Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 11 juin 2018 et le 20 mars 2019, la SARL Les Bains de Propiac, représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 26 avril 2018 en tant qu'il rejette le surplus de sa demande ;
2°) de lui accorder la réduction de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés demandée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la provision pour charges constituée en 1997 n'ayant pas été remise en cause lors de la précédente vérification de comptabilité effectuée en 2000, qui portait sur les exercices clos en 1997, 1998 et 1999, notamment sur les provisions, aucun redressement ne peut être effectué à ce titre en vertu des articles L. 80 A et L. 80 B du livre des procédures fiscales dès lors que l'administration a pris une position formelle sur une situation de fait en ce qui concerne la régularité de la provision ;
- les premiers juges ont méconnu les droits de la défense en refusant de faire droit à sa demande de production par l'administration fiscale du rapport du vérificateur ayant réalisé la vérification de comptabilité précédente, permettant de connaître les points vérifiés et d'établir l'existence d'une prise de position formelle ;
- la provision ayant été constituée dix-sept ans avant la proposition de rectification, elle n'est pas soumise à la règle de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit en application des alinéas 2 et 3 du 4 bis de l'article 38 du code général des impôts, de la doctrine administrative BOI-BIC-Base-40-20-20-10-20120912 et du document annexe BOI-ANNX-010114-20141013 ;
- elle doit bénéficier de l'instruction 4 A-10-06 n° 109 du 29 juin 2006 sur les exceptions à l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit, instruction qui ne fait pas de distinction entre les erreurs selon qu'elles sont commises ou non de façon délibérée ;
- le maintien de la provision au bilan pendant plus de dix-sept ans ne résulte pas d'une erreur délibérée mais d'une erreur comptable ;
- la provision en litige était régulière lors de sa constitution dès lors que, d'une part, la société était titulaire d'un bail commercial signé en 1990, mettant à sa charge les réparations de toute sorte, y compris les grosses réparations définies à l'article 606 du code civil normalement à la charge du bailleur et que, d'autre part, son montant qui excédait les travaux d'entretien courant est fondé sur l'évaluation des travaux résultant de devis produits par les entreprises contractées pour assurer la réfection des bâtiments suite aux inondations survenues en 1992 ;
- enfin, cette provision remplissait les conditions de déductibilité prévue par le 5° de l'article 39-1 du code général des impôts.
Par un mémoire, enregistré le 9 novembre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à l'annulation de l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 26 avril 2018 et au rétablissement de la majoration pour manquement délibéré infligée à la SARL Les Bains de Propiac.
Il soutient que :
- la provision en litige est irrégulière dès l'origine, aux motifs que, d'une part, l'établissement étant fermé depuis le 22 septembre 1992 suite à un sinistre causé par une catastrophe naturelle, la société ne jouissait plus depuis au moins cinq ans du bâtiment dans les conditions du bail signé en 1990 devenu sans objet, d'autre part, les travaux n'ont jamais été réalisés et enfin, les travaux mentionnés dans les devis sont des travaux de reconstruction incombant au propriétaire et non pas à la société locataire ;
- cette provision qui avait été constituée plus de dix ans avant l'ouverture du premier exercice vérifié, ne peut pas bénéficier des exceptions à la règle de l'intangibilité du bilan d'ouverture prévues par les alinéas 2 et 3 du 4 bis de l'article 38 du code général des impôts et par l'instruction administrative en vigueur lors de la période vérifiée, dès lors qu'elle était irrégulière dès l'origine ;
- l'instruction 4 A-10-06 du 29 juin 2006 exclut les erreurs délibérées ou volontaires du champ d'application du principe d'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit ;
- l'absence de rehaussement lors d'un précédent contrôle ne vaut pas prise de position formelle sur une situation de fait au regard d'un texte fiscal opposable à l'administration sur le fondement de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales ;
- la SARL Les Bains de Propiac a délibérément minoré son résultat imposable à l'impôt sur les sociétés de sorte que la comptabilisation et le maintien de la provision litigieuse au bilan du premier exercice non prescrit doit conduire à remettre à la charge de la société la majoration pour manquement délibéré dont la décharge a été prononcée à tort par les premiers juges.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A..., rapporteure,
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,
- et les observations de Me F..., représentant la SARL Les Bains de Propiac ;
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Les Bains de Propiac, qui exploite et commercialise de l'eau minérale en bouteille, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er avril 2009 au 31 mars 2012, à l'issue de laquelle le service vérificateur a notamment réintégré dans le résultat de l'exercice clos le 31 mars 2011, premier exercice non prescrit, une provision pour charges d'un montant de 845 577 euros constituée en 1997 et maintenue au bilan depuis lors. En conséquence de cette rectification La SARL Les Bains de Propiac a été assujettie, selon la procédure contradictoire, à un complément d'impôt sur les sociétés, assorti d'une majoration de 40 % pour manquement délibéré. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a déchargé la société de cette pénalité. La SARL Les Bains de Propiac relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la décharge du supplément d'impôt sur les sociétés établi au titre de l'exercice clos en 2011. Par la voie de l'appel incident, le ministre de l'action et des comptes publics demande l'annulation de l'article 1er du jugement déchargeant la société de la pénalité.
Sur l'appel principal :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
2. Le tribunal administratif n'a pas entaché d'irrégularité son jugement en s'abstenant de demander à l'administration de verser à l'instance le rapport de vérification de l'exercice clos en 2000 qu'il était loisible à la SARL Les Bains de Propiac de demander par les voies de droit appropriées.
En ce qui concerne le bien-fondé de l'imposition :
S'agissant de l'application de la loi fiscale :
3. En premier lieu, aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôts sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : (...) / 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice. (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut valablement porter en provision et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent comme probables, eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'elles se rattachent par un lien direct aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise. Il appartient au contribuable de justifier tant du montant des provisions qu'il entend déduire de son bénéfice net que du principe même de leur déductibilité.
5. Il résulte de l'instruction que la SARL Les Bains de Propiac a conclu le 29 janvier 1990 un bail commercial avec effet rétroactif au 1er janvier 1990 pour une durée de neuf ans, avec M. D... B..., à la fois gérant de ladite société et propriétaire des locaux composés d'un hôtel-restaurant de trois étages de 130 chambres avec piscine, d'un ensemble destiné à une activité médico-sociale de cure et de repos et une chaîne d'embouteillage de l'eau minérale. En septembre 1992, l'hôtel-restaurant et le centre thermal ont été sinistrés par des inondations. En 1997, la SARL Les Bains de Propiac a constitué une provision d'un montant de 5 594 176,94 francs, soit 845 577 euros, correspondant au coût de remise en état des bâtiments sinistrés d'après divers devis de travaux. Les travaux en cause n'ont jamais été réalisés et l'activité d'hôtel-restaurant et de centre thermal n'a jamais été exploitée par la société requérante. La provision a toutefois été maintenue dans la comptabilité jusqu'à la date de la vérification de comptabilité ayant donné lieu aux rectifications en litige. Pour justifier cette provision, la société requérante se prévaut des stipulations du bail commercial signé en 1990, qui mettaient, selon elle à sa charge les travaux litigieux. Toutefois, si le bail litigieux met à la charge du preneur, en son article 6, les réparations de toutes sortes, y compris celles de grosses réparations, il stipule également que le preneur ne répondra de toutes les détériorations atteignant le bâtiment et normalement à la charge du bailleur, que pour autant qu'elles sont survenues par suite d'abus de jouissance, soit de son fait, soit du fait d'un tiers. L'article 5 du bail stipule par ailleurs que le bailleur doit mettre les locaux loués à la disposition du preneur en les tenants clos et couverts. Il ne peut, par suite, être inféré de ces stipulations que les travaux visant à remédier à la détérioration du bien du fait d'une catastrophe naturelle, conduisant à la réfection des façades et de la toiture, seraient à la charge du preneur. Au surplus, ainsi que l'a retenu l'administration dans la proposition de rectification, la seule activité connue de la SARL Les Bains de Propiac est la commercialisation d'eau minérale en bouteilles et celle-ci n'a apporté aucun élément permettant de constater la réalité de l'exploitation de l'hôtel-restaurant et du centre thermal avant le sinistre. La SARL Les Bains de Propiac n'établit ainsi pas qu'eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice, la charge comptabilisée était probable et se rattachait par un lien direct aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise.
6. En second lieu, aux termes du 4 bis de l'article 38 du code général des impôts : " Pour l'application des dispositions du 2, pour le calcul de la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de l'exercice, l'actif net d'ouverture du premier exercice non prescrit déterminé, sauf dispositions particulières, conformément aux premier, deuxième et troisième alinéas de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales ne peut être corrigé des omissions ou erreurs entraînant une sous-estimation ou surestimation de celui-ci. / Les dispositions du premier alinéa ne s'appliquent pas lorsque l'entreprise apporte la preuve que ces omissions ou erreurs sont intervenues plus de sept ans avant l'ouverture du premier exercice non prescrit. (...) ". En vertu de ces dispositions, une erreur ou omission affectant l'évaluation d'un élément quelconque de l'actif ou du passif du bilan d'un des exercices non prescrits peut, si elle a été commise au cours d'un exercice clos plus de sept ans avant l'ouverture du premier des exercices non prescrits, être corrigée de manière symétrique dans les bilans de clôture et d'ouverture des exercices non prescrits, y compris dans le bilan d'ouverture du premier d'entre eux.
7. Il résulte de la combinaison des dispositions citées au point 6 ci-dessus et de celles citées au point 3 de l'article 39 du code général des impôts, que l'inscription non justifiée en provision d'une somme pendant plusieurs exercices successifs, même si les montants sont identiques, constitue la répétition d'une erreur. Par suite, cette erreur, même lorsqu'elle a été commise pour la première fois au cours d'un exercice clos plus de sept ans avant l'ouverture du premier des exercices non prescrits, ne peut être corrigée dans le bilan d'ouverture du premier de ces exercices. La société requérante n'est donc pas fondée à se prévaloir du droit à la correction symétrique des erreurs sur le terrain de la loi fiscale.
8. Il suit de là que c'est par une exacte application des dispositions précitées que l'administration a réintégré cette provision dans les résultats de l'exercice clos en 2011.
S'agissant de l'application de la doctrine :
9. La SARL Les Bains de Propiac se prévaut, sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de l'instruction 4 A-10-06 n° 109 du 29 juin 2006. Toutefois celle-ci ne comporte pas une interprétation de la loi fiscale différente dont la requérante pourrait se prévaloir sur le fondement des dispositions de l'article L.80 A du livre des procédures fiscales.
10. La SARL Les Bains de Propiac se prévaut également sur le fondement de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, d'une prise de position formelle de l'administration qui résulterait de l'absence de remise en question par l'administration fiscale de la provision en litige lors d'un précédent contrôle réalisé en 2000 ayant donné lieu à une proposition de rectification du 10 novembre 2000. Toutefois, la seule circonstance qu'à l'occasion d'une précédente vérification de comptabilité portant sur des exercices antérieurs, au cours desquels la provision en cause était déjà constituée, elle n'a pas été remise en cause, ne constitue pas une prise de position formelle de l'administration au sens des dispositions des articles L. 80 A et L. 80 B du livre des procédures fiscales. Si la SARL Les Bains de Propiac soutient que le rapport du vérificateur devrait contenir un passage consacré aux provisions, elle n'a jamais été mise en possession d'un tel rapport, dont il n'est pas certain qu'il ait été rédigé. Ainsi, celui-ci, à supposer même qu'il existe, ne saurait, en tout état de cause, valoir prise de position formelle de l'administration.
Sur l'appel incident :
11. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
12. Il résulte de ces dispositions que la pénalité pour manquement délibéré a pour objet de sanctionner la méconnaissance par le contribuable de ses obligations déclaratives. Pour établir ce manquement délibéré, l'administration doit apporter la preuve, d'une part, de l'insuffisance, de l'inexactitude ou du caractère incomplet des déclarations et, d'autre part, de l'intention de l'intéressé d'éluder l'impôt. Le caractère intentionnel du manquement du contribuable à son obligation déclarative s'apprécie au moment de la déclaration ou de la présentation de l'acte comportant l'indication des éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt.
13. Pour mettre à la charge de la SARL Les Bains de Propiac la majoration de 40 % pour manquement délibéré, l'administration a retenu le caractère injustifié de l'inscription de la provision en litige, dont le montant, ainsi qu'il a été dit, est particulièrement important. Elle a souligné l'absence de réelle intention de la SARL Les bains de Propiac d'exploiter l'activité d'hôtel-restaurant centre thermal à la date de sa constitution, résultant des faits constatés et le fait que le gérant de la SARL Les bains de Propiac est également le propriétaire des locaux sinistrés et qu'il a cherché à les revendre ou les relouer dès 1993. Il suit de là que l'administration apporte la preuve qui lui incombe de l'intention délibérée d'éluder l'impôt de la société requérante.
14. Il résulte de ce qui précède que la SARL Les Bains de Propiac n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté le surplus de sa demande et qu'à l'inverse, le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a déchargé la SARL Les Bains de Propiac de la majoration de 40 % appliquée à la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés résultant de la réintégration de la provision en litige.
Sur les frais liés à l'instance :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, quelque somme que ce soit au profit de la SARL Les Bains de Propiac, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SARL Les Bains de Propiac est rejetée.
Article 2 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 26 avril 2018 est annulé.
Article 3 : La majoration de 40 % dont a été assortie la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle la SARL Les Bains de Propiac a été assujettie au titre de l'année 2011 est remise à sa charge.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Les Bains de Propiac et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme C..., présidente-assesseure,
Mme A..., première conseillère.
Lu en audience publique le 19 novembre 2019.
N° 18LY02130
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