Par un jugement n° 1602764 du 31 mai 2018, le tribunal administratif de Grenoble, après avoir constaté un non-lieu à statuer partiel, a rejeté le surplus des conclusions de la demande relative à la taxe sur la valeur ajoutée.
Procédure devant la cour
I. - Par une requête, enregistrée le 17 juillet 2018 sous le n° 18LY02715, et des mémoires, enregistrés le 1er avril 2019 et le 17 avril 2019, M. E..., représenté par Me F..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ou de réformer le jugement n° 1602024 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de prononcer la décharge des compléments d'impôt sur le revenu et des pénalités maintenus à sa charge ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la charge de la preuve incombe à l'administration fiscale, au moins pour l'année 2009 ;
- certaines factures d'achats auprès de la société Metro ne peuvent être retenues pour reconstituer le chiffre d'affaires 2009 dès lors qu'elles n'ont pas été produites ;
- le dégrèvement accordé au titre des factures Metro à exclure du chiffre d'affaires reconstitué de l'année 2010 est insuffisant ;
- le dosage de café par tasse est de 8,5 grammes et non de 7 grammes ;
- il y a lieu d'appliquer un abattement de 10 % sur le chiffre d'affaires café ;
- les majorations pour manquement délibéré ne sont pas motivées ;
- les pénalités ne sont pas fondées.
Par des mémoires, enregistrés le 4 mars 2019 et le 15 avril 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut, dans le dernier état de ses écritures, au non-lieu à statuer à concurrence des dégrèvements accordés en cours d'instance et au rejet du surplus des conclusions de la requête.
Le ministre expose que :
- la charge de la preuve pèse sur le contribuable dès lors que la comptabilité est entachée de graves irrégularités et que l'administration s'est conformée à l'avis de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires s'agissant du montant des recettes et des résultats qui n'a préconisé aucun rapprochement entre l'administration et le contribuable ;
- le moyen tiré du défaut de justification des factures de la société Metro émises en 2009 manque en fait ;
- les moyens tirés de l'exagération du chiffre d'affaires café manquent en fait ;
- les pénalités sont justifiées.
II. - Par une requête, enregistrée le 17 juillet 2018 sous le n° 18LY02737 et des mémoires complémentaires enregistrés le 1er avril 2019 et le 17 avril 2019, M. E..., représenté par Me F..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ou de réformer le jugement n° 1602764 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de prononcer la décharge des compléments de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités maintenus à sa charge ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la charge de la preuve incombe à l'administration dès lors que la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires a invité l'administration et le contribuable à se rapprocher ;
- les rappels de taxe sur la valeur ajoutée et les pénalités sont contestés par les mêmes moyens que ceux invoqués dans l'instance n° 18LY02715.
Par des mémoires, enregistrés le 4 mars 2019 et le 15 avril 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut, dans le dernier état de ses écritures, au non-lieu à statuer à concurrence des dégrèvements accordés en cours d'instance et au rejet du surplus des conclusions de la requête.
Il invoque les mêmes motifs que ceux invoqués dans l'instance n° 18LY02715.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Vu la décision par laquelle le président de la cour a désigné Mme D... pour exercer temporairement les fonctions de rapporteure publique en application des articles R. 222-24, 2nd alinéa et R. 222-32 du code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pruvost, président,
- et les conclusions de Mme D..., rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., qui exploite une pizzeria à Bourg-lès-Valence sous l'enseigne Le San Marco, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant, en matière de bénéfices industriels et commerciaux, sur les années 2009 et 2010 et, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, sur la période correspondante. A l'issue de ce contrôle, le vérificateur a écarté la comptabilité présentée comme étant irrégulière et non probante et procédé à une reconstitution des recettes et des résultats de l'établissement. En conséquence des corrections apportées aux résultats et chiffres d'affaires déclarés notifiées suivant la procédure contradictoire, M. E... a été assujetti, au titre des deux années susmentionnées, à des compléments d'impôt sur le revenu et s'est vu réclamer des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, conformément à l'avis rendu par la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. Ces impositions ont été assorties de la majoration pour manquement délibéré de 40 %. Par des jugements du 31 mai 2018, le tribunal administratif de Grenoble, saisi par le contribuable de demandes de décharge de ces impositions, enregistrées respectivement sous le n° 1602024 et sous le n° 1602764, a, dans chacune des instances, constaté un non-lieu à statuer partiel et rejeté le surplus de ses conclusions. Eu égard à son argumentation, M. E... doit être regardé comme relevant appel de ces jugements en tant qu'ils ont rejeté le surplus des conclusions de ses demandes.
2. Les requêtes n° 18LY02715 et n° 18LY02737 présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur l'étendue du litige :
3. Par une décision du 5 mars 2019, postérieure à l'introduction de la requête n° 18LY02715, le directeur départemental des finances publiques a prononcé le dégrèvement, à concurrence de 773 euros en droits et de 341 euros en pénalités, du complément d'impôt sur le revenu et des majorations assignés à M. E... au titre de l'année 2010. Par une seconde décision du 5 avril 2019, ce directeur a prononcé, dans cette instance, un dégrèvement complémentaire, à hauteur de, respectivement, 1 156 euros et 513 euros en droits et pénalités.
4. Par une autre décision du 5 mars 2019, postérieure à l'introduction de la requête n° 18LY02737, le directeur départemental des finances publiques a prononcé le dégrèvement, à concurrence de 128 euros en droits et de 61 euros en pénalités, des compléments de taxe sur la valeur ajoutée et des majorations mis en recouvrement au titre de la période en litige. Par une seconde décision du 5 avril 2019, ce directeur a prononcé, dans cette instance, un dégrèvement complémentaire, à hauteur de, respectivement, 190 euros et 89 euros en droits et pénalités.
5. Il résulte de ces quatre décisions, prises en raison de l'abandon par l'administration du rehaussement de chiffre d'affaires correspondant à deux factures d'achat auprès de la société Metro du 20 janvier et du 10 juin 2010 incluses à tort dans la reconstitution, que les conclusions de M. E... sont, dans la mesure de ces montants, devenues sans objet.
Sur le surplus des conclusions :
En ce qui concerne la charge de la preuve :
6. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. (...) ".
7. M. E... ne conteste pas les graves irrégularités entachant la comptabilité présentée, tenant notamment à l'enregistrement global des recettes en fin de journée sans pièces justificatives du détail des recettes, qui ont conduit le vérificateur à la rejeter comme irrégulière et non probante. Ainsi qu'il a été dit au point 1, l'administration s'est conformée à l'avis rendu le 13 juin 2013 par la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. Si le requérant entend soutenir que la commission ne peut être regardée comme ayant émis un avis au motif qu'elle aurait préconisé un rapprochement entre l'administration et le contribuable, il résulte de l'instruction que la commission a régulièrement émis un avis favorable à la réduction des bases notifiées, faisant ainsi partiellement droit aux critiques adressées à la reconstitution par l'intéressé. Cet avis ayant été suivi par l'administration, la charge de la preuve de l'exagération des impositions incombe à M. E... en vertu des dispositions précitées sans qu'y fasse obstacle ni la circonstance qu'il avait contesté dans le délai imparti les rectifications envisagées dans la proposition de rectification du 30 juillet 2012, ni le fait que le vérificateur s'est engagé devant la commission à exercer un droit de communication pour obtenir auprès de la société Metro le relevé des factures émises au nom du contribuable sur l'ensemble de la période vérifiée.
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :
8. Il résulte de l'instruction que, pour reconstituer les chiffre d'affaires boissons, le vérificateur a retenu les tarifs, les factures d'achats et les répartitions entre produits communiqués par le contribuable au cours de la vérification de comptabilité auxquels il appliqué une quote-part de chiffre d'affaires des boissons revendues déterminée à partir du dépouillement des notes présentées lors du contrôle. Il a tenu compte des boissons réputées consommées par le personnel, des consommations offertes aux clients, des produits consommés en cuisine et des pertes. M. E..., qui ne remet pas en cause dans son principe la méthode de reconstitution des chiffres d'affaires mise en oeuvre, se borne à des critiques ponctuelles sur certains éléments de calcul.
9. En premier lieu, s'il conteste la quantité de café par tasse, M. E... ne démontre pas que le dosage pratiqué était supérieur au chiffre de 7 grammes retenu par le vérificateur en se fondant sur un constat d'huissier réalisé sur place, le 28 mai 2013, en-dehors des heures d'ouverture de l'établissement et à une date postérieure à la période vérifiée. Ses allégations quant à l'utilisation de café pour la confection de desserts sont démenties par les constatations de l'administration selon lesquelles le tiramisu servi dans l'établissement était un produit surgelé acheté à l'extérieur de sorte qu'aucune réfaction à ce titre ne peut être admise.
10. En second lieu, le ministre verse à l'instance d'appel le relevé de factures fourni par la société Metro le 10 octobre 2013 à la suite du droit de communication susmentionné dont il résulte que c'est à juste titre que les factures d'achat du 23 février et du 2 décembre 2009 présentes sur ce relevé ont été retenues dans la reconstitution.
11. En troisième lieu, M. E... conteste le montant des dégrèvements prononcés en cours d'instance. Il ressort des calculs présentés dans son dernier mémoire, non contestés par le ministre qui n'a produit aucune observation en réponse, que la réduction du chiffre d'affaires total, d'un montant de 5 575 euros, à prononcer à la suite de l'abandon des deux factures de 2010 mentionnées au point 5, doit conduire à des dégrèvements supplémentaires de, respectivement, 163 euros en matière d'impôt sur le revenu et 566 euros en matière de taxe sur la valeur ajoutée.
En ce qui concerne les pénalités :
12. Aux termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales dans sa rédaction alors applicable : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable (...) ".
13. En relevant, dans la proposition de rectification, du 30 juillet 2102, que le contribuable avait présenté une comptabilité irrégulière et non probante et que la répétition et l'importance des omissions, dont elle rappelait le montant, établissaient que l'intéressé avait cherché volontairement à éluder une fraction importante du chiffre d'affaires, l'administration a, contrairement à ce que soutient M. E..., suffisamment motivé sa décision d'appliquer aux droits rappelés la majoration pour manquement délibéré prévue à l'article 1729 du code général des impôts.
14. Eu égard à ce qui vient d'être dit, l'administration justifie, comme elle en a la charge en vertu de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales, le bien-fondé de la majoration pour manquement délibéré infligée à M. E....
15. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, et sous réserve des dégrèvements prononcés en cours d'instance, que M. E... est seulement fondé à demander la réduction, à concurrence d'un montant total de 163 euros, du complément d'impôt sur le revenu et des pénalités auquel il a été assujetti au titre de l'année 2010 et, à concurrence d'un montant total de 566 euros, des compléments de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités qui lui ont été réclamés au titre de la période correspondant à l'année 2010 et à demander la réformation des jugements attaqués du tribunal administratif de Grenoble.
Sur les frais liés à l'instance :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au bénéfice de M. E... et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à lui verser au titre des frais exposés en cours d'instance et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : A concurrence de 3 251 euros, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions des requêtes de M. E....
Article 2 : L'impôt sur le revenu et les pénalités auxquels M. E... a été assujetti au titre de l'année 2010 sont réduits d'un montant de 163 euros.
Article 3 : Les droits de taxe sur la valeur ajoutée et les pénalités réclamés à M. E... au titre de la période correspondant à l'année 2010 sont réduits d'un montant de 566 euros.
Article 4 : Les jugements du tribunal administratif de Grenoble du 31 mai 2018 sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions des requêtes de M. E... est rejeté.
Article 6 : L'Etat versera à M. E... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E... et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 26 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme B..., présidente-assesseure,
Mme A..., première conseillère.
Lu en audience publique le 17 décembre 2019.
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Nos 18LY02715 - 18LY02737
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