Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 25 juillet 2017 et 30 mai 2018, la commune de Valjouffrey, représentée par la SCP C...-Jorquera et associés, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 18 mai 2017 ;
2°) de mettre à la charge de M. A... D...la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier, le tribunal ayant insuffisamment motivé sa décision, négligé de rechercher si la réalité du projet invoqué était établie en tenant compte des éléments avancés par elle, et méconnu le champ du droit de préemption en excluant son exercice en vue d'un échange de terrains ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, la préemption est justifiée par un projet réel.
Par des mémoires en défense enregistrés les 16 avril et 18 septembre 2018, M. et Mme A...D..., représentés par la SELARL CDMF-avocats affaires publiques, concluent au rejet de la requête et demandent à la cour :
1°) d'enjoindre à la commune de leur céder la parcelle en litige dans un délai de quinze jours sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Valjouffrey la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que les moyens de la requête ne sont pas fondés, que le conseil municipal n'était pas compétent pour décider d'exercer le droit de préemption, qu'il n'est pas justifié de l'habilitation de l'adjoint qui a pris la décision du 23 janvier 2015, et que la décision de préemption est entachée d'un détournement de pouvoir et de procédure.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Antoine Gille, président-assesseur ;
- les conclusions de Mme VéroniqueVaccaro-Planchet, rapporteur public ;
- et les observations de Me C... pour la commune de Valjouffrey, ainsi que celles de Me B... pour M. et Mme D... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme D... se sont portés acquéreurs d'une parcelle cadastrée section A n° 1292 située, au lieu-dit "Les Ségoins", à Valjouffrey. La commune de Valjouffrey relève appel du jugement du 18 mai 2017 par lequel, à la demande de M. et Mme D..., le tribunal administratif de Grenoble a annulé la délibération de son conseil municipal du 16 janvier 2015 ainsi que la décision de son maire du 23 janvier 2015 relatives à l'acquisition de cette parcelle par voie de préemption.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Pour faire droit à la demande d'annulation formée par les épouxD..., le tribunal administratif s'est fondé sur la circonstance qu'il n'était pas justifié de la réalité du projet d'établissement d'une voie de desserte invoqué par la commune pour justifier la préemption en litige, que l'implantation de la station d'épuration également projetée par la commune n'était pas prévue sur la parcelle en cause mais sur des parcelles voisines, et que la parcelle A 1292 n'était acquise qu'en vue d'un échange avec les parcelles d'emprise de ce dernier projet.
3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1 (...) ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 300-1 du même code : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. ". Il résulte des dispositions de l'article L. 210-1 que, pour exercer légalement ce droit, les collectivités titulaires du droit de préemption urbain doivent justifier, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date.
4. D'une part, la production par la commune de Valjouffrey de la délibération de son conseil municipal du 14 février 2014 décidant de solliciter une aide financière de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse et du département de l'Isère, du rapport géotechnique de la société E.G Sol en date du 23 juillet 2014, de la notice d'incidence en date du 19 septembre 2014 adressée au mois de novembre 2014 aux services de la direction départementales des territoires de la préfecture de l'Isère et des différents courriers échangés avec ceux-ci avant qu'ils n'émettent un avis favorable le 5 janvier 2015, établit la réalité, à la date de la préemption en litige, du projet de la commune de Valjouffrey de réaliser une station d'épuration en vue de l'assainissement du hameau de La Chalp. Il ressort également du dossier, en particulier du courrier de la direction des territoires de la préfecture de l'Isère du 3 novembre 2014 auquel il a été donné suite, que ce projet impliquait également la réalisation, en amont du filtre devant être implanté sur les parcelles n° 1294 et 1295, d'un ouvrage de protection contre les crues torrentielles que le maître d'oeuvre du projet, ainsi qu'il ressort des termes de son courrier du 28 novembre 2014, a envisagé de réaliser sous la forme d'un merlon supportant une voie permettant d'améliorer l'accès à la partie haute du quartier des Ségoins.
5. D'autre part, et alors même que la commune envisage d'en céder une partie dont elle n'aurait pas l'usage dans le cadre d'un échange avec des parcelles voisines, il ressort des pièces du dossier que l'acquisition de la parcelle n° 1292 en litige, qui se trouve à proximité immédiate et en amont des parcelles n° 1294 et 1295 destinées à l'implantation d'ouvrages de la station d'épuration et qui jouxte la partie haute du quartier des Ségoins, doit permettre d'accueillir l'ouvrage de protection de ces ouvrages et la voie de desserte qui, ainsi qu'il a été exposé au point précédent, s'inscrivent dans le projet global justifiant la préemption.
6. Il résulte de ce qui précède que la commune de Valjouffrey est fondée à soutenir que, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, la préemption en litige est justifiée, tant en ce qui concerne la réalisation d'une station d'épuration qu'en ce qui concerne celle d'une voie de desserte, par un projet réel d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 précité du code de l'urbanisme.
7. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme D....
Sur les autres moyens soulevés par M. et MmeD... :
8. En premier lieu, pour soutenir que la préemption en litige n'a pu valablement être décidée par la délibération du conseil municipal de Valjouffrey du 16 janvier 2015, M. et Mme D... font valoir que le conseil municipal s'est dessaisi de sa compétence pour l'exercice du droit de préemption en déléguant celui-ci au maire par sa délibération du 11 avril 2014 prise en application de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales. Il ressort cependant des pièces du dossier que le maire de Valjouffrey est propriétaire des terrains d'emprise de la station d'épuration projetée dont la délibération en litige envisage l'acquisition notamment par voie d'échange avec le reliquat de la parcelle n° 1292. Le maire de Valjouffrey doit ainsi être regardé, dans les circonstances de l'affaire, comme ayant été empêché au sens de l'article L. 2122-23 du code général des collectivités territoriales, dont le deuxième alinéa prévoit qu'en cas d'empêchement du maire les décisions relevant de la délégation prévue à l'article L. 2122-22 sont prises par le conseil municipal.
9. En deuxième lieu, pour soutenir que la décision du premier adjoint au maire du 23 janvier 2015 relative à la préemption en litige a également été prise par une autorité incompétente, M. et Mme D... font valoir qu'il appartenait au seul conseil municipal de décider de préempter cette parcelle. La décision du 23 janvier 2015, qui réitère de façon superfétatoire le dispositif de la délibération du 16 janvier 2015 à laquelle elle se réfère, ne saurait cependant en l'espèce être regardée comme une décision de préempter, mais constitue la décision par laquelle le premier adjoint au maire, qui remplace de plein droit le maire empêché en vertu de l'article L. 2122-17 du code général des collectivités territoriales, a pris les mesures destinées à l'exécution de la décision de préemption du 16 janvier précédent.
10. En troisième et dernier lieu, compte tenu des développements qui précèdent relatifs à la consistance et à la réalité du projet en vue duquel la préemption en litige a été décidée, le moyen tiré de ce que cette préemption procèderait d'un détournement de pouvoir et de procédure doit être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, que la commune de Valjouffrey est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la délibération de son conseil municipal du 16 janvier 2015 ainsi que la décision de son maire du 23 janvier suivant, et à demander, outre l'annulation de ce jugement, le rejet des conclusions de la demande de M. et Mme D... dirigées contre ces décisions.
Sur les conclusions à fin d'injonction formées par M. et MmeD... :
12. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions de la demande de M. et Mme D... tendant à l'annulation des décisions des 16 et 23 janvier 2015 n'appelle aucune mesure d'exécution.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que M. et Mme D... demandent au titre des frais qu'ils ont exposés soit mise à la charge de la commune de Valjouffrey, qui n'est pas partie perdante. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de M. et Mme D... le versement de la somme globale de 2 000 euros au titre des frais exposés par la commune de Valjouffrey.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 18 mai 2017 est annulé.
Article 2 : La demande de M. et Mme D... devant le tribunal administratif de Grenoble ainsi que leurs conclusions en appel sont rejetées.
Article 3 : M. et Mme D... verseront à la commune de Valjouffrey la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Valjouffrey et à M. et Mme A...D....
Délibéré après l'audience du 25 septembre 2018, à laquelle siégeaient :
M. Yves Boucher, président de chambre ;
M. Antoine Gille, président-assesseur ;
Mme Bénédicte Lordonné, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 16 octobre 2018.
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N° 17LY02879
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