Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 9 mars 2018, M. A... B..., représenté par Me Marcel, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 13 novembre 2017 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du préfet de l'Isère du 1er septembre 2017 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui délivrer une carte de séjour portant la mention "vie privée et familiale" sous astreinte de 200 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de le munir d'une autorisation provisoire de séjour et, dans le délai d'un mois, de procéder au réexamen de sa situation.
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- la décision portant refus de titre de séjour est insuffisamment motivée et a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière, faute de saisine de la commission du titre de séjour ;
- l'arrêté en litige porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
La requête a été communiquée au préfet de l'Isère, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 30 janvier 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique, le rapport de M. Antoine Gille, président-assesseur ;
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêté du 1er septembre 2017, le préfet de l'Isère a rejeté la demande de titre de séjour de M. B..., lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être éloigné d'office et a prononcé à son égard une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. M. B... relève appel du jugement du 13 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
3. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté en litige, M. B..., ressortissant albanais né en 1977 dont la demande d'asile a été rejetée en 2010, était revenu depuis plus de quatre ans en France où il demeurait aux côtés de son épouse, bénéficiaire d'une carte de résident et mère d'un enfant français, et de leur fils né en France au début de l'année 2016. Dans ces circonstances et alors même que l'intéressé n'a pas déféré à l'obligation de quitter le territoire français dont il a fait l'objet en 2014, la décision du 1er septembre 2017 refusant de lui délivrer un titre de séjour et prescrivant son éloignement porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts poursuivis, en violation des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande, et à demander, outre l'annulation de ce jugement, l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Isère du 1er septembre 2017 refusant de lui délivrer un titre de séjour et prescrivant son éloignement.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Eu égard au motif sur lequel elle se fonde et dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'un changement dans la situation de fait et de droit du requérant y fasse obstacle, l'annulation prononcée par le présent arrêt implique que le préfet de l'Isère délivre à M. B... une carte de séjour portant la mention "vie privée et familiale" après l'avoir muni d'une autorisation provisoire de séjour. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'adresser au préfet une injonction en ce sens et de fixer à deux mois le délai imparti pour son exécution. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
6. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de mettre à ce titre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros à Me Marcel, avocate du requérant, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 13 novembre 2017 et l'arrêté du préfet de l'Isère du 1er septembre 2017 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Isère de munir M. B... d'une autorisation provisoire de séjour puis, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, de lui délivrer la carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Article 3 : L'Etat versera à Me C... Marcel la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée :
- au préfet de l'Isère ;
- au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Grenoble.
Délibéré après l'audience du 9 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
M. Yves Boucher, président,
M. Antoine Gille, président-assesseur,
Mme Bénédicte Lordonné, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 30 octobre 2018
Le rapporteur,
Antoine Gille
Le président,
Yves Boucher
La greffière,
Fabienne Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et au préfet de l'Isère en ce qui les concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 18LY00926
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