement et le rejet de l'ensemble des conclusions des demandes de M. et Mme C... devant le tribunal administratif de Grenoble.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante, la somme que M. et Mme C... demandent au titre des frais qu'ils ont exposés.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 7 septembre 2017 est annulé.
Article 2 : Les demandes de M. et Mme C... devant le tribunal administratif de Grenoble ainsi que leurs conclusions en appel tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme C... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Savoie.
Délibéré après l'audience du 11 septembre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Yves Boucher, président de chambre,
M. Antoine Gille, président-assesseur,
Mme Christine Psilakis, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 octobre 2018.
2
N° 17LY03647
md