Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 octobre 2016 et le 23 novembre 2017, Mme B... épouse A..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 5 juillet 2016 ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône de lui délivrer un titre de séjour portant la mention vie privée et familiale dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de cinquante euros par jour de retard, à défaut, de lui enjoindre de réexaminer sa situation dans un délai de huit jours, sous la même astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à charge pour son conseil de renoncer à la part contributive de l'Etat.
Elle soutient que :
- l'arrêté est insuffisamment motivé et ne procède pas d'un examen complet de sa situation ;
- il méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle ne peut voyager sans risque vers son pays d'origine ;
- en l'absence de soins dans son pays d'origine, elle ne pourra y mener une vie privée et familiale normale eu sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, alors que sa famille est bien intégrée en France ;
- les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 décembre 2017, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête en renvoyant aux écritures qu'il a produites en première instance.
Par ordonnance du 23 novembre 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 15 décembre 2017.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 septembre 2016.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Menasseyre, président assesseur ;
- et les observations de Me C..., représentant Mme A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., de nationalité bosnienne, est entrée en France le 24 juin 2012 pour y demander l'asile. Sa demande a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 19 février 2012 puis par la Cour nationale du droit d'asile le 22 mai 2013. Elle a ensuite présenté une demande de titre de séjour en invoquant les soins nécessités par son état de santé. Un premier refus en date du 8 octobre 2013 a été annulé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon n° 14LY01486 du 31 mars 2015. Après une nouvelle instruction, le préfet du Rhône a, par arrêté du 3 juillet 2015, refusé de lui délivrer le titre sollicité et lui a fait obligation de quitter le territoire français sous trente jours, au risque, passé ce délai, d'être éloignée d'office vers la Bosnie-Herzégovine. Elle relève appel du jugement du 5 juillet 2016 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, la décision de refus de titre de séjour contestée comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde. Dès lors, le moyen tiré de ce que cette décision serait insuffisamment motivée doit être écarté.
3. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier et, en particulier, des mentions de la décision attaquée, que le préfet du Rhône a procédé à l'examen spécifique de la situation personnelle de Mme A... avant de refuser de lui délivrer un titre de séjour et de lui faire obligation de quitter le territoire. Il n'avait pas à se prononcer au regard d'un avis délivré par le médecin de l'agence régionale de santé au mois d'avril 2013 alors que ce dernier s'était à nouveau prononcé sur la situation de l'intéressée le 21 avril 2015.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général de l'agence (...) ".
5. Le médecin de l'agence régionale de santé a été d'avis que l'état de santé de Mme A... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, qu'un traitement approprié n'existait pas dans son pays d'origine et que les soins devaient être poursuivis pendant douze mois. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... souffre d'un syndrome de stress post traumatique sévère et fait l'objet d'une prise en charge psychothérapeutique accompagnée de la prise d'un traitement médicamenteux comportant notamment la prise de trois médicaments, la Paroxetine 20 mg, l'Alprazolam 0,50 mg et le Zopiclone 7,5 mg entrant dans la catégorie des antidépresseurs, anxiolytiques et hypnotiques. Le préfet du Rhône, qui n'était pas tenu par l'avis du médecin de l'agence régionale de santé, a estimé que l'intéressée pouvait bénéficier des soins nécessaires à son état de santé dans son pays d'origine en se fondant notamment sur un courriel de la consule-régisseur de l'ambassade de France à Sarajevo daté du 5 août 2013, indiquant que les institutions de Bosnie-Herzégovine sont à même de traiter sur place de nombreuses pathologies, y compris les troubles d'ordre psychiatriques. Par ailleurs, il ressort des pièces produites par le préfet que des cliniques psychiatriques y existent, notamment à Tuzla et à Sarajevo. Enfin le préfet démontre par les pièces versées aux débats que la paroxetine, l'alprazolam, ainsi que le zolpidem et le zaleplone, médicaments équivalents au zopiclon, figurent sur la liste des médicaments commercialisés en Bosnie-Herzégovine. Ainsi, et en dépit des éventuelles faiblesses du système de santé dans cet Etat, il ressort des pièces du dossier que les soins et médicaments spécialement adaptés au traitement du stress post traumatique dont souffre l'appelante y sont disponibles. Par ailleurs, les instances compétentes en matière d'asile ont estimé que les faits allégués de persécutions n'étaient pas établis. Il n'est pas davantage établi au contentieux que la source du traumatisme dont souffre Mme A... se trouve dans son pays d'origine et qu'un retour dans ce pays aggraverait son état de santé. Elle n'est, par suite, pas fondée à soutenir que l'origine de sa pathologie l'empêche de bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé en Bosnie-Herzégovine.
6. Enfin, s'agissant de sa capacité à supporter un voyage vers ce pays, Mme A... ne saurait se prévaloir des mentions d'un avis du médecin de l'agence régionale de santé du 5 avril 2013 alors que cette autorité a émis un avis postérieurement, le 21 avril 2015. Si ce dernier avis est silencieux sur ce point, il ressort des termes de la décision du préfet du Rhône qu'il a, dès le stade de l'examen de la demande de titre de séjour qui lui était soumise, pris en considération les modalités d'exécution d'une éventuelle mesure d'éloignement, a envisagé la capacité de l'intéressée à supporter le voyage et a considéré qu'il ne ressortait pas de son dossier qu'elle ne pouvait voyager sans risque vers son pays d'origine. Ces risques s'apprécient au vu de la pathologie, de sa prise en charge, et des conditions de transport, et notamment de sa durée. Il ne ressort pas des éléments du dossier qu'il aurait commis une erreur d'appréciation sur ces différents points.
7. Il résulte de ce qui précède qu'en estimant que l'intéressée ne remplissait pas les conditions pour bénéficier d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade, le préfet du Rhône n'a pas méconnu les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
9. Mme A... est entrée en France à l'âge de trente-six ans et y vivait depuis trois ans à la date de l'arrêté attaqué. Si elle démontre qu'elle a un frère réfugié en France depuis le mois de septembre 2015, ses allégations concernant un autre frère ne sont pas démontrées par les pièces versées au débat. Son époux est en situation irrégulière. Elle ne démontre pas ni même n'allègue qu'elle n'aurait plus aucune attache avec la Bosnie-Herzégovine. Ses deux enfants, âgés de douze et sept ans à la date de l'arrêté attaqué sont scolarisés en France, ce qui ne fait pas obstacle à ce qu'ils puissent l'être en Bosnie-Herzégovine, pays où rien ne fait obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que l'état de santé de l'intéressée ferait obstacle à ce que sa vie privée et familiale puisse se poursuivre dans son pays d'origine. Il en résulte que, au vu des attaches dont Mme A... est en mesure de faire état en France et des conditions et de la durée de son séjour dans ce pays, le préfet du Rhône n'a pas, en adoptant l'arrêté contesté, porté une atteinte excessive, au regard des buts poursuivis par la mesure, au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale. Les stipulations précitées n'ont, ainsi, pas été méconnues. Il n'apparaît pas davantage, pour les mêmes motifs et même si les enfants suivent en France une scolarité normale, que le préfet aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
10. En dernier lieu, la double circonstance, qui n'est démontrée que pour l'un d'entre eux, que deux frères de Mme A... ont obtenu le statut de réfugié et qu'un cousin de son époux est de nationalité française n'est pas de nature à démontrer l'existence de risques actuels et personnels encourus par l'intéressée en cas de retour en Bosnie-Herzégovine, alors d'ailleurs que les instances compétentes en matière d'asile ont, successivement, considéré que ces risques n'étaient pas établis. Il en résulte que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut être accueilli.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Sa requête doit, par suite, être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête Mme B... épouse A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... épouse A... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 27 mars 2018, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, président assesseur,
Mme E..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 24 avril 2018.
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N° 16LY03550
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