Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 23 septembre 2020, M. A..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 10 août 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Drôme du 21 février 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Drôme, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " dans un délai de trente jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, ou subsidiairement, d'examiner à nouveau sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travailler dans le même délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. A... soutient que :
- il appartenait au préfet de saisir la DIRECCTE, laquelle refuse que les demandes d'autorisation de travail soient déposées auprès de ses services, aux fins qu'elle émette un avis et il ne pouvait prendre une décision sans attendre l'émission de cet avis ;
- en se bornant à lui opposer l'absence de contrat de travail visé par la DIRECCTE, sans examiner l'ensemble de sa situation, le préfet a insuffisamment motivé sa décision ;
- la décision de refus de titre de séjour en litige méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation sur les conséquences de la mesure sur sa situation personnelle ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 avril 2021 le préfet de la Drôme conclut au rejet de la requête.
Il s'en rapporte à ses écritures de première instance.
Le 23 décembre 2020, le bureau d'aide juridictionnel a constaté la caducité de la demande d'aide juridictionnelle formée par M. A....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi, fait à Rabat le 9 octobre 1987 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme B..., première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant marocain, né le 8 juillet 1977, est entré en France en 2013, selon ses déclarations, sous couvert d'une carte de séjour délivrée par les autorités espagnoles, portant la mention " résidence de longue durée " valable jusqu'au 6 octobre 2021. Le 4 février 2020, il a sollicité, auprès des services préfectoraux, la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987. Par un arrêté en date du 21 février 2020, le préfet de la Drôme a refusé de lui délivrer ce titre et a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français. M. A... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. Aux termes de l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 susvisé : " Les ressortissants marocains désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent accord, reçoivent, après le contrôle médical d'usage et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention " salarié " éventuellement assortie de restrictions géographiques ou professionnelles (...) ". Aux termes de l'article 9 de cet accord : " Les dispositions du présent Accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'Accord (...) ".
3. Il ressort de ces dispositions que l'accord franco-marocain renvoie, sur tous les points qu'il ne traite pas, à la législation nationale, en particulier aux dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du code du travail pour autant qu'elles ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l'accord et nécessaires à sa mise en oeuvre. Ainsi, en imposant la présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, l'article 3 cité ci-dessus doit être regardé comme renvoyant aux dispositions du 2° de l'article L. 5221-2 du code du travail.
4. Aux termes de l'article L. 5221-2 du code du travail : " Pour entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée, l'étranger présente : / 1° Les documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; / 2° Un contrat de travail visé par l'autorité administrative ou une autorisation de travail. ". Aux termes de l'article R. 5221-3 du même code : " L'autorisation de travail peut être constituée par l'un des documents suivants : / (...) 6° La carte de séjour temporaire portant la mention salarié, délivrée sur présentation d'un contrat de travail d'une durée égale ou supérieure à douze mois conclu avec un employeur établi en France, en application du 1° de l'article L. 313-10 du même code ou le visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois mentionné au 7° de l'article R. 311-3 du même code, accompagné du contrat de travail visé (...) ". Aux termes de l'article R. 5221-11 du même code : " La demande d'autorisation de travail relevant des 5°, 6°, 7°, 8°, 9°, 9° bis, 12° et 13° de l'article R. 5221-3 est faite par l'employeur. (...) ". Aux termes de l'article R. 5221-15 : " Lorsque l'étranger est déjà présent sur le territoire national, la demande d'autorisation de travail mentionnée à l'article R. 5221-11 est adressée au préfet de son département de résidence. ". Enfin, aux termes de l'article R. 5221-17 du même code : " La décision relative à la demande d'autorisation de travail mentionnée à l'article R. 5221-11 est prise par le préfet. Elle est notifiée à l'employeur ou au mandataire qui a présenté la demande, ainsi qu'à l'étranger ".
5. Il résulte de ces dispositions que la demande d'autorisation de travail présentée pour un étranger qui est déjà présent sur le territoire national doit être adressée au préfet, autorité investie du pouvoir décisionnel, par l'employeur et que, dans l'hypothèse où les services de la préfecture ou les services chargés de l'emploi ont été saisis d'une telle demande, le préfet ne peut refuser l'admission au séjour de l'intéressé au motif que ce dernier ne produit pas d'autorisation de travail ou de contrat de travail visé par l'autorité compétente. En pareille hypothèse, il appartient en effet au préfet de faire instruire la demande d'autorisation de travail par ses services avant de statuer sur la demande d'admission au séjour.
6. Il ressort de l'arrêté en litige que M. A... a saisi les services de la préfecture d'une demande de titre de séjour en qualité de " salarié " et a produit à l'appui de sa demande une demande d'autorisation de travail complétée par une entreprise établie en France, pour un emploi en contrat à durée indéterminée à temps complet rémunéré au SMIC à compter de février 2020. Il suit de là, ainsi qu'il a été dit au point ci-dessus, que le préfet de la Drôme ne pouvait, pour refuser de délivrer à M. A... un titre de séjour portant la mention " salarié ", se fonder sur le fait qu'il n'était pas muni d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes sans avoir, au préalable, fait instruire la demande d'autorisation de travail par ses services. Il ne ressort pas des pièces du dossier et n'est pas soutenu par le préfet qu'il aurait pris la même décision s'il s'était fondé sur l'autre motif opposé à M. A... pour lui refuser un titre de séjour, tiré de ce que l'examen médical d'usage n'a pas été réalisé.
7. Le préfet n'ayant, par ailleurs, pas sollicité de substitution de motifs, M. A... est fondé, sans qu'il soit besoin d'examiner ses autres moyens, à soutenir que la décision de refus de titre de séjour qui lui a été opposée est illégale ainsi que, par voie de conséquence, les décisions l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de destination.
8. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
9. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".
10. L'annulation par le présent arrêt de l'arrêté litigieux n'implique pas, eu égard à son motif, que M. A... soit mis en possession du titre de séjour sollicité mais implique seulement que sa demande soit réexaminée et que, dans l'attente, M. A... soit muni immédiatement d'une autorisation provisoire de séjour. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet de la Drôme de réexaminer la demande de M. A... dans un délai de deux mois et, dans l'attente, de le munir sans délai d'une autorisation provisoire de séjour. Il n'y a toutefois pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me D..., avocat de M. A..., au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me D... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
DECIDE :
Article 1er : L'arrêté du 21 février 2020 et le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 10 août 2020 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Drôme de réexaminer la demande de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification de cette décision et, dans l'attente, de le munir d'une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à Me D... au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me D... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Drôme et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Grenoble en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.
Délibéré après l'audience du 6 mai 2021, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme Evrard, présidente-assesseure,
Mme B..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juin 2021.
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N° 20LY02791
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