Par une requête, enregistrée le 10 décembre 2018, M. et Mme C..., représentés par Me D..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 11 octobre 2018 ;
2°) de prononcer la réduction des prélèvements sociaux auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2012, 2013 et 2014, à hauteur de la somme totale de 41 761 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'administration ne pouvait soumettre leurs revenus du patrimoine aux prélèvements sociaux sans méconnaître l'article 11 et le 2. de l'article 14 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;
- la circonstance que M. C... ne bénéficie pas de prestations sociales versées par le régime de sécurité sociale français fait obstacle à ce qu'il cotise à ce même régime ;
- leur imposition à ces prélèvements sociaux est constitutive d'une rupture d'égalité devant les charges publiques ;
- c'est à tort que l'administration a limité le dégrèvement auquel elle a procédé à une base constituée de 50 % des revenus assujettis, dès lors que les revenus patrimoniaux sont réputés revenir à M. C... seul et qu'une telle limitation est constitutive d'une rupture d'égalité devant les charges publiques.
Par un mémoire enregistré le 28 mai 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- l'accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes, fait à Luxembourg le 21 juin 1999, son annexe II, ensemble les décisions n° 2/2003 du 15 juillet 2003 et n° 1/2012 du 31 mars 2012 du comité mixte ;
- le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B..., présidente-assesseure,
- et les conclusions de Mme G..., rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme C... étaient fiscalement domiciliés en France au titre des années 2012 à 2014, M. C... travaillant en Suisse et Mme C... en France. M. C... a fait usage de la faculté d'exemption ouverte par l'annexe II de l'accord du 21 juin 1999 entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes et a souscrit, le 4 août 2009, ainsi que le permettait alors le II de l'article L. 380-3-1 du code de la sécurité sociale, un contrat auprès d'un assureur privé, la société Alptis assurances, qui a couvert le risque maladie au titre de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014. M. et Mme C... ont été assujettis aux prélèvements sociaux sur les revenus fonciers versés par la SCI des Acacias dont M. C... est associé et sur les revenus de capitaux mobiliers qu'ils ont perçus au cours de années 2012 à 2014. Ils ont saisi l'administration fiscale d'une demande de décharge de ces impositions en se prévalant du principe de l'unicité de la législation applicable en matière sociale résultant de l'article 11 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale. L'administration a fait partiellement droit à cette demande en maintenant à leur charge une fraction de la contribution sociale généralisée au titre de ces trois années, une fraction du prélèvement social au titre des années 2013 et 2014, l'intégralité des cotisations de contribution additionnelle au prélèvement social au titre des années 2012, 2013 et 2014 et le prélèvement de solidarité au titre de l'année 2014, au motif que ces prélèvements ou fractions de prélèvements étaient affectés au financement de l'assurance maladie. Par ailleurs, l'administration a limité le dégrèvement prononcé à une base constituée de 50 % des revenus du patrimoine concernés au motif que seul M. C... pouvait se prévaloir du principe de l'unicité de la législation sociale, à l'exclusion de son épouse qui travaille en France. M. et Mme C... relèvent appel du jugement du 10 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à la réduction de ces impositions.
2. En vertu de l'article 11 du règlement (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004, les personnes auxquelles ce règlement est applicable ne sont soumises qu'à la législation sociale d'un seul Etat membre. Conformément à ce principe d'unicité de législation, ce règlement prévoit que l'exercice d'une activité salariée ou non salariée dans un Etat membre implique normalement l'application de la législation sociale de cet État.
3. Depuis le 1er avril 2012, en vertu de la décision n° 1/2012 du 31 mars 2012 du comité mixte qui a modifié l'annexe II de l'accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes du 21 juin 1999, l'annexe XI du règlement (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004 a été complétée par des dispositions prévoyant que les personnes exerçant une activité en Suisse sont soumises à la législation de cet Etat en matière d'assurance maladie alors même qu'elles n'y résideraient pas, mais que les résidents de certains Etats, dont la France depuis la décision n° 2/2003 du 15 juillet 2003 du comité mixte, peuvent demander à être exemptées de cette affiliation obligatoire sous réserve de prouver qu'elles bénéficient dans l'Etat de résidence d'une couverture en cas de maladie.
4. Aux termes de l'article L. 380-3-1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au litige, qui définit en droit interne les conditions de l'exemption présentée au point 3 ci-dessus : " I. - Les travailleurs frontaliers résidant en France et soumis obligatoirement à la législation suisse de sécurité sociale au titre des dispositions de l'accord du 21 juin 1999 entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes, mais qui, sur leur demande, sont exemptés d'affiliation obligatoire au régime suisse d'assurance maladie en application des dispositions dérogatoires de cet accord, sont affiliés obligatoirement au régime général dans les conditions fixées par l'article L. 380-1. / II. - Toutefois, les travailleurs frontaliers occupés en Suisse et exemptés d'affiliation obligatoire au régime suisse d'assurance maladie peuvent demander à ce que les dispositions du I ne leur soient pas appliquées, ainsi qu'à leurs ayants droit, jusqu'à la fin des dispositions transitoires relatives à la libre circulation des personnes entre la Suisse et l'Union européenne, soit douze ans à partir de l'entrée en vigueur de l'accord du 21 juin 1999 précité, à condition d'être en mesure de produire un contrat d'assurance maladie les couvrant, ainsi que leurs ayants droit, pour l'ensemble des soins reçus sur le territoire français (...) ". Il résulte de ces dispositions que, par dérogation à la règle de rattachement définie par le règlement (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004 et rappelée au point 2 ci-dessus, les personnes résidant en France et exerçant une activité en Suisse, qui ont demandé à bénéficier de la clause d'exemption ouverte par l'annexe II de l'accord du 21 juin 1999, relèvent, pour la couverture maladie, de la seule législation française, qui prescrit leur affiliation au régime général et, pendant une période transitoire s'achevant le 31 mai 2014, les autorisait, sur demande, à souscrire un contrat d'assurance auprès d'un opérateur privé en lieu et place de leur affiliation au régime général.
5. En premier lieu, l'exercice par M. C... de la faculté d'exemption de l'assurance obligatoire suisse conduit seulement à rendre applicable la législation sociale française, quand bien même cette législation prévoyait, durant les années d'imposition en litige, l'exercice d'une option entre l'affiliation au régime général et la souscription d'un contrat d'assurance auprès d'un opérateur privé. La circonstance que M. C... a fait usage de cette faculté ne permet pas de le regarder comme relevant du régime de sécurité sociale suisse. Par suite, M. et Mme C..., qui ne relevaient pas du régime de sécurité sociale suisse au titre des années en litige, ne sont pas fondés à soutenir que les impositions restant en litige ont été prélevées en méconnaissance du principe de l'unicité de la législation sociale.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 14 du règlement (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004 : " 1. Les articles 11 à 13 ne sont pas applicables en matière d'assurance volontaire ou facultative continuée sauf si, pour l'une des branches visées à l'article 3, paragraphe 1, il n'existe dans un État membre qu'un régime d'assurance volontaire. / 2. Quand, en vertu de la législation d'un État membre, l'intéressé est soumis à l'assurance obligatoire dans cet État membre, il ne peut pas être soumis dans un autre État membre à un régime d'assurance volontaire ou facultative continuée. Dans tous les autres cas, où s'offre pour une branche donnée le choix entre plusieurs régimes d'assurance volontaire ou facultative continuée, la personne concernée n'est admise qu'au régime qu'elle a choisi. ".
7. Il résulte des termes mêmes du I de l'article L. 381-3-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige, que les personnes résidant en France et exerçant une activité en Suisse, qui ont demandé à bénéficier de la clause d'exemption ouverte par l'annexe II de l'accord du 21 juin 1999, demeurent soumise à l'obligation d'affiliation au régime général de sécurité sociale français. L'alternative ouverte par le II de l'article L. 380-3-1 du code de la sécurité sociale, permettant la souscription d'un contrat d'assurance auprès d'un opérateur privé en lieu et place de l'affiliation au régime général constitue uniquement une modalité d'organisation interne de la législation de sécurité sociale française. Par suite, M. et Mme C..., qui ne sont pas soumis à un régime d'assurance volontaire ou facultative continuée, ne peuvent utilement invoquer le 2. de l'article 14 du règlement (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004.
8. En troisième lieu, l'obligation faite par la loi d'acquitter les prélèvements en litige est dépourvue de tout lien avec l'ouverture d'un droit à une prestation ou à un avantage servis par un régime de sécurité sociale. Ces prélèvements ont ainsi le caractère d'impositions de toute nature et non celui de cotisations de sécurité sociale au sens des dispositions constitutionnelles et législatives nationales. Par suite, M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir qu'en l'absence d'affiliation à un régime obligatoire d'assurance maladie français, les revenus qu'ils tirent de leur patrimoine ne pouvaient être assujettis à ces prélèvements.
9. En quatrième lieu, il est constant que M. C... a demandé le bénéfice de la clause ouverte par l'annexe II de l'accord du 21 juin 1999 aux personnes exerçant une activité en Suisse leur permettant d'être exemptées de l'affiliation obligatoire au régime d'assurance maladie suisse sous réserve de prouver qu'elles bénéficient dans l'Etat de résidence d'une couverture en cas de maladie. La différence de traitement entre les travailleurs frontaliers qui ont exercé cette option et ceux qui y ont renoncé, qui résulte d'un choix ouvert par cet accord, ne saurait, par suite, et en tout état de cause, être regardée comme constitutive d'une rupture d'égalité devant les charges publiques.
10. En cinquième lieu, aucune des prestations financées par les fonds mentionnés aux articles L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles, L. 351-6 du code de la construction et de l'habitation et L. 5423-24 du code du travail auxquels est spécifiquement affecté le prélèvement de solidarité prévu à l'article 1600-0 S du code général des impôts dans sa rédaction applicable avant le 1er janvier 2015, ne relève d'une des branches de sécurité sociale au sens de l'article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004 ni n'est mentionné à l'annexe X de ce règlement qui liste les branches de sécurité sociale auxquelles il s'applique. Par suite, M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que le prélèvement de solidarité, qui n'entre pas dans le champ d'application du règlement (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004, a été prélevé en méconnaissance du principe de l'unicité de la législation sociale.
11. En dernier lieu, il résulte de l'instruction que l'administration a partiellement fait droit à la demande de M. et Mme C... tendant à la réduction des prélèvements sociaux auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2012, 2013 et 2014 en limitant le dégrèvement prononcé à une base constituée de 50 % des revenus déclarés, au motif que les requérants sont mariés sous le régime de la communauté légale réduite aux acquêts, que les revenus patrimoniaux qu'ils ont perçus ont ainsi le caractère de revenus communs et que seul M. C... peut se prévaloir du principe de l'unicité de la législation sociale, à l'exclusion de son épouse, qui réside et travaille en France. M. et Mme C... soutiennent qu'ils sont en droit d'obtenir un dégrèvement calculé sur l'intégralité de leurs revenus du patrimoine, dès lors que ces revenus sont réputés revenir dans leur ensemble à M. C....
12. Il est toutefois constant que M. et Mme C... ont conclu, le 25 juin 1999, un contrat de mariage par lequel ils se sont placés sous le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts. Par suite, les revenus provenant de biens acquis ou de placements effectués à l'étranger par M. ou par Mme C... postérieurement à cette date, et, notamment, les revenus fonciers versés à M. C... par la SCI des Acacias, dont il a acquis les parts en 2009 et en 2012, doivent être regardés, en l'absence d'éléments de nature à les faire regarder comme résultant du remploi de biens propres, comme des revenus de la communauté. Il s'ensuit qu'à défaut de toute autre règle de partage présentée par les requérants, ces derniers ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que l'administration a estimé que les revenus en cause n'étaient exemptés de prélèvements sociaux qu'à hauteur de 50 %, fraction correspondant à la quote-part des biens de la communauté revenant à M. C..., ni, en tout état de cause, qu'une telle limitation est constitutive d'une rupture d'égalité devant les charges publiques.
13. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme E... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 15 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme B..., présidente-assesseure,
Mme H..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 12 novembre 2020.
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N° 18LY04398
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