Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 27 mars 2018, le préfet de l'Yonne, représenté par Me A..., demande à la cour d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon du 27 février 2018.
Il soutient que :
- c'est à tort que le premier juge a considéré que la réquisition faite à l'Etat étranger se rattachait au processus de détermination de l'Etat responsable alors qu'elle lui est postérieure et qu'il était compétent pour réaliser cette démarche ;
- il convient de se référer, pour le surplus, à ses écritures de première instance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 septembre 2018, M. C..., représenté par Me E..., conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que le moyen soulevé par le préfet de l'Yonne n'est pas fondé, que la motivation de la décision de transfert est insuffisante, que cette décision révèle un défaut d'examen particulier de sa situation, que le transfert est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation et que la décision l'assignant à résidence est illégale par vie de conséquence.
Par ordonnance du 20 septembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 9 octobre 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 du 30 janvier 2014 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne C-670/16 du 26 juillet 2017 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Menasseyre, présidente-assesseure,
- et les observations de Me E..., représentant M. C... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. D... C..., de nationalité afghane, a présenté une demande de protection internationale qui a été enregistrée par les services de la préfecture de police de Paris le 20 novembre 2017. La consultation des informations contenues dans le fichier Eurodac a révélé que ses empreintes digitales avaient déjà été enregistrées dans cette base, en Bulgarie le 17 octobre 2015 et en Norvège le 8 novembre 2015. Le 23 novembre 2017, il a été orienté dans l'Yonne, au centre d'accueil et d'orientation de la Croix Rouge française situé à Jaulges. Les autorités norvégiennes, saisies le 8 janvier 2018 par le préfet de l'Yonne d'une demande de reprise en charge de l'intéressé, ont, par un accord explicite, accepté de le reprendre en charge. Le préfet de l'Yonne a alors décidé, par arrêté du 22 février 2018, le transfert de l'intéressé aux autorités norvégiennes et, par arrêté du même jour, l'a astreint à résider au centre d'accueil et d'orientation de la Croix Rouge française à Jaulges, pour une durée maximale de quarante-cinq jours renouvelable une fois. Le préfet de l'Yonne relève appel du jugement du 27 février 2018, par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon a annulé ces arrêtés et lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de l'intéressé.
Sur le motif d'annulation retenu par les premiers juges :
2. Pour annuler les arrêtés du 22 février 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon a jugé que le préfet de l'Yonne n'était pas compétent pour former la demande de reprise en charge du 8 janvier 2018.
3. L'enregistrement de la demande d'asile d'un étranger se trouvant à l'intérieur du territoire français relève, en vertu de l'article R. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, du préfet de département. En vertu de l'article R. 742-1 du même code, le préfet de département est également compétent pour procéder à la détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile et pour prendre une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 de ce code. Par arrêté du 20 octobre 2015, pris en application des dispositions précitées : " I. -L'annexe au présent arrêté fixe la liste des préfets compétents pour enregistrer la demande d'asile d'un étranger se trouvant sur le territoire métropolitain et procéder à la détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de cette demande. Elle précise en outre les départements dans lesquels chacun de ces préfets est compétent. II. - Le préfet compétent reçoit de l'étranger sollicitant l'enregistrement de sa demande les pièces prévues par l'article R. 741-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Si l'étranger remplit les conditions pour l'obtenir, le préfet lui délivre l'attestation de demande d'asile prévue par l'article L. 741-1 du même code. Le renouvellement de cette attestation est sollicité auprès du préfet du département dans lequel son détenteur réside ou est domicilié. ". L'annexe à cet arrêté intitulée " PRÉFETS COMPÉTENTS POUR L'ENREGISTREMENT DE LA DEMANDE D'ASILE, LA DÉLIVRANCE DE L'ATTESTATION DE DEMANDE D'ASILE ET LA DÉTERMINATION DE L'ETAT RESPONSABLE DE L'EXAMEN DE LA DEMANDE (ARTICLES R. 741-1 ET R. 742-1 DU CODE DE L'ENTRÉE ET DU SÉJOUR ET DU DROIT D'ASILE) " indique " Préfet de la Côte-d'Or (Dijon) : Côte-d'Or, Nièvre, Yonne ". L'attribution de compétence ainsi fixée par l'arrêté du 20 octobre 2015, qui concerne l'instruction de la demande et, le cas échéant, la réquisition de l'Etat membre considéré comme étant responsable son examen, ne vise pas la décision de transfert prise en application des dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, laquelle reste de la compétence du préfet du département de résidence du demandeur.
4. Il ressort des pièces du dossier qu'à compter du 23 novembre 2017, M. C... était domicilié.... Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Yonne était territorialement compétent pour prendre à son endroit une décision de transfert. Si le préfet de la Côte-d'Or était, en vertu de l'arrêté du 20 octobre 2015, compétent pour instruire sa demande, déterminer l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile de l'intéressé et requérir cet Etat, le vice qui a, ainsi, affecté l'instruction de la demande de M. C... n'affecte pas la compétence de l'auteur de l'acte. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie. Au cas d'espèce, l'instruction de la demande de M. C... en vue de déterminer l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile effectuée par les services de la préfecture de l'Yonne en lieu et place de ceux de la Côte d'Or n'a pas privé l'intéressé d'une garantie et n'apparaît pas avoir été susceptible d'exercer une influence sur la décision prise à l'issue de cet instruction. Il en résulte que ce vice n'a pas affecté la légalité de la décision de transfert contestée. C'est donc à tort que le tribunal s'est fondé sur ce motif pour annuler les arrêtés du 22 février 2018.
5. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif et devant la cour.
Sur la motivation de la décision de transfert :
6. Aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative (...) ".
7. La motivation d'une décision de transfert d'un demandeur d'asile en vue de sa reprise en charge par un autre Etat membre doit mettre l'intéressé à même de critiquer les modalités de détermination de l'Etat de transfert et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Cet énoncé passe par l'indication de l'article du règlement sur la base duquel la requête aux fins de reprise en charge a été présentée audit Etat membre, parmi ceux visés à l'annexe III du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014.
8. Au cas d'espèce, l'arrêté de transfert du 22 février 2018 indique que les autorités norvégiennes ont été saisies d'une demande de reprise en charge en application de l'article 18.1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Le paragraphe 1 de cet article correspond à quatre situations différentes, énumérées au a), b) c) et d) de ce paragraphe. Par suite, en n'indiquant pas dans le cadre de laquelle de ces hypothèses il entendait se placer, le préfet de l'Yonne n'a pas mis M. C... à même de connaître les motifs qui ont présidé au choix de l'Etat de transfert et a, ainsi, insuffisamment motivé sa décision. Celle-ci est, par suite illégale, ce qui entraîne par voie de conséquence l'illégalité de la décision d'assignation à résidence prise en vue de sa mise à exécution.
9. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Yonne n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon a annulé les arrêtés du 22 février 2018, lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de l'intéressé et a mis 800 euros à sa charge au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de l'Yonne est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de l'Yonne et à M. D... C....
Délibéré après l'audience du 23 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente-assesseur,
Mme B..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 20 novembre 2018.
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N° 18LY01153
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