Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 17 juin 2015, l'EURL Garage Denis Comte, désormais représentée par MeA..., mandataire judiciaire, ès qualité de liquidateur, lui-même représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 30 avril 2015 ;
2°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, pénalités et intérêts de retard mis à sa charge ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle n'a fait que poursuivre des pratiques antérieurement validées au contentieux par le tribunal administratif de Clermont-Ferrand et elle remplit les conditions pour bénéficier de ce régime ; la remise en cause du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge, ou à tous le moins, l'application d'un régime de présomption d'inapplicabilité de ce régime, ne peut être admise au seul motif que le véhicule a été précédemment détenu par un professionnel assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée ; il ne pèse sur le négociant français aucune obligation de vérification approfondie ; un professionnel du secteur automobile peut très bien ne pas être en situation de déduire une taxe sur la valeur ajoutée d'achat ; en l'occurrence, il faudrait apprécier de façon précise et circonstanciée les textes et la jurisprudence allemande pour être certain que les professionnels de l'automobile antérieurement propriétaires des véhicules ayant donné lieu aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée litigieuse étaient en situation de déduire ladite taxe ; en outre l'administration admet la valeur des certificats d'acquisition intracommunautaire pour délivrer des certificats dits " quitus fiscaux " dans le cadre des démarches d'immatriculation des véhicules ; le caractère triangulaire de l'opération ne démontre pas, en soi, l'existence d'une fraude ;
- il n'est pas démontré qu'elle avait connaissance de l'inapplicabilité de ce régime ; la commission des infractions fiscales a d'ailleurs émis un avis défavorable à la proposition de poursuite correctionnelle concernant M. Comte, le gérant de la société requérante.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 décembre 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a fait évoluer sa jurisprudence et l'avis émis par la commission des infractions fiscales concerne une procédure pénale ; l'administration peut remettre en cause l'application du régime d'imposition sur la marge en démontrant que l'assujetti-revendeur ne pouvait ignorer que son fournisseur n'était pas autorisé à appliquer lui-même le régime de la marge ; l'administration peut le démontrer au moyen d'un faisceau d'indices ;
- en l'espèce, les différents indices admis par la jurisprudence sont réunis, à savoir la connaissance par la requérante de l'existence, pour les véhicules en cause, d'une carte grise sur laquelle figurait le nom de professionnels de l'automobile, l'existence de documents de transport mentionnant l'identité et la qualité des négociants allemands et précisant le cheminement direct des véhicules depuis les locaux des professionnels allemands vers ceux de l'EURL requérante, alors que les véhicules apparaissent comme acquis auprès de fournisseurs espagnols, la connaissance par la requérante des mécanisme de fraude suite à un précédent contrôle et l'assistance administrative ayant permis de découvrir que les fournisseurs espagnols n'étaient pas en droit de délivrer des factures avec mention relative au régime de taxation sur la marge ;
- la requérante ne démontre pas que les professionnels de l'automobile ayant été préalablement propriétaires des véhicules en cause auraient été dans une situation ne leur permettant pas de déduire la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur la facture d'achat ; pour prononcer les rappels de taxe sur la valeur ajoutée litigieux, l'administration ne s'est pas fondée sur le seul fait que les véhicules avaient été antérieurement la propriété de professionnels de l'automobile mais sur un ensemble d'indices ; au stade du visa du certificat dit " quitus fiscal ", délivré dans le cadre de l'immatriculation d'un véhicule, l'administration n'est autorisée à se livrer qu'à un contrôle sommaire des conditions d'application du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sollicité ; ce faisant, l'administration ne prend pas une position formelle sur une situation de fait au sens de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales ; le schéma triangulaire de l'opération, en l'espèce, compte tenu des autres indices recueillis, permettait à l'EURL requérante de s'interroger sur la qualité d'assujetti-revendeur de ses fournisseurs.
Par des mémoires enregistrés le 18 octobre 2016 et le 21 novembre 2016, l'EURL Garage Denis Comte, représentée par MeA..., mandataire judiciaire, conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens.
Elle soutient en outre que le vérificateur ne lui a jamais communiqué les factures d'achat du fournisseur espagnol Talleres malgré sa demande formulée par courrier du 15 novembre 2012, méconnaissant ainsi les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales et entachant ainsi de nullité la procédure d'imposition.
Par un mémoire enregistré le 9 novembre 2016, le ministre des finances et des comptes publics conclut aux mêmes fins que précédemment. Il soutient en outre que le moyen tiré de l'absence de communication des factures d'achat du fournisseur espagnol Talleres manque en fait.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vinet,
- les conclusions de M. Besse, rapporteur public ;
1. Considérant que l'EURL Garage Denis Comte, qui exerçait une activité de négoce de véhicules automobiles d'occasion, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2010, qui a été étendue jusqu'au 30 juin 2011 en matière de taxe sur la valeur ajoutée ; qu'à l'issue de ce contrôle, l'administration lui a notifié une proposition de rectification en date du 14 septembre 2012, selon la procédure contradictoire, l'informant qu'elle entendait procéder à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de l'ensemble de la période du 1er janvier 2009 au 30 juin 2011 en raison de la remise en cause du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge qu'elle avait appliqué lors de la vente en France de véhicules qu'elle avait auparavant acquis auprès de divers fournisseurs espagnols et slovène ; qu'à la suite des observations formulées par la société le 15 novembre 2012 en réponse à cette proposition de rectification, l'administration a confirmé ces rehaussements ; que les impositions ont été mises en recouvrement le 25 février 2013 ; que la société a présenté une réclamation le 7 mars 2013, qui a été rejetée par une décision du 9 juillet 2013 ; que l'EURL Garage Denis Comte a alors saisi, le 12 septembre 2013, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'une demande tendant à la décharge de ces rappels de taxe et des pénalités y afférentes ; que, par un jugement du 30 avril 2015, le tribunal a rejeté sa demande ; que l'EURL Garage Denis Comte, désormais représentée par MeA..., mandataire judiciaire, ès qualité de liquidateur judiciaire, interjette appel de ce jugement ;
Sur les conclusions aux fins de remise à la charge des impositions :
4. Considérant qu'aux termes du I de l'article 256 bis du code général des impôts, dans sa version applicable à la période en litige : " 1° Sont également soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les acquisitions intracommunautaires de biens meubles corporels effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ou par une personne morale non assujettie lorsque le vendeur est un assujetti agissant en tant que tel et qui ne bénéficie pas dans son Etat du régime particulier de franchise des petites entreprises (...) / 2° bis Les acquisitions intracommunautaires de biens d'occasion (...) effectuées à titre onéreux par un assujetti (...) ne sont pas soumises à la taxe sur la valeur ajoutée lorsque le vendeur ou l'assujetti est un assujetti revendeur qui a appliqué dans l'Etat membre de départ de l'expédition ou du transport du bien les dispositions de la législation de cet Etat prises pour la mise en oeuvre des articles 312 à 325 ou 333 à 341 de la directive 2006 / 112 / CE du Conseil du 28 novembre 2006. (...) " ; qu'aux termes du I de l'article 297 A du même code : " 1° La base d'imposition des livraisons par un assujetti revendeur de biens d'occasion (...) qui lui ont été livrés par un non redevable de la taxe sur la valeur ajoutée ou par une personne qui n'est pas autorisée à facturer la taxe sur la valeur ajoutée au titre de cette livraison est constituée de la différence entre le prix de vente et le prix d'achat (...) " ; qu'aux termes de l'article 297 E du même code : " Les assujettis qui appliquent les dispositions de l'article 297 A ne peuvent pas faire apparaître la taxe sur la valeur ajoutée sur leurs factures. " ;
5. Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'une entreprise française assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée a la qualité d'assujetti revendeur et peut appliquer le régime de taxation sur la marge prévu par l'article 297 A du code général des impôts, lorsqu'elle revend un bien d'occasion acquis auprès d'un fournisseur, situé dans un autre Etat membre, qui, en sa qualité d'assujetti revendeur, lui a délivré une facture conforme aux dispositions précitées de l'article 297 E du code général des impôts, et dont le fournisseur a aussi cette qualité ou n'est pas assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée ; qu'en revanche, les reventes de véhicules d'occasion qui ont fait l'objet d'une acquisition intracommunautaire soumise à la taxe sur la valeur ajoutée ne peuvent bénéficier du régime de la marge prévu aux articles 297 A et suivants du code général des impôts ;
6. Considérant que, lorsqu'une entreprise produit des factures émanant de ses fournisseurs qui mentionnent que les ventes de véhicules s'effectuaient sous le régime de taxe sur la valeur ajoutée sur la marge mentionné ci-dessus, il incombe à l'administration, si elle s'y croit fondée, de démontrer, d'une part, que les mentions portées sur ces factures sont erronées, d'autre part, que le bénéficiaire de ces achats de véhicules savait ou aurait dû savoir que les opérations présentaient le caractère d'acquisitions taxables sur l'intégralité du prix de revente à ses propres clients, sans que pèse sur le contribuable l'obligation de vérifier la qualité d'assujetti revendeur de ses fournisseurs ;
7. Considérant, en premier lieu, que, pour démontrer le caractère erroné des mentions portées sur les factures des fournisseurs de l'EURL Garage Denis Comte, dont il est constant qu'elles comportaient toutes la mention de l'application par le fournisseur du régime de taxe sur la valeur ajoutée sur la marge, l'administration invoque, d'une part, le fait que les véhicules ont appartenus à des négociants allemands professionnels de l'automobile et ont été acheminés directement de l'Allemagne vers la France, sans passer par les fournisseurs espagnols ou slovène de l'EURL requérante, d'autre part, le résultat de ses demandes d'assistance administrative internationale, qui ont, pour la plupart conduit les autorités sollicitées à indiquer que les fournisseurs sur lesquels elles étaient interrogées ne pouvaient appliquer le régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge ; qu'elle produit, pour l'un des fournisseurs en cause, la société Automocion Costamar, des factures d'achat dudit fournisseur, dont la requérante n'était pas en possession, démontrant que les huit véhicules d'occasion achetés auprès de lui par l'EURL Garage Denis Comte avaient fait l'objet d'une acquisition intracommunautaire soumise à la taxe sur la valeur ajoutée ; que s'agissant du fournisseur Talleres Hidalcan, elle produit des éléments démontrant que, suite à un contrôle des autorités espagnoles, elle a dû procéder à des régularisations en matière de taxe sur la valeur ajoutée et a produit des factures rectificatives adressées à l'EURL requérante, dont il n'a cependant pu être démontré que celle-ci les aurait reçues ; que, pour la quasi-totalité des autres fournisseurs, les autorités étrangères consultées ont fait état du caractère très probablement frauduleux de leur activité ; qu'eu égard à l'ensemble de ces circonstances l'administration apporte la preuve que les mentions figurant sur les factures des fournisseurs de l'EURL Garage Denis Comte, relatives à l'application du régime de taxe sur la valeur ajoutée sur la marge, étaient erronées et que les fournisseurs espagnols et slovène de ladite EURL n'étaient pas en droit de délivrer des factures avec la mention relative au régime de taxation sur la marge ;
8. Considérant, en second lieu, que pour affirmer que l'EURL Garage Denis Comte ne pouvait ignorer le caractère erroné des mentions apposées sur les factures émises par ses fournisseurs quant à l'application du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge, l'administration fait valoir que l'EURL requérante avait parfaitement connaissance, ce qui n'est au demeurant pas contesté, du caractère triangulaire des opérations, de l'identité des vendeurs antérieurs, à savoir des professionnels de l'automobile allemands et de l'absence de transit des véhicules qu'elle acquérait par le pays d'implantation de son fournisseur ; qu'elle considère que la requérante devait déduire de ces éléments, et du fait que les fournisseurs n'apportent aucune plus-value dans la chaine de commercialisation des véhicules, leur interposition étant de pure forme, que les assujettis-revendeur allemands avaient effectivement déduit la TVA sur le prix de vente qu'avaient pu leur facturer les entités commerciales cédantes ; que, toutefois, le fait que la société requérante avait connaissance de ce que les véhicules en cause avaient antérieurement appartenu à des entreprises allemandes de vente de véhicules, n'est pas de nature, à elle seule, à établir l'inapplicabilité du régime de la marge alors que ces entreprises peuvent, le cas échéant, être regardées comme un " assujetti-revendeur " relevant d'un tel régime ; que, d'ailleurs, ainsi que le fait valoir la requérante, ce n'est qu'aux termes de demandes d'assistance administrative internationale que l'administration fiscale a pu recueillir des éléments permettant de démontrer le caractère erroné des mentions apposées sur les factures litigieuses ; que, par ailleurs, la connaissance qu'avait l'EURL Garage Denis Comte de l'acheminement des véhicules depuis l'Allemagne vers la France, sans transit par les pays d'implantation de ses fournisseurs, via les factures des transporteurs dont copie lui était adressée, ne permet pas d'établir qu'elle savait nécessairement que ni ses fournisseurs espagnols et slovène, ni leurs vendeurs allemands, avec lesquels elle n'avait au demeurant aucun contact, ne relevaient du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge ; qu'en conséquence, alors que l'EURL Garage Denis Comte s'est placée sous le régime de taxe correspondant aux factures qui lui avaient été adressées, les circonstances ainsi exposées par l'administration ne suffisent pas à établir que cette entreprise ne pouvait ignorer que ses fournisseurs n'avaient pas la qualité d'assujetti revendeur et qu'ils n'étaient pas autorisés à appliquer eux-mêmes le régime de taxation sur la marge ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure suivie par l'administration fiscale, que l'EURL Garage Denis Comte, représentée par MeA..., est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge et des pénalités et intérêts de retard y afférents ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " :
11. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l'EURL Garage Denis Comte dans l'instance et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1301448 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand en date du 30 avril 2015 est annulé.
Article 2 : L'EURL Garage Denis Comte est déchargée en droits et pénalités du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé pour la période du 1er janvier 2009 au 30 juin 2011.
Article 3 : L'Etat versera à la société L'EURL Garage Denis Comte, représentée par MeA..., ès qualité de liquidateur judiciaire, une somme de 2 000 euros (deux mille euros) au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à l'EURL Garage Denis Comte, représentée par Me A..., mandataire judiciaire, ès qualité de liquidateur judiciaire, et au ministre de l'économie et des finances.
Délibéré après l'audience du 14 février 2017, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président,
Mme Mear, président assesseur,
Mme Vinet, premier conseiller,
Lu en audience publique le 16 mars 2017.
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N° 15LY02043