Par une requête enregistrée le 13 novembre 2019, Mme H... B..., représentée par Me A... D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du président du tribunal administratif de Dijon du 26 août 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Nièvre du 16 avril 2019 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Nièvre de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt ;
4°) subsidiairement, d'ordonner une expertise en vue de déterminer si M. G... est bien le père biologique de son fils E... ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Mme H... B... soutient que :
- son droit d'être entendu protégé par l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux a été méconnu, les entretiens menés dans le cadre de la procédure d'asile ne portant pas sur un refus de titre de séjour, ni sur une obligation de quitter le territoire français ;
- il n'est pas établi que la décision de la Cour nationale du droit d'asile lui avait été notifiée à la date de l'arrêté de sorte qu'elle bénéficiait du droit à se maintenir sur le territoire français ;
- la fraude dont l'arrêté, qui est entaché d'une erreur matérielle, fait état n'est pas établie ;
- l'obligation de quitter le territoire doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de destination doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistrés le 19 décembre 2019, la préfète de la Nièvre conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens de la requérante ne sont pas fondés.
Mme H... B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 octobre 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Pruvost, président ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme H... B..., ressortissante angolaise née en 1988, est entrée irrégulièrement en France le 2 décembre 2016, selon ses déclarations. Le 23 février 2017, elle a formé une demande d'asile, laquelle a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 27 juin 2018, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 20 décembre 2018. Par un arrêté du 16 avril 2019, la préfète de la Nièvre a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme H... B... relève appel du jugement du 26 août 2019 par lequel le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le refus d'admission au séjour :
2. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté du 16 avril 2019, qu'après avoir constaté que Mme H... B... ne s'était pas vu reconnaître la qualité de réfugié, la préfète de la Nièvre a cependant examiné son droit au séjour, sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, après avoir estimé que l'intéressée ne pouvait prétendre à un titre de séjour en qualité de parent d'un enfant français compte tenu du caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité de son fils E..., né en 2017, a rejeté sa demande de délivrance d'un titre de séjour dans l'article 1er du dispositif de l'arrêté en litige.
3. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée ; Lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent, en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, justifie que ce dernier contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du même code, ou produit une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant ; (...) ".
4. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.
5. En l'espèce, ainsi qu'il a été dit au point 1 ci-dessus, Mme H... B... a déclaré être arrivée en France le 2 décembre 2016, accompagnée de ses trois enfants. Le 9 août 2017, elle a donné naissance à un fils, E..., qui avait été reconnu le 7 juin 2017 par M. G.... Mme H... B... ayant sollicité pour le jeune E... G... la délivrance d'une carte nationale d'identité en janvier 2019, soit postérieurement à la décision de la Cour nationale du droit d'asile, la préfète de la Nièvre, à laquelle Mme H... B... avait transmis l'acte de naissance de l'enfant, a estimé être saisie par l'intéressée d'une demande de titre de séjour sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'elle a rejetée au motif pris du caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité. Pour caractériser la fraude, elle a retenu, d'une part, que l'enfant ayant été conçu autour de la mi-novembre 2016, soit avant l'entrée sur le territoire français de sa mère, M. G..., qu'elle alléguait avoir rencontré en France au mois de décembre 2016, ne pouvait être son père biologique, et, d'autre part, qu'une vie commune certaine et stable entre M. G... et Mme H... B... n'était pas établie. Toutefois, ainsi que la préfète le reconnaît désormais, compte tenu de la date de naissance de E... G..., la date de conception de celui-ci se situe aux alentours du 7 décembre 2016, soit postérieurement à la date de l'entrée en France déclarée par la requérante, soit le 2 décembre 2016. En se bornant à invoquer l'absence de vie commune avérée et stable entre les intéressés et l'absence de contribution de M. G... à l'entretien et l'éducation de l'enfant reconnu, la préfète de la Nièvre ne peut être regardée comme faisant état d'éléments précis et concordants établissant que la reconnaissance de paternité effectuée par M. G... aurait revêtu un caractère frauduleux. La seule circonstance que celui-ci ne se serait pas manifesté dans le cadre des démarches effectuées par Mme H... B..., début 2019, en vue d'obtenir une carte nationale d'identité pour son fils ne saurait justifier, a posteriori, que la reconnaissance de paternité, effectuée le 7 juin 2017, alors que la demande d'asile de Mme H... B... n'avait pas encore été rejetée et que celle-ci n'avait fait l'objet d'aucune décision de refus de séjour ou d'éloignement, a été faite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour. Dans ces conditions, alors que la préfète de la Nièvre n'invoque aucun autre motif permettant de fonder le refus d'admission au séjour, Mme H... B... est fondée à demander l'annulation de cette décision, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens invoqués à son encontre, ni d'ordonner l'expertise sollicitée subsidiairement.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
6. En premier lieu, dans la mesure où un refus de titre de séjour n'est pas le fondement d'une obligation de quitter le territoire français, l'éventuelle annulation du refus de titre de séjour ne conduit pas, par elle-même, à l'annulation par voie de conséquence de l'obligation de quitter le territoire français, qui aurait pu être légalement prise en l'absence du refus de titre de séjour et n'est pas intervenue en raison de ce refus.
7. Il en va ainsi, en principe, pour les obligations de quitter le territoire français prises sur le fondement du 1°, 2°, 4° ou 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, dans le cas où serait contesté à l'occasion d'un recours dirigé contre une telle obligation un refus de titre de séjour pris concomitamment, si le juge administratif annule le refus de titre de séjour, il lui appartient, s'il est saisi d'un moyen en ce sens, d'apprécier, eu égard au motif qu'il retient, si l'illégalité du refus de titre de séjour justifie l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français. Tel est le cas notamment lorsque le motif de l'annulation implique le droit de l'intéressé à séjourner en France. De plus, et en tout état de cause, lorsque la loi prescrit l'attribution de plein droit d'un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce que l'intéressé puisse légalement faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français.
8. En l'espèce, d'une part, l'obligation de quitter le territoire français en litige a été prise sur le fondement du 6° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à la suite du rejet de la demande d'asile de Mme H... B... en dernier lieu par la Cour nationale du droit d'asile. D'autre part, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la préfète de la Nièvre ne pouvait fonder la décision de refus de titre de séjour en litige sur le motif du caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité effectuée par M. G.... Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'étaient remplies, à la date de l'arrêté en litige, les conditions prévues par le 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En particulier il ne ressort pas des pièces du dossier que M. G... contribuait à l'entretien et à l'éducation de l'enfant E... G.... Par ailleurs, le centre de la vie privée de Mme H... B..., qui a vécu la majeure partie de sa vie en Angola, où résident son mari et ses parents, ne peut, eu égard au caractère récent de son entrée sur le territoire et aux conditions de son séjour, être regardé comme situé en France et l'intérêt supérieur de ses enfants n'est pas affecté par un retour de l'ensemble de la famille en Angola. Par suite, d'une part, l'annulation décidée ci-dessus n'implique pas le droit de Mme H... B... à séjourner en France et, d'autre part, il n'est pas établi que Mme H... B... pouvait bénéficier de l'attribution de plein droit d'un titre de séjour.
9. En second lieu, la réalité des risques en cas de retour dans son pays d'origine invoqués par la requérante, dont la demande d'asile a, au demeurant, été rejetée, n'est pas corroborée par les pièces du dossier. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
Sur la décision fixant le pays de destination :
10. Il résulte de ce qui vient d'être dit que le moyen tiré de l'illégalité de la décision obligeant Mme H... B... à quitter le territoire français doit être écarté. Il en va de même du moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
11. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. "
12. En l'espèce, eu égard au motif de l'annulation de la décision refusant à Mme H... B... la délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent d'un enfant français, et en l'absence d'élément permettant de considérer qu'elle remplissait les conditions pour se voir délivrer un tel titre, il y a seulement lieu d'enjoindre à la préfète de la Nièvre de réexaminer sa demande dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me A... D..., avocat de Mme H... B..., au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me A... D... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
DECIDE :
Article 1er : La décision de refus de délivrance de titre de séjour contenue dans l'arrêté du 16 avril 2019 est annulée.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Nièvre de réexaminer la situation de Mme H... B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le jugement n° 1901376 du 26 août 2019 du tribunal administratif de Dijon est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme H... B... est rejeté.
Article 5 : L'Etat versera à Me A... D... la somme de 1 000 euros au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme M... B..., à Me A... D... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée à la préfète de la Nièvre et au procureur de la République près le tribunal judicaire de Nevers en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.
Délibéré après l'audience du 7 juillet 2020, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme C..., présidente-assesseure,
Mme K..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 25 août 2020.
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N° 19LY04131