Par une requête et un mémoire enregistrés les 3 novembre 2016 et 1er décembre 2017, l'EURL Mamas, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 13 septembre 2016 ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et pénalités ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa comptabilité a été écartée à tort, les seules circonstances que les stocks soient imprécis, qu'une commande à un fournisseur ne figure pas dans les écritures comptables et que certains produits, qui sont inscrits à la carte, ne soient pas vendus, n'étant pas suffisantes pour écarter la comptabilité comme non probante ;
- l'administration n'apporte pas la preuve de l'existence d'achats dissimulés en se fondant sur des fiches de caisse dont elle a parallèlement remis en cause la valeur probante ;
- la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires est radicalement viciée dans son principe en ce qu'elle aboutit à minorer artificiellement les ventes de champagne à la bouteille puis à considérer que ces ventes minorées comparées aux ventes comptabilisées sont constitutives d'achats dissimulés.
Par un mémoire en défense et un mémoire en réplique enregistrés le 25 janvier et le 18 décembre 2017 le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Menasseyre, présidente assesseure ;
- et les conclusions de M. Jean-Paul Vallecchia, rapporteur public ;
1. Considérant que l'EURL Mamas, qui exerce une activité de bar de nuit à hôtesses, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période correspondant aux exercices clos en 2008, 2009 et 2010, à l'issue de laquelle l'administration fiscale lui a adressé, après avoir rejeté sa comptabilité et reconstitué son chiffre d'affaires, une proposition de rectification datée du 20 décembre 2011 portant sur des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe de valeur ajoutée, notifiés selon la procédure de rectification contradictoire, assortis de majorations ; que l'administration fiscale a confirmé le 5 avril 2012 ces rectifications, en réponse aux observations de la société présentées le 9 février 2012 ; que lors d'une séance du 7 décembre 2012, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, après avoir confirmé le rejet de la comptabilité présentée par l'EURL Mamas et le bien-fondé de la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires, a relevé deux erreurs de calcul, la première concernant la ventilation des ventes de champagne à 250 euros de l'année 2010, qui aurait dû représenter 8,5 % et non 24 %, et la seconde sur le taux de perte appliqué aux bières qui aurait dû être de 20 % comme indiqué dans le corps de la proposition de rectification ; qu'après prise en compte des remarques émises par la commission, les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et les rappels de taxes sur la valeur ajoutée et les pénalités correspondantes ont été mises en recouvrement, le 17 mai 2013 ; que l'EURL Mamas relève appel du jugement du 13 septembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes ;
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne la régularité de la comptabilité et la charge de la preuve :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : "Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge. (...) " ;
3. Considérant que, pour rejeter comme non probante la comptabilité de l'EURL Mamas, le vérificateur a relevé que celle-ci n'avait pas été en mesure de justifier le détail de ses recettes journalières pour les exercices faisant l'objet de la vérification de comptabilité, la société ayant, en l'absence de caisse enregistreuse sur la période vérifiée, présenté uniquement des fiches de caisse journalières mentionnant, d'une part, le nombre et le prix unitaire des boissons consommées par les clients sans que celles-ci soient identifiables ou individualisées et, d'autre part, la ventilation des recettes en fonction des moyens de paiement ; que l'inscription globale de recettes en fin de journée est un motif justifiant à lui seul que la comptabilité puisse être écartée comme non probante ; que le vérificateur a, en outre, relevé que les ventes ne reflétaient pas la carte proposée aux clients, certains champagnes, comme le Ruinard blanc de blanc, le Don Ruinard, le Pommery ou encore le Moët et Chandon, n'ayant fait l'objet d'aucune vente tandis que d'autres ont été vendus sans apparaître sur la carte ; qu'il a également été relevé qu'aucune vente d'alcool supérieur n'avait eu lieu en mars et novembre 2008, en avril et novembre 2009 et en novembre 2010 et que les stocks sont imprécis en l'absence d'indication de la contenance des produits inscrits sur l'inventaire et eu égard à l'évaluation souvent erronée de leurs prix unitaires ; que, de plus, l'exercice du droit de communication auprès des fournisseurs de l'EURL Mamas, a fait apparaître l'existence d'une facture, d'un montant de 702,14 euros, qui n'apparaissait pas en comptabilité et qui avait été réglée en espèces, correspondant à un achat non comptabilisé ; que, dans ces conditions, et au regard des nombreuses irrégularités relevées, il résulte de ce qui précède que l'administration apporte la preuve qui lui incombe des graves irrégularités dont la comptabilité de l'EURL Mamas était entachée ; qu'elle a, dès lors, pu à bon droit l'écarter comme non probante et procéder à la reconstitution du chiffre d'affaires de cette société ;
4. Considérant que la comptabilité comportant, ainsi qu'il vient d'être dit, de graves irrégularités et les impositions contestées ayant été établies conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, la preuve de leur caractère exagéré incombe à l'EURL Mamas ; qu'il lui revient, dès lors, de démontrer soit que la méthode de reconstitution de son chiffre d'affaires est excessivement sommaire ou radicalement viciée dans son principe, soit que les montants imposés sont exagérés ;
En ce qui concerne la reconstitution du chiffre d'affaires :
5. Considérant que, s'agissant du secteur des ventes de champagne, le vérificateur a déterminé dans un premier temps les achats nets revendus par secteur de vente et par produit à partir des factures identifiables ; qu'afin de déterminer les achats nets revendus de champagne, il a relevé les produits, les quantités achetées et les prix hors taxes correspondants, inscrits sur chacune des factures d'achats de champagne identifiables relatives à la période vérifiée ; qu'il a ensuite déterminé les quantités de champagne utilisables en bouteilles et en litrage en intégrant les stocks d'entrée et de sortie de chaque exercice ; qu'après avoir opéré une réfaction évaluée à 10 % de l'ensemble des achats utilisables afin de tenir compte des offerts, pertes et consommations du personnel, le vérificateur a déterminé les achats revendus ; que le vérificateur a ensuite procédé à la saisie de l'ensemble des fiches de caisse journalières afin de déterminer les quantités de champagne composant les chiffres d'affaires déclarés au titre des trois exercices vérifiés ; qu'il a déterminé à partir de ces mêmes fiches la répartition des ventes de champagne à la coupe, bouteilles ou cocktails et les ventes des autres alcools ; que cette ventilation a été affinée en fonction des indications données par la société au cours du contrôle ; que lorsqu'il ressortait de ces indications qu'une marque de champagne était utilisée indistinctement en bouteilles, en coupes ou en cocktail, le vérificateur a déterminé la ventilation en fonction de la répartition du litrage vendu telle qu'elle apparaissait sur les fiches de caisse ; que le vérificateur a ainsi reconstitué, par exercice, un chiffre d'affaires correspondant aux achats revendus ; que la comparaison des quantités revendues correspondant à ce chiffre d'affaires avec les quantités vendues résultant du dépouillement des fiches de caisse a mis en évidence l'existence d'achats revendus de champagne qui n'ont pas été comptabilisés, que le vérificateur a également reconstitués par application des tarifs aux quantités omises ; que le chiffre d'affaires reconstitué correspond, pour chaque exercice, à la somme des achats revendus nets de champagne comptabilisés reconstitués, des achats revendus nets de champagne non comptabilisés reconstitués, et des achats revendus reconstitués d'alcools supérieurs, d'alcools et de bières Heineken ;
6. Considérant qu'alors même que la comptabilité a été écartée à bon droit pour les motifs exposés au point 3, le vérificateur pouvait, sans que sa méthode ne s'en trouve disqualifiée, se fonder sur les éléments dont il disposait et, à défaut d'éléments plus précis, sur les fiches de caisse de l'entreprise, pour reconstituer le chiffre d'affaires que la comptabilité présentée ne reflétait pas fidèlement ; que, s'agissant des achats revendus de champagne reconstitués, en se bornant à se livrer à un raisonnement théorique qui ne reflète pas la méthode employée par l'administration, qui a pris soin de distinguer, chaque fois que cela était possible, les ventes de champagne en bouteille et de ne se livrer à une ventilation que lorsqu'une marque était indistinctement revendue à la coupe ou à la bouteille, la société n'établit pas que la méthode retenue aurait conduit, comme elle le soutient, à surestimer le volume des coupes revendues ; qu'enfin, et contrairement à ce qui est soutenu, l'administration pouvait mettre en évidence l'existence d'achats revendus non comptabilisés en se livrant à une comparaison entre les quantités résultant de l'exploitation des fiches de caisse présentées par le vérificateur et celles résultant de l'exploitation des factures d'achat présentées lors du contrôle ;
7. Considérant, par suite, que l'EURL Mamas ne démontre ni que la méthode de reconstitution de son chiffre d'affaires est excessivement sommaire ou radicalement viciée dans son principe ni que les montants imposés sont exagérés ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'EURL Mamas n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, quelque somme que ce soit au profit de l'EURL Mamas, au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de l'EURL Mamas est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL Mamas et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 2 mai 2018 à laquelle siégeaient :
Mme Menasseyre, présidente assesseure, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
Mme A..., première conseillère,
Mme C..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 22 mai 2018.
N° 16LY03695
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N° 16LY03695