Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 28 août 2017, M. C..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 26 juin 2017 ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le service a constaté un passif de taxe sur la valeur ajoutée injustifié au titre de l'année 2009, l'écart provenant d'une taxe facturée à la société Auto Service 74 dont les difficultés substantielles ont conduit à sa mise en liquidation judiciaire en 2009 ;
- la mise en liquidation judiciaire de la société Auto Service 74 en 2009 justifiait la comptabilisation d'une perte sur créance irrécouvrable au titre de la même année pour un montant de 604 444 euros, sa qualité de gérant de cette société et sa connaissance éclairée de la situation de la société débitrice rendant inutiles des démarches en vue d'obtenir le recouvrement de ces créances ;
- la charge de 17 635 euros correspondant à des factures d'achat de pièces mécaniques et tôlerie pour l'année 2010 est engagée dans l'intérêt de l'exploitation et doit être admise en déduction de son bénéfice ;
- le défaut de refacturation de charges communes à la société Auto Service 74 pour utilisation des locaux de son exploitation pour exercer son activité professionnelle ne constitue pas un acte anormal de gestion compte tenu de l'environnement économique de ces entreprises et des faibles chances d'être honorées qu'auraient eues ces factures.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mars 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens de l'appelant ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 11 juin 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 28 juin 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Menasseyre, présidente-assesseure,
- et les conclusions de M. Jean-Paul Vallecchia, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. L'activité de dépannage automobile exercée à titre individuel par M. C... a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle des rectifications lui ont été notifiées, selon la procédure contradictoire, au titre de l'année 2009, et selon la procédure d'évaluation d'office prévue à l'article L. 73 du livre des procédures fiscales au titre de l'année 2010, dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. Il relève appel du jugement du 26 juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande dirigée contre les impositions à l'impôt sur le revenu procédant de ces rectifications.
Sur l'existence d'un passif injustifié au titre de l'année 2009 :
2. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors en vigueur : " Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge (...) ".
3. La détermination des bénéfices industriels et commerciaux de l'année 2009 a été effectuée selon la procédure contradictoire. L'administration a considéré que de graves anomalies, portant sur les justificatifs de recettes, les stocks, le respect des règles d'exigibilité en matière de taxe sur la valeur ajoutée, l'inscription à l'actif de biens faisant partie du patrimoine privé du gérant ou la prise en compte d'une perte pour créances irrécouvrables affectaient la comptabilité. Ces anomalies, qui privaient la comptabilité de valeur probante, ne sont d'ailleurs pas contestées. Le chef de rectification portant sur un passif injustifié a été contesté par l'appelant et soumis à l'avis de la commission départementale des impôts. Dès lors que les impositions ont été établies conformément à l'avis de cette commission, la charge de la preuve du caractère exagéré des impositions incombe au requérant.
4. Le vérificateur a constaté qu'à l'ouverture de l'exercice clos en 2009, le montant des " dus clients en matière de prestations de services " s'élevait à la somme de 50 385 euros, ce qui correspondait à une taxe sur la valeur ajoutée en attente d'exigibilité s'élevant à 8 257 euros. Simultanément, il a constaté qu'au 1er janvier 2009 figurait dans la comptabilité de l'entreprise individuelle au compte 4457 " taxe sur la valeur ajoutée collectée ", un " à nouveau " créditeur s'élevant à 83 862,44 euros, somme qui aurait dû correspondre à la taxe collectée relative à des prestations de services pour lesquelles les paiements n'étaient pas encore intervenus. Il en a déduit que la différence, de 75 605 euros, entre la somme de 83 862,44 euros et celle de 8 257 euros correspondait à un passif injustifié qu'il a réintégré aux résultats déclarés au titre de l'exercice clos en 2009.
5. Il n'est pas sérieusement contesté que les relations commerciales entre l'entreprise exploitée par M. C... et la SARL Auto Service 74 sont presque exclusivement constituées de livraisons par la première à la seconde de biens meubles corporels. Ainsi, la dette de la société à l'égard de l'entreprise individuelle est essentiellement constituée par la facturation de pièces de carrosserie et de mécanique, l'entreprise individuelle servant de centrale d'achats à la société. Or, en application du a) du 1. de l'article 269 du code général des impôts, le fait générateur de la taxe intervient dès la livraison du bien et non lors du paiement effectif de la facture. Il en résulte que si l'entreprise individuelle détient une créance d'un montant de 722 916,17 euros sur la SARL Auto Service 74, la taxe sur la valeur ajoutée de 126 728,30 euros correspondante, exigible, ne saurait correspondre à une taxe sur la valeur ajoutée en attente d'exigibilité. Par suite, M. C..., qui n'apporte d'ailleurs aucune justification à l'appui de ses indications, n'est pas fondé à soutenir que le passif injustifié constaté par le vérificateur s'expliquerait par les créances détenues sur la société, lesquelles devraient en outre être corrigées par des excès de déclarations sur des exercices antérieurs qui ne sont pas démontrés.
Sur les pertes sur créances irrécouvrables :
6. En vertu du 2 de l'article 38 du code général des impôts : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. (...) ". Aux termes du 1 de l'article 39 du même code : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature(...) ". Il résulte des dispositions combinées de ces deux articles, dont les dispositions sont applicables à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code, que le bénéfice net est établi sous déduction des charges, comprenant notamment les pertes sur les créances devenues définitivement irrécouvrables à la clôture d'un exercice postérieur à celui de leur naissance.
7. A l'issue des opérations de contrôle, l'administration a réintégré dans les résultats de l'exercice clos le 31 décembre 2009 la somme de 604 444 euros correspondant à des pertes sur créances irrécouvrables comptabilisées par l'entreprise individuelle et correspondant à une créance détenue sur la SARL Auto Services 74. Cette société était placée en procédure de redressement judiciaire depuis le 11 avril 2003, de sorte que ses difficultés financières étaient connues depuis plusieurs années. Si M. C... pouvait constituer des provisions dans la mesure où il estimait que la dépréciation de ses créances le justifiait, le seul placement en liquidation judiciaire de la société, intervenu le 20 novembre 2009, ne saurait par lui-même démontrer que la créance était devenue définitivement irrécouvrable au cours de l'année 2009, la clôture pour insuffisance d'actif n'ayant au demeurant été prononcée que le 29 novembre 2013. Sa connaissance, en qualité de gérant de la SARL Auto Services 74, de la situation de cette dernière société ne le dispensait pas d'accomplir, en sa qualité d'exploitant individuel, les diligences nécessaires en vue de recouvrer sa créance ni de démontrer le caractère définitif de la perte au moment où l'écriture correspondante a été passée. Par suite, en se bornant à invoquer sa qualité de gérant et le placement en liquidation de la société débitrice, l'appelant ne démontre pas le bien-fondé de l'écriture de perte remise en cause par le service. Il n'était, dès lors, pas fondé à demander l'imputation de cette somme sur ses bénéfices imposés.
Sur les charges correspondant à des factures d'achat de pièces mécaniques :
8. Pour être déductibles, les charges doivent notamment être exposées dans l'intérêt de l'entreprise, dans le cadre d'une gestion normale. Au cas d'espèce, l'administration a constaté que, alors qu'elle n'exerce elle-même aucune activité de réparation et de carrosserie, l'entreprise individuelle de M. C... avait comptabilisé, en 2010, des charges s'élevant à 16 111,05 euros correspondant à l'achat de pièces mécaniques, et à 1 254 euros correspondant à l'achat de pièces de tôlerie. Après avoir relevé que la SARL Auto Services 74, qui exerçait une telle activité, l'avait interrompue du fait de son placement en liquidation judiciaire intervenu en 2009 et qu'aucune refacturation de ces pièces n'avait été constatée, l'administration a réintégré ces charges comme non engagées dans l'intérêt de l'entreprise.
9. M. C... supporte la charge de la preuve en raison de la procédure d'office mise en oeuvre. Il ne démontre pas que, comme il le soutient, les charges en cause auraient été exposées en raison de l'activité de carrosserie exercée par la société Alpes Services 74 et auraient fait l'objet d'une refacturation à cette dernière. Par suite, il n'est pas fondé à contester leur réintégration dans ses bénéfices imposables.
Sur les actes anormaux de gestion :
10. Lorsqu'une entreprise apporte une aide à une autre entreprise, notamment au travers d'une renonciation à recettes, celle-ci ne revêt un caractère normal que s'il apparaît qu'en consentant de tels avantages, l'entreprise a agi dans son propre intérêt. Il incombe à cette entreprise de justifier de l'existence de contreparties à de tels choix, tant dans leur principe que dans leur montant notamment en démontrant un intérêt commercial propre à l'avantage consenti. Dans l'hypothèse où cette démonstration est apportée, il appartient ensuite à l'administration de démontrer que ces contreparties sont inexistantes, dépourvues d'intérêt pour l'entreprise ou insuffisantes.
11. La SARL Auto Services 74 puis la SARL Alpes Services 74 ont exercé leur activité de dépannage et carrosserie dans les locaux de l'entreprise individuelle de M. C.... Au cours des opérations de contrôle, le vérificateur a constaté que les dépenses communes d'utilisation des locaux ne faisaient l'objet d'aucune refacturation, l'entreprise individuelle du requérant supportant seule les frais d'eau, d'électricité, de gaz, de combustibles, de téléphone. Il a considéré qu'en supportant des charges d'utilisation des locaux sans refacturation équivalente à l'occupant desdits locaux, l'entreprise individuelle supportait des charges en contradiction avec ses propres intérêts, et commettait un acte anormal de gestion. De ce fait, il a réintégré dans les résultats de l'entreprise individuelle une quote part de ces dépenses correspondant aux quatre cinquièmes, pourcentage de la surface des lieux utilisé par ces entreprises, au motif que l'exploitation individuelle ne pouvait se priver de ces recettes, dans le cadre d'une gestion commerciale normale.
12. En se bornant à invoquer l'environnement économique de ces entreprises, le " désastre lié à la liquidation judiciaire ", les difficultés révélées par l'annonce de créances devenues irrécouvrables, les faibles chances qu'auraient eues des facturations d'être honorées et la situation délicate de la SARL Alpes Services 74, M. C... ne démontre pas les contreparties que son entreprise était en droit d'attendre de la renonciation à recettes en cause. Il en résulte qu'il n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal, qui a suffisamment répondu à l'ensemble des arguments invoqués devant lui, a écarté sa contestation sur ce point.
13. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Sa requête doit être rejetée, y compris dans ses conclusions tendant au remboursement des frais liés au litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 9 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente-assesseure,
Mme B..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 6 novembre 2018.
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N° 17LY03253