Procédure devant la cour
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 16 novembre 2018 et le 7 juin 2019, M. et Mme E..., représentés par Me B..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 5 octobre 2018 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et des pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. et Mme E... soutiennent que :
Sur la régularité du jugement :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- le tribunal a refusé la production d'une note en délibéré ;
Sur la régularité de la procédure :
- la mise en oeuvre de la procédure d'évaluation d'office, non justifiée, car Mme E... n'a pas exercé d'activité occulte au sens de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales et a déclaré des revenus tirés de son activité notariale, les a privés des garanties de la procédure contradictoire, notamment de la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ;
- les propositions de rectification ne sont pas motivées sur la majoration de 25 % des bases rectifiées en application de l'article 158-7 du code général des impôts ;
Sur le bien-fondé de l'imposition :
- l'administration ne pouvait appliquer un droit de reprise de 10 ans dès lors que Mme E... n'a pas exercé d'activité occulte au sens de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales et que les revenus licites avaient été déclarés dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, qui est la même catégorie d'imposition que les revenus tirés d'activités illicites ;
- la proposition de rectification adressée à la SCP, qui ne fait état d'aucun redressement, n'a pas interrompu la prescription à son égard ;
- les redressements " ne pouvaient transiter que par la SCP ", conformément à l'article 38-2 du code général des impôts et à l'instruction administrative du 6 janvier 1997 BOI 5 G-2-97 paragraphes 7 et 8 et à la documentation de base 5 G 221 du 15 septembre 2000 paragraphes 3, 18, 19 et 20 ;
- les bases rectifiées ne pouvaient être majorées de 25 % en application de l'article 158-7 du code général des impôts s'agissant d'une SCP adhérente d'une association de gestion ;
Sur les pénalités :
- les pénalités ne pouvaient lui être directement notifiées, mais devaient être notifiées à la SCP ;
- les conditions pour appliquer les majorations de 10 %, puis de 80 % ne sont pas remplies en l'absence d'exercice d'une activité occulte ;
- différentes circonstances justifient que ces pénalités soient atténuées ;
- le paragraphe 73 de l'instruction BOI 13N-1-07 du 19 février 2007 exclut qu'une pénalité pour activité occulte soit appliquée dans son cas ;
- l'administration ne pouvait cumuler les pénalités de 10 % sur le fondement de l'article 1728 et 1758 A du code général des impôts, ce cumul étant exclu par la jurisprudence et le paragraphe 15 de la documentation de base BOI-CF-INF-10-20-10 377902 et l'administration ayant ordonné le dégrèvement du second lot de pénalités dans le cas de l'associée de Mme E....
Par des mémoires, enregistrés le 10 mai 2019 et le 13 décembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au non-lieu à statuer partiel et au rejet du surplus de la requête.
Le ministre de l'action et des comptes publics soutient que les moyens soulevés par M. et Mme E... ne sont pas fondés.
En application de l'article R. 611-7 du code justice administrative, les parties ont été informées par courrier du 1er avril 2020 que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur les moyens relevés d'office tirés de ce que pour l'année 2007, il y a méconnaissance du champ d'application de l'article 102 ter du code général des impôts dans sa rédaction alors applicable dès lors qu'au titre de cette année-ci, les revenus illicites tirés de l'activité de détournement de fonds de Mme E... d'un montant de 26 767 euros, ne présentaient pas un caractère occulte au sens du 2ème alinéa de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales et par suite n'étaient pas exclus du régime déclaratif spécial micro-BNC et, d'autre part, que, pour cette même année, il y avait également méconnaissance du champ d'application du a de l'article 1728 du code général des impôts qui n'est pas applicable au contribuable qui a omis de déclarer, dans sa déclaration 2042, les revenus d'une activité relevant du régime déclaratif spécial en application de l'article 102 ter du code général des impôts.
Par des mémoires enregistrés le 8 avril 2020 et le 24 avril 2020, M. et Mme E... ont présenté leurs observations sur ce moyen relevé d'office et soutiennent que :
- le moyen relevé d'office par la juridiction est fondé ;
- l'exclusion des activités illicites sous cet article 102 ter n'est expressément entrée en vigueur que pour l'imposition des années 2009 et suivantes ;
- au cours de l'année 2007, le seuil de 27 000 euros n'a pas été dépassé, l'ensemble du chiffre d'affaires de l'année ayant été perçu en une seule fois ;
- l'administration ne pouvait pas non plus recourir à l'imposition des bénéfices non commerciaux résultant des détournements de fond selon le régime de la déclaration contrôlée en 2008 dans la mesure où il s'agissait de la première année de dépassement du seuil de 27 000 euros, ce qui autorisait, en application du 3° de l'article 102 ter du code général des impôts, le maintien du régime déclaratif simplifié des micro-BNC ;
- elle était en deçà du seuil pour l'année 2009 ;
- les locations en meublés ne sont plus soumises à la taxe sur la valeur ajoutée depuis 1991 ;
- le recours au régime de la déclaration contrôlée, et l'imposition corolaire selon la procédure de l'évaluation d'office, l'ont privée des garanties de la procédure contradictoire, notamment la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ;
-l'administration n'est pas fondée à demander de rétablir la majoration de 10 % sur le fondement de l'article 1758 A du code général des impôts.
Par un mémoire enregistré le 17 avril 2020, le ministre de l'action et des comptes publics a présenté ses observations sur ces moyens relevés d'office et soutient que :
- Mme E... exerçait une activité occulte au sens de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales dès 2007 et aurait dû, quel que soit le régime d'imposition, déclarer ses revenus ;
- quel que soit le régime d'imposition applicable, ses revenus pouvaient être évalués d'office, sans mise en demeure préalable, faute pour elle d'avoir déclaré ses revenus résultant des détournements de fonds ;
- le régime de la déclaration contrôlée était applicable au titre des années 2007, 2008 et 2009 dans la mesure où l'activité de Mme E... présentait un caractère occulte ; en outre Mme E..., qui était assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée en tant que loueur en meublé non professionnel, ne pouvait bénéficier des dispositions de l'article 293 B dans la mesure où elle exerçait une activité occulte ;
- si la cour estimait que seul le régime simplifié trouvait à s'appliquer au titre de l'année 2007, il s'agit de la première année de dépassement du seuil de 27 000 euros dans la mesure où le chiffre d'affaires ayant entièrement été réalisé le 31 décembre 2007 sa proratisation sur l'année conduit au dépassement du seuil et qu'en conséquence, dès 2008 le régime de la déclaration contrôlée devait s'appliquer ;
- si la cour estimait que seul le régime simplifié trouvait à s'appliquer au titre de l'année 2007, elle demande, à titre subsidiaire, que ce régime soit substitué au régime de la déclaration contrôlée ;
- dès lors que Mme E... était soumise au régime de la déclaration contrôlée en 2007, 2008 et 2009, la majoration prévue au a du 1 de l'article 1728 du code général des impôts était applicable ;
- dans l'hypothèse où la cour considérerait que les revenus des années 2007, 2008 et 2009 doivent être imposés selon le régime de la déclaration spéciale, l'administration demande à titre subsidiaire une substitution de base légale et le maintien des pénalités de 10 % sur le fondement de l'article 1758 A du code général des impôts.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme I..., première conseillère,
- les conclusions de Mme H..., rapporteure publique,
- et les observations de Me B..., représentant M. et Mme E... ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., qui exerce la profession de notaire au sein de la SCP D...-E... dont elle est membre, a fait l'objet, avec son conjoint, d'un contrôle sur pièces portant sur les années 2007 à 2011 et d'un examen contradictoire de situation personnelle portant sur les années 2012 et 2013 diligentés à la suite de la transmission à l'administration fiscale par l'autorité judicaire d'indications en application de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales. A l'issue de ces contrôles, l'administration, faisant application du délai spécial de reprise de dix ans prévu à l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, a imposé dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, sur le fondement du 1 de l'article 92 du code général des impôts, au titre d'une activité illicite de détournement de fonds, les sommes qu'elle avait prélevées sur des comptes clients créditeurs de son étude, correspondant aux soldes de ces comptes devant faire l'objet d'une consignation à la Caisse des dépôts et consignations. En conséquence de ces redressements notifiés sur le fondement de la procédure d'évaluation d'office, M. et Mme E... ont été assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus au titre des années 2007 à 2013, lesquelles ont été assorties d'intérêts de retard, de la majoration de 10 % prévue au a du 1 de l'article 1728 du code général des impôts s'agissant des années 2007 à 2009, de la majoration de 10 % prévue à l'article 1758 A du code général des impôts s'agissant de ces mêmes années et de la majoration de 80 % prévue au c du 1 de l'article 1728 du code général des impôts s'agissant des années 2010 à 2013. M. et Mme E... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes. Par un jugement du 5 octobre 2018, le tribunal administratif Grenoble a rejeté leur demande. M. et Mme E... relèvent appel de ce jugement.
Sur l'étendue du litige :
2. Par une décision du 6 mai 2019, postérieure à l'introduction de la requête, l'administration a prononcé le dégrèvement, à hauteur de 4 391 euros, de la majoration de 10 % prévue par l'article 1758 A du code général des impôts qui avait été mise à la charge de M. et Mme E... au titre des années 2007 à 2009. Les conclusions de la requête relatives à cette majoration sont, dans cette mesure, devenues sans objet.
Sur la régularité du jugement :
3. Il ne ressort d'aucune pièce du dossier que le tribunal aurait refusé la production d'une note en délibéré. Par suite le moyen tiré de ce que le jugement, qui est suffisamment motivé, serait irrégulier doit être écarté.
Sur les conclusions aux fins de décharge :
En ce qui concerne le régime d'imposition :
4. D'une part, aux termes du 1 de l'article 92 du code général des impôts, " Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus. (...) ". En application de ces dispositions, des détournements de fonds, qui constituent pour leur auteur une source de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de revenus, sont imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux.
5. D'autre part, l'article 100 du code général des impôts prévoit que les officiers publics ou ministériels sont obligatoirement soumis au régime de la déclaration contrôlée en ce qui concerne les bénéfices provenant de leur charge ou de leur office et que leurs bénéfices provenant d'une activité connexe ou accessoire ou d'une autre source sont soumis aux dispositions de l'article 95, lequel prévoit que les contribuables qui perçoivent des bénéfices non commerciaux ou des revenus assimilés sont placés soit sous le régime de la déclaration contrôlée du bénéfice net, soit sous le régime déclaratif spécial. Selon l'article 96 du code, dans ses versions applicables aux revenus des années 2007 et 2008, sont obligatoirement soumis au régime de la déclaration contrôlée les contribuables qui perçoivent des bénéfices ou revenus visés à l'article 92 dont le montant annuel excède 27 000 euros en 2007 et 32 000 euros en 2008. Les contribuables qui perçoivent des revenus d'un montant annuel, ajusté s'il y a lieu au prorata du temps d'activité au cours de l'année civile, n'excédant pas ces montants hors taxe sont soumis au régime déclaratif spécial prévu à l'article 102 ter du code général des impôts, lequel demeure applicable pour l'établissement de l'imposition due au titre de la première année au cours de laquelle cette limite est dépassée, sauf s'ils ont opté pour le régime de la déclaration contrôlée. Le a du 6 de l'article 102 ter du code dispose que, lorsqu'un contribuable exerce plusieurs activités, cette limite est appréciée abstraction faite des recettes des offices publics ou ministériels. Selon le b du 6 de l'article 102 ter du code, alors en vigueur, sont exclus du régime déclaratif spécial " les contribuables qui ne bénéficient pas des dispositions des I et II de l'article 293 B. Cette exclusion prend effet à compter du 1er janvier de l'année de leur assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée. ". Aux termes de l'article 293 B du code : " I. - 1. Pour leurs livraisons de biens et leurs prestations de services, les assujettis établis en France, à l'exclusion des redevables qui exercent une activité occulte au sens du deuxième alinéa de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, bénéficient d'une franchise qui les dispense du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu'ils n'ont pas réalisé au cours de l'année civile précédente un chiffre d'affaires supérieur à : / a. 76 300 euros s'ils réalisent des livraisons de biens, des ventes à consommer sur place ou des prestations d'hébergement ; /b. 27 000 euros s'ils réalisent d'autres prestations de services. ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, dans sa version applicable en 2007 et en 2008 : " Par exception aux dispositions du premier alinéa, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce. ".
6. A la suite de la communication par la cour aux parties d'un moyen relevé d'office portant sur le régime d'imposition de l'année 2007, M. et Mme E... ont soutenu que le régime de la déclaration contrôlée n'était pas applicable au titre, d'une part, des revenus de l'année 2008 qui devaient être imposés selon le régime déclaratif spécial micro-BNC dès lors que les revenus tirés des détournements de fond ne présentaient pas un caractère occulte au sens du deuxième alinéa de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales alors applicable et qu'il s'agissait de la première année de dépassement du seuil prévu à l'article 96 du code général des impôts et, d'autre part, des revenus de l'année 2009 qui étaient inférieurs au seuil.
7. Toutefois, les revenus de Mme E... imposés par l'administration sont des détournements de fonds réalisés par l'intéressée. Cette activité, qui ne constitue ni une livraison de bien, ni une prestation de service conférant à son auteur la qualité d'assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée, n'entre pas dans le champ de la taxe sur la valeur ajoutée. Ainsi, les revenus tirés de cette activité ne pouvant bénéficier du régime de la franchise en base, Mme E... était exclue du régime déclaratif spécial prévu à l'article 102 ter du code général des impôts conformément au b du 6 de cet article alors même qu'elle était par ailleurs assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée en tant que loueur de meublé. Par suite, le moyen tiré de ce qu'au titre des années 2008 et 2009, Mme E... devait être imposée selon le régime déclaratif spécial doit être écarté.
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
S'agissant de l'évaluation d'office de ses revenus :
8. Les compléments d'impôt sur le revenu auxquels M. et Mme E... ont été assujettis à raison de l'imposition dans la catégorie des bénéfices non commerciaux des revenus tirés de l'activité de détournement de fonds de Mme E... ont été établis, au titre des années en litige, selon la procédure d'évaluation d'office sans envoi préalable d'une mise en demeure de déclaration au moyen de deux notifications, datées du 23 novembre 2015, faisant suite, s'agissant des années 2012 et 2013, à un examen de sa situation fiscale personnelle dont ils ont été informés par avis du 9 mars 2015.
9. Aux termes de l'article L. 73 du livre des procédures fiscales : " Peuvent être évalués d'office : (...) 2° Le bénéfice imposable des contribuables qui perçoivent des revenus non commerciaux ou des revenus assimilés lorsque la déclaration annuelle prévue à l'article 97 du code général des impôts n'a pas été déposée dans le délai légal (...) / Les dispositions de l'article L. 68 sont applicables dans les cas d'évaluation d'office prévus aux 1° et 2°. ". Aux termes de l'article L. 68 du même livre, dans sa rédaction applicable, conformément au B du II de l'article 50 de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, aux avis d'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle ou, dans les cas pour lesquels l'envoi de ces avis n'est pas requis, aux propositions de rectification adressées à compter du 8 décembre 2013 : " La procédure de taxation d'office prévue aux 2° et 5° de l'article L. 66 n'est applicable que si le contribuable n'a pas régularisé sa situation dans les trente jours de la notification d'une mise en demeure. / Toutefois, il n'y a pas lieu de procéder à cette mise en demeure : (...) 3° Si le contribuable s'est livré à une activité occulte, au sens du troisième alinéa de l'article L. 169 (...) ". Aux termes du troisième alinéa de ce dernier article, dans sa rédaction issue de l'article 18 de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 : " (...) L'activité occulte est réputée exercée lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et soit n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, soit s'est livré à une activité illicite. ". L'article 97 du code général des impôts dispose que les contribuables soumis obligatoirement ou sur option au régime de la déclaration contrôlée sont tenus de souscrire chaque année, dans les conditions et délais prévus aux articles 172 et 175, une déclaration dont le contenu est fixé par décret.
10. Il résulte de ces dispositions que dans le cas où un contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire au titre de l'exercice d'une activité illicite, l'administration est réputée apporter la preuve, qui lui incombe, de l'exercice occulte de cette activité si le contribuable n'est pas lui-même en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ces obligations déclaratives.
11. Il résulte des éléments transmis à l'administration fiscale par l'autorité judiciaire conformément à l'article L. 101 du livre des procédures fiscales que Mme E... a, avec son associée Mme D..., détourné à leur profit des soldes de comptes clients de l'étude qui auraient dû faire l'objet d'une consignation à la Caisse des dépôts et consignations. Une procédure pénale a été ouverte pour abus de confiance par officier public ou ministériel en raison de sa qualité ou de sa fonction. Mme E..., qui a reconnu l'existence de ces détournements au cours de l'interrogatoire de première comparution, n'en conteste pas la réalité. Il ne résulte pas des travaux préparatoires à la loi de finances rectificative de 2009, dont les termes sont au demeurant clairs, que le législateur ait entendu distinguer les actes illicites commis dans le cadre d'une profession exercée légalement, qui ne seraient pas visés par les dispositions de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, de l'exercice d'une activité par elle-même illicite, qui entrerait dans le champ de ces dispositions. Les faits reprochés à Mme E... étant susceptibles d'être qualifiés d'abus de confiance, infraction réprimée à l'article 314-1 du code pénal, ils ont le caractère d'une activité illicite au sens des dispositions du livre des procédures fiscales précitées, et ce, quand bien même ils ont été commis, comme il a été indiqué au cours de la procédure pénale, à l'occasion de l'exercice par Mme E... de sa profession de notaire.
12. Mme E... fait valoir qu'ayant déclaré les revenus provenant de son activité notariale, elle ne pouvait être regardée comme n'ayant pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'elle était tenue de souscrire. Toutefois, les soldes créditeurs correspondant à des sommes détenues par une étude pour le compte de ses clients en infraction à la réglementation prévoyant leur dépôt obligatoire à la Caisse des dépôts et consignations ne constituent pas des recettes de l'étude au sens de l'article 93 du code général des impôts. Même s'il a été indiqué dans le cadre de l'enquête de gendarmerie puis au cours de la procédure pénale que les faits reprochés à Mme E... ont été commis à l'occasion de l'exercice de ses fonctions de notaire, les sommes détournées par Mme E... constituent, d'un point de vue fiscal, un revenu distinct des bénéfices non commerciaux tirés par la requérante de son activité notariale. La circonstance, au demeurant non établie, que Mme E... aurait entendu dans certains cas, comme cela a été indiqué dans la procédure pénale, prélever ces sommes pour se rémunérer en compensation de certains services rendus à ses clients ne suffit pas à justifier que Mme E... n'ait pas procédé à la déclaration des revenus issus de ces détournements de fonds.
13. S'agissant des détournements de fonds dont a profité Mme E... au titre des années 2007 et 2008, les bénéfices non commerciaux correspondants devaient, alors même que l'activité de détournement de fonds ne présentait pas un caractère occulte au moment de leur déclaration en 2007 et en 2008 au sens des dispositions de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales alors applicables, être déclarés sous le régime de la déclaration contrôlée pour les motifs qui ont été exposés au point 7. A compter de l'imposition des revenus afférents à l'année 2009, le d du 6 de l'article 102 ter a exclu du régime déclaratif spécial les activités occultes telles que définies à l'article L. 169 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction alors applicable, citée ci-dessus. S'agissant des années 2009 à 2013, Mme E... n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'elle était tenue de souscrire et ne justifie pas avoir commis une simple erreur. Elle s'est par ailleurs livrée à une activité illicite. Elle a, par suite, exercé une activité occulte au sens des dispositions de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales alors applicables. Elle était, de ce fait, exclue du régime déclaratif spécial et soumise au régime de la déclaration contrôlée prévue à l'article 97 du code général des impôts. Mme E... n'ayant, pour l'ensemble des années litigieuses, procédé à la déclaration que de la part des revenus de la SCP lui revenant, elle doit être regardée comme n'ayant pas déposé les déclarations qu'elle était tenue de souscrire au titre de cette activité de détournement de fonds et ce, alors même que ses différents revenus relèvent des bénéfices commerciaux visés au 1 de l'article 92 du code général des impôts et du régime de la déclaration contrôlée.
14. Il résulte de ce qui précède que, pour chacune des années litigieuses, Mme E... n'a pas déposé dans le délai légal la déclaration annuelle prévue à l'article 97 du code général des impôts au titre de ses revenus provenant des détournements de fonds. Elle ne justifie pas ce défaut de déclaration par une simple erreur. Elle s'est livrée au cours de l'ensemble des années en litige à une activité illicite de détournements de fonds. Par suite, l'administration pouvait procéder à l'évaluation d'office des bénéfices non commerciaux tirés par Mme E... de ses détournements de fonds sur le fondement du 2° de l'article L. 73 du livre des procédures fiscales sans procéder à la mise en demeure préalable prévue à l'article L. 68 du livre des procédures fiscales. Mme E... n'est donc pas fondée à soutenir qu'elle aurait été irrégulièrement privée des garanties d'une procédure contradictoire, et notamment de la faculté de saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires.
S'agissant de l'autre moyen :
15. Les propositions de rectification adressées à M. et Mme E..., rappellent les dispositions du 7 de l'article 158 du code général des impôts et exposent les raisons pour lesquelles le montant des bénéfices non commerciaux rehaussés est multiplié par 1,25. Par suite, le moyen tiré de ce que les propositions de rectifications ne seraient pas motivées sur la mise en oeuvre de ces dispositions manque en fait.
En ce qui concerne le bien-fondé de l'imposition :
S'agissant du délai de reprise de l'administration :
16. Aux termes de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, dans sa version applicable aux délais venant à expiration postérieurement au 31 décembre 2009 conformément au IX de l'article 18 de la loi 2009-1674 du 30 décembre 2009 : " Pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due. / (...) / Par exception aux dispositions du premier alinéa, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, lorsque le contribuable exerce une activité occulte. L'activité occulte est réputée exercée lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et soit n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, soit s'est livré à une activité illicite. / Le droit de reprise mentionné au troisième alinéa ne s'applique qu'aux seules catégories de revenus que le contribuable n'a pas fait figurer dans une quelconque des déclarations qu'il a déposées dans le délai légal. Il ne s'applique pas lorsque des revenus ou plus-values ont été déclarés dans une catégorie autre que celle dans laquelle ils doivent être imposés. ".
17. En premier lieu, Mme E... fait valoir que le délai de reprise spécial de dix ans n'est pas applicable dès lors qu'elle a déclaré les bénéfices non commerciaux qu'elle a tirés de son activité de notaire et que son activité ne présentait pas un caractère occulte. Toutefois, au sens des dispositions de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, les revenus tirés d'une activité illicite de détournement de fonds ne relèvent pas de la même catégorie de revenus que les revenus tirés d'une activité professionnelle. Ainsi qu'il a été indiqué précédemment, Mme E... n'a déclaré les revenus tirés des détournements de fond ni dans ses déclarations déposées dans les délais légaux, ni dans aucune autre déclaration. Par suite, et dès lors qu'au 31 décembre 2009 le délai de reprise des années 2007 à 2013 n'était pas venu à expiration, le moyen tiré de ce que le délai de reprise de dix ans n'était pas applicable aux années en litige doit être écarté.
18. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 189 du livre des procédures fiscales : " La prescription est interrompue par la notification d'une proposition de rectification, par la déclaration ou la notification d'un procès-verbal (...) ".
19. Les impositions en litige ont été mises en recouvrement, s'agissant des années 2007 à 2010, le 31 décembre 2015, et s'agissant des années 2011 à 2013, le 31 janvier 2016. Le délai de reprise n'était, à ces dates, pas expiré. Par suite, la circonstance que l'administration n'a notifié aucun redressement à la SCP D...-E... est, en tout état de cause, sans incidence sur la prescription, laquelle n'était pas acquise à la date de la mise en recouvrement de ces impositions.
S'agissant des autres moyens soulevés par la requérante :
20. En premier lieu, le moyen énoncé au point 11 de la requête, tiré de ce que les redressements " ne pouvaient transiter que par la SCP " conformément à l'article 38-2 du code général des impôts, formulé en termes hypothétiques et sous forme de question, n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier la portée.
21. En deuxième lieu, si, en application du 1° du 7 de l'article 158 du code général des impôts, la majoration de 1,25 du montant des revenus retenus pour le calcul de l'impôt ne s'applique pas aux titulaires de revenus passibles de l'impôt sur le revenu, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, soumis à un régime réel d'imposition qui sont adhérents d'un centre de gestion ou d'une association agréés, les revenus litigieux constituent, ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, des revenus distincts des revenus tirés par Mme E... de son activité notariale. Par suite, Mme E... n'est pas fondée à se prévaloir de la circonstance que la SCP D...-E... serait adhérente d'une telle association pour contester l'application de cette majoration aux revenus qu'elle a tirés des détournements de fonds qu'elle a commis.
22. En troisième lieu, Mme E... n'est pas fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales des paragraphes 7 et 8 de l'instruction administrative du 6 janvier 1997 BOI 5G-2-97 et des paragraphes 3, 18, 19 et 20 de la documentation de base 5 G 221 du 15 septembre 2000 relatifs à l'année de rattachement des créances et des dépenses en cas d'option au régime des créances acquises, cette doctrine ne lui étant pas applicable pour le redressement de ses détournements de fonds.
En ce qui concerne les pénalités :
23. Les impositions supplémentaires mises à la charge de Mme E... ont été assorties de la majoration de 10 % prévue au a du 1 de l'article 1728 du code général des impôts s'agissant des années 2007 à 2009 et de la majoration de 80 % prévue au c du 1 de l'article 1728 du code général des impôts s'agissant des années 2010 à 2013.
24. Aux termes de l'article 1728 du code général des impôts dans sa version applicable au litige : " 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : a. 10 % en l'absence de mise en demeure ou en cas de dépôt de la déclaration ou de l'acte dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure, notifiée par pli recommandé, d'avoir à le produire dans ce délai ; (...) c. 80 % en cas de découverte d'une activité occulte. ".
25. En premier lieu, s'agissant des années 2007 à 2009, dès lors ainsi qu'il a été indiqué précédemment que Mme E... devait procéder à la déclaration des revenus provenant des détournements de fonds conformément à l'article 97 du code général des impôts, ce qu'elle s'est abstenue de faire, l'administration, qui ne l'a pas mise en demeure de produire une telle déclaration, a pu assortir les impositions supplémentaires de la majoration prévue au a du 1 de l'article 1728 du code général des impôts.
26. En deuxième lieu, il résulte des dispositions précitées du c du 1° de l'article 1728 du code général des impôts que, dans le cas où un contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et s'est livré à une activité illicite, l'administration doit être réputée apporter la preuve, qui lui incombe, de l'exercice occulte de l'activité professionnelle si le contribuable n'est pas lui-même en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ses obligations déclaratives. L'administration ayant apporté la preuve que Mme E... a exercé en 2010, 2011, 2012 et 2013, une activité illicite de détournement de fonds, dont elle n'a pas déclaré les revenus, et M. et Mme E... n'alléguant pas que cette absence de déclaration relèverait d'une erreur, l'administration apporte la preuve de l'exercice occulte de l'activité. Elle a pu, par suite, assortir les redressements litigieux de la majoration de 80 % applicable en cas de découverte d'une activité occulte en vertu du c du 1 de l'article 1728 du code général des impôts.
27. En troisième lieu, Mme E... ne peut utilement faire valoir, pour contester les pénalités dont elle a fait l'objet, qu'elle a eu un comportement coopératif au cours du contrôle, qu'elle n'avait aucune intention fiscale lorsqu'elle a appréhendé les sommes en litige, qu'elle a reversé ces sommes avant l'intervention du contrôle fiscal, qu'elle n'a fait l'objet d'aucun autre redressement et que les revenus de la SCP D...-E... n'ont fait l'objet d'aucun redressement.
28. En quatrième lieu, dès lors que Mme E... est elle-même l'auteur des agissements que les pénalités appliquées par l'administration répriment, elle n'est pas fondée à soutenir que ces pénalités auraient dues être infligées à la SCP.
29. En cinquième lieu, Mme E... n'est pas fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales du paragraphe n° 73 de l'instruction BOI 13N-1-07 du 19 février 2007 dans le champ de laquelle elle n'entre pas dans la mesure où les déclarations qu'elle a déposées au titre des années 2010 à 2013 ne peuvent être regardées comme ayant été déposées au titre de la même activité que celle ayant donné lieu au redressement litigieux.
30. Il résulte de l'ensemble ce qui précède que, sous réserve des dégrèvements prononcés en cours d'instance, M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.
Sur les frais liés au litige :
31. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme que M. et Mme E... réclament au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er: A concurrence de la somme de 4 391 euros correspondant à la majoration de 10 % de l'article 1758 A du code général des impôts appliquée au titre des années 2007 à 2009, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme E... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme F... E... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 23 juin 2020 à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président,
Mme C..., présidente-assesseure,
Mme I..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 15 septembre 2020.
2
N° 18LY04083
ld