Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 13 avril 2018 et un mémoire complémentaire enregistré le 24 avril 2018, Mme C... B..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 12 mars 2018 ;
2°) d'annuler ces décisions du préfet de la Haute-Savoie du 24 octobre 2017 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie de réexaminer sa demande et de lui délivrer une carte de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en refusant de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au motif qu'elle était majeure à la date à laquelle elle a été prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance, le préfet de la Haute-Savoie a méconnu l'autorité de chose jugée s'attachant à l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 7 février 2017 et a entaché sa décision d'une erreur de fait ;
- elle peut bénéficier d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision de refus de titre de séjour méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
La requête a été communiquée au préfet de la Haute-Savoie qui n'a pas produit de mémoire.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 23 mai 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique, le rapport de M. Thierry Besse, premier conseiller ;
Considérant ce qui suit :
1. MmeB..., de nationalité angolaise, qui déclare être née le 4 avril 1997, est entrée en France en mai 2013. Elle a été confiée aux services de l'aide sociale à l'enfance de la Haute-Savoie par une ordonnance du juge des enfants du tribunal de grande instance d'Annecy du 19 février 2014. Le 10 octobre 2014, elle a demandé la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par décision du 5 novembre 2015, le préfet de la Haute-Savoie a rejeté sa demande. Cette décision a été annulée par un arrêt de la la cour du 7 février 2017. Ressaisi de la demande de titre de séjour, le préfet de la Haute-Savoie a, par arrêté du 24 octobre 2017, refusé de délivrer un titre de séjour à Mme B..., l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être éloignée d'office. Mme B... relève appel du jugement du 12 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur la légalité des décisions du préfet de la Haute-Savoie du 24 octobre 2017 :
2. Aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue au 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention "salarié" ou la mention "travailleur temporaire" peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigé. ".
3. Il ressort des pièces du dossier que la requérante a produit à l'appui de sa demande de titre de séjour un acte de naissance et un document "tenant lieu de passeport" émis par le consulat général de la République d'Angola à Paris le 24 juillet 2014 dans l'attente de la délivrance d'un passeport. Ces documents mentionnent tous deux qu'elle se nomme Nadia EdmundoB..., de nationalité angolaise, née le 4 avril 1997. Pour soutenir que l'intéressée était majeure à la date à laquelle elle a été confiée à l'aide sociale à l'enfance, le préfet de la Haute-Savoie fait état de la consultation de la base de données Visabio qui a révélé, à partir du relevé de ses empreintes digitales, qu'elle avait demandé en décembre 2012 en Angola un passeport en se prévalant d'une autre identité et en indiquant être née le 3 mai 1975. Mais, et alors que des déclarations faites en décembre 2012 par l'intéressée ne peuvent à elles seules valoir preuve de son identité et de son âge, il ressort suffisamment des différentes pièces produites au dossier que la requérante n'était pas âgée de trente-neuf ans lorsqu'elle a été confiée aux services de l'aide sociale à l'enfance, ainsi que le soutient le préfet de la Haute-Savoie. Dans ces conditions, et en l'absence de tout autre élément permettant de mettre en doute la réalité des faits énoncés par les documents présentés par la requérante, le préfet de la Haute-Savoie n'établit pas que l'intéressée aurait indûment bénéficié d'une prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance ni que, pour ce motif, elle n'entrait pas dans le champ des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que les décisions du préfet de la Haute-Savoie du 24 octobre 2017 sont illégales et que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à leur annulation.
Sur les conclusions à fins d'injonction :
5. Si le présent arrêt n'implique pas nécessairement, eu égard au motif d'annulation qu'il retient, que le préfet de la Haute-Savoie délivre une carte de séjour à Mme B..., il implique en revanche un réexamen par l'administration de la situation de la requérante. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie de procéder à ce réexamen dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
6. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de Mme B... tendant à ce que le versement d'une somme de 1 500 euros soit mis à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 12 mars 2018 et les décisions du préfet de la Haute-Savoie du 24 octobre 2017 portant refus de délivrance d'un titre de séjour à Mme B..., obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et désignation du pays de renvoi, sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Savoie de réexaminer la demande de Mme B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.
Délibéré après l'audience du 23 octobre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Yves Boucher, président de chambre,
M. Antoine Gille, président-assesseur,
M. Thierry Besse, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 20 novembre 2018.
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N° 18LY01350
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