Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 20 juin 2018, M. A..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon du 4 avril 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 12 mars 2018 par lequel le préfet du Rhône a décidé sa remise aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du 26 mars 2018, par lequel il l'a assigné à résidence ;
3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet du Rhône d'enregistrer sa demande d'asile en France, de lui remettre le dossier de demande d'asile à transmettre à l'office français de protection des réfugiés et des apatrides et de l'admettre au séjour, dans un délai de 48 heures à compter de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) subsidiairement, d'enjoindre au préfet du Rhône de réexaminer sa situation dans un délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. A... soutient que :
- faute d'avoir obtenu la confirmation écrite sollicitée auprès des autorités italiennes de leur accord pour une reprise en charge, la décision de transfert est illégale et le prive d'une garantie tout en étant susceptible d'avoir une influence sur le sens de la décision de transfert ;
- il existe en Italie des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; la décision méconnait donc le § 2 du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- eu égard à sa particulière vulnérabilité, la décision méconnait également l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la décision d'assignation à résidence doit être annulée par conséquence de l'annulation de la décision de transfert.
La requête a été communiquée au préfet du Rhône, qui n'a pas présenté d'observations.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision 23 mai 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme C..., première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen né le 22 novembre 1994, a fait l'objet d'une décision du 12 mars 2018 du préfet du Rhône prononçant son transfert aux autorités italiennes ainsi que d'une décision du 26 mars 2018 par laquelle le préfet du Rhône l'a assigné à résidence. Il relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
2. Aux termes de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, relatif à la " Présentation d'une requête aux fins de reprise en charge lorsqu'une nouvelle demande a été introduite dans l'État membre requérant " : " 1. Lorsqu'un État membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b) (...) a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre État membre est responsable conformément (...) à l'article 18, paragraphe 1, point b) (...), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne. / 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac ("hit"), en vertu de l'article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) n° 603/2013. (...) / 3. Lorsque la requête aux fins de reprise en charge n'est pas formulée dans les délais fixés au paragraphe 2, c'est l'État membre auprès duquel la nouvelle demande est introduite qui est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. "
3. Aux termes de l'article 25 de ce règlement : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines / 2. L'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée ".
4. Aux termes de l'article 10 du règlement n° 1560/2003 modifié : " Lorsqu'il en est prié par l'État membre requérant, l'État membre responsable est tenu de confirmer, sans tarder et par écrit, qu'il reconnaît sa responsabilité résultant du dépassement du délai de réponse. L'État membre responsable est tenu de prendre dans les meilleurs délais les dispositions nécessaires pour déterminer le lieu d'arrivée du demandeur et, le cas échéant, convenir avec l'État membre requérant de l'heure d'arrivée et des modalités de la remise du demandeur aux autorités compétentes ".
5. Il résulte des dispositions précitées que le silence de l'Etat requis suite à une demande de reprise en charge vaut, à l'expiration du délai mentionné à l'article 25 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, acceptation implicite de ladite demande, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée. Si l'Etat membre requérant peut demander une confirmation expresse en vertu des dispositions de l'article 10 du règlement n° 1560/2003 modifié, lesdites dispositions sont relatives à l'exécution de la mesure par laquelle l'autorité préfectorale décide le transfert vers un autre Etat d'un demandeur d'asile. Leur éventuelle méconnaissance est par suite sans incidence sur la légalité de cette décision.
6. En l'espèce, les autorités italiennes, requises dans le délai prévu à l'article 23 précité du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, ont implicitement accepté la requête des autorités françaises suite au silence gardé pendant deux semaines à la suite de ladite requête, conformément aux dispositions de l'article 25 du même règlement. Il résulte par ailleurs de ce qui a été dit au paragraphe 5 ci-dessus que le moyen tiré de ce que l'absence de confirmation expresse des autorités italiennes, sollicitées en application des dispositions de l'article 10 du règlement n° 1560/2003 modifié, a entaché la décision de transfert d'illégalité et a privé M. A... d'une garantie doit être écarté.
7. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers (...) sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (...) ; / (...) 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable (...) ".
8. L'Italie étant membre de l'Union Européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption est toutefois réfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'existent des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités italiennes répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
9. M. A... invoque l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie et se réfère à cet égard à plusieurs rapports publiés entre 2015 et 2018 par des organisations non gouvernementales, ainsi qu'à des articles de presse. Cependant, et malgré les difficultés réelles rencontrées par cet Etat compte tenu de l'importance des flux de demandeurs d'asile auquel il est confronté, M. A... n'établit pas que, à la date à laquelle l'arrêté en litige a été pris, la situation générale qui régnait en Italie ou l'organisation mise en place par les autorités ne permettraient pas d'assurer un niveau de protection suffisant aux demandeurs d'asile. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la demande d'asile du requérant ne serait pas traitée par les autorités italiennes, qui ont implicitement accepté la reprise en charge de M. A..., dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile et que M. A... courrait en Italie un risque réel d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. La décision de transfert contestée ne méconnaît donc pas les dispositions précitées du 2 de l'article 3 du règlement (UE) du 26 juin 2013.
10. Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
11. A l'appui du moyen tiré de ce que la décision litigieuse méconnaitrait l'article 17 précité, M. A... fait valoir son état de santé. Toutefois, selon les termes du certificat médical qu'il produit, l'affection dont il est atteint est supposée en phase inactive, et il ne ressort pas des pièces du dossier qu'un traitement ou un suivi médical particulier aurait été mis en place. Il suit de là que doit être écarté le moyen tiré de ce que le préfet du Rhône aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas application de la clause discrétionnaire prévue par les dispositions rappelées de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013.
12. Il résulte de ce qui précède que les conclusions dirigées contre la décision d'assignation à résidence, dont l'annulation n'est demandée que par voie de conséquence de l'annulation de la décision de transfert, doivent être rejetées.
13. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 9 avril 2019, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente-assesseure,
Mme C..., première conseillère.
Lu en audience publique le 7 mai 2019.
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N° 18LY02265
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