Procédure devant la cour
Par un recours enregistré le 10 octobre 2017, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble, en date du 13 juillet 2017 ;
2°) de remettre à la charge de M. B... la pénalité prévue à l'article 1759 du code général des impôts d'un montant de 164 441 euros et la somme de 1 200 euros qui lui a été versée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- un avis de mise en recouvrement correspondant à la pénalité d'un montant de 164 441 euros a été émis sous le n° 20101100009, correspondant à la créance n° 20151350 et reçu par la société Solaris ainsi qu'en atteste l'avis de réception qu'il est en mesure de produire, distribué le 23 novembre 2010 ;
- la proposition de rectification adressée à la société Solaris mentionne que les dirigeants sociaux sont solidairement responsables du paiement de l'amende prévue à l'article 1759 du code général des impôts ;
- l'administration n'est pas tenue de motiver la pénalité prévue par les dispositions de l'article 1759 du code général des impôts à l'égard des personnes responsables solidairement de son paiement ou de les inviter à présenter des observations ;
- les rehaussements d'impôt sur les sociétés mis à la charge de la société Solaris étaient fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 décembre 2017, M. B..., représenté par Me E..., conclut au rejet du recours et à ce que soient mis à la charge de l'Etat les dépens ainsi qu'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- sa réclamation contentieuse était recevable ;
- l'administration ne l'a pas mis à même de présenter des observations et d'engager un débat contradictoire ;
- sa solidarité avec la société n'a pas fait l'objet d'une information explicite ;
- l'administration fiscale était tenue d'adresser à la société un avis de mise en recouvrement de la pénalité prévue à l'article 1759 du code général des impôts avant de mettre à sa charge cette pénalité et ne démontre pas l'avoir fait ;
- l'administration fiscale adopte un comportement abusif ;
- l'administration fiscale ne démontre pas le bien-fondé des impositions mises en recouvrement ;
- la charge de la preuve incombe à l'administration qui a elle-même reconnu qu'il n'est pas le bénéficiaire des distributions.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Menasseyre, présidente assesseure,
- et les conclusions de M. Jean-Paul Vallecchia, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. La société à responsabilité limitée (SARL) Solaris, qui exerce une activité de marchand de biens et dont M. B... est l'ancien gérant, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2005, 2006 et 2007 à l'issue de laquelle elle a été assujettie à des compléments d'impôts sur les sociétés. L'administration fiscale a estimé qu'au titre de l'année 2005, des rectifications correspondant à la remise en cause de charges déduites par la société constituaient des rémunérations et avantages occultes au sens du c) de l'article 111 du code général des impôts. Elle a invité la société Solaris à faire connaître l'identité du ou des bénéficiaires de ces revenus. En l'absence de désignation des bénéficiaires des sommes considérées comme distribuées, elle a infligé à la société l'amende égale à 100 % des sommes distribuées prévue à l'article 1759 du code général des impôts. Un avis de mise en recouvrement a été émis le 4 janvier 2013 à l'encontre de M. B... afin de lui réclamer, en sa qualité de débiteur solidaire, le paiement de cette pénalité. Le ministre de l'action et des comptes publics relève appel du jugement du 13 juillet 2017 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a déchargé M. B... de l'amende de 164 441 euros mise à sa charge.
2. Aux termes de l'article L. 256 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction alors en vigueur : " Un avis de mise en recouvrement est adressé par le comptable public compétent à tout redevable des sommes, droits, taxes et redevances de toute nature dont le recouvrement lui incombe lorsque le paiement n'a pas été effectué à la date d'exigibilité. (...) ". Aux termes de l'article L. 257-O A du même livre : " 1. A défaut de paiement des sommes mentionnées sur l'avis d'imposition à la date limite de paiement ou de celles mentionnées sur l'avis de mise en recouvrement et en l'absence d'une réclamation assortie d'une demande de sursis de paiement formulée dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article L. 277, le comptable public compétent adresse au contribuable une mise en demeure de payer avant la notification du premier acte de poursuite devant donner lieu à des frais au sens de l'article 1912 du code général des impôts. 2. Lorsque la mise en demeure de payer n'a pas été suivie de paiement ou d'une demande de sursis de paiement au sens de l'article L. 277, le comptable public compétent peut engager des poursuites à l'expiration d'un délai de trente jours suivant sa notification (...) ". L'article R. 256-2 du même livre précise que " Lorsque le comptable poursuit le recouvrement d'une créance à l'égard de débiteurs tenus conjointement ou solidairement au paiement de celle-ci, il notifie préalablement à chacun d'eux un avis de mise en recouvrement ". L'article 1203 du code civil dispose que " Le créancier d'une obligation contractée solidairement peut s'adresser à celui des débiteurs qu'il veut choisir, sans que celui-ci puisse lui opposer le bénéfice de division ".
3. Si l'administration peut s'adresser au dirigeant d'une société à laquelle a été infligée la pénalité prévue par les dispositions de l'article 1759 du code général des impôts en vue d'obtenir le paiement de la somme correspondante, dès lors qu'il en est solidairement responsable en vertu des dispositions du 3 du V de l'article 1754 du code général des impôts, la garantie que constitue, pour le Trésor public, l'existence de débiteurs tenus solidairement au paiement d'une créance fiscale ne peut être mise en oeuvre, lorsqu'il existe un débiteur principal de l'impôt ou de la pénalité fiscale qui est le contribuable, que si cette créance a été régulièrement établie à son égard et, en particulier, s'il a été destinataire d'un avis de mise en recouvrement régulièrement notifié dans le délai de reprise. Par suite, la personne qui est recherchée en paiement solidaire d'une imposition ou d'une pénalité mise à la charge d'un débiteur principal est fondée à soutenir que l'imposition ou la pénalité n'a pas été régulièrement établie si l'administration n'a pas, avant l'expiration du délai de reprise, régulièrement notifié au débiteur principal un avis de mise en recouvrement.
4. Pour prononcer la décharge de l'amende de 164 441 euros mise à la charge de M. B..., le tribunal administratif de Grenoble a considéré que la société Solaris n'avait jamais reçu d'avis de mise en recouvrement relatif à la pénalité visée à l'article 1759 du code général des impôts. Le ministre, qui indique n'être pas en mesure de produire cet avis de mise en recouvrement, produit pour la première fois en appel un avis de réception, dont il indique qu'il correspond au pli contenant l'avis notifié à la société, adressé à " M. B... p/ SARL Solaris 660 A Che de Pauli 13760 ST CANNAT " et revêtu de la signature de M. B.... Cet avis de réception porte, dans la case " références " les mentions suivantes : 1320135 11 2010 0066 AMR 3742 M 10 11 00009. Sous cette case apparaît une date : " mercredi, août 10, 2011 ". Enfin, dans la rubrique prévue à cet effet, il est indiqué : Présenté le 23.11.10 Distribué le 23.11.10. L'avis de mise en recouvrement reçu par M. B... se réfère, pour sa part, à un avis de mise en recouvrement n° 20101100009 notifié le 19 octobre 2011. Aucun élément d'explication n'est apporté par l'administration fiscale sur la discordance entre les mentions figurant sur l'avis de réception dont elle se prévaut et celles qui figurent sur l'avis de mise en recouvrement adressé à M. B.... Le ministre indique à l'appui de son recours que cet avis a été distribué le 23 novembre 2010, ce qui, comme l'indique M. B..., est incompatible avec la date du 19 octobre 2011 mentionnée sur l'avis de mise en recouvrement adressé au débiteur solidaire comme étant celle de la notification de l'avis adressé à la société. Eu égard à l'incohérence des mentions figurant sur l'avis de réception produit par le ministre, à l'absence de tout élément d'explication permettant de rattacher cet avis de réception à un avis de mise en recouvrement, lui-même non produit, adressé à la société Solaris, alors que ces incohérences appellent des éclaircissements, le ministre appelant ne peut être regardé comme apportant la preuve, qui lui incombe, que la pénalité en cause a été régulièrement notifiée au débiteur principal en se bornant à produire l'avis de réception en cause et une copie écran, au demeurant difficilement exploitable, qui n'apporte aucun éclaircissement sur ces discordances.
5. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a déchargé M. B... de l'amende pour le paiement solidaire de laquelle il était poursuivi en sa qualité de gérant de la société Solaris.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à M. B... au titre des frais exposés en cours d'instance et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le recours du ministre de l'action et des comptes publics est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à M. B... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 25 septembre 2018 à laquelle siégeaient :
Mme Menasseyre, présidente assesseure, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
Mme C..., première conseillère,
Mme A..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 16 octobre 2018.
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N° 17LY03616
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