Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 18 mars 2016, le préfet de Saône-et-Loire demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 1er de ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 14 janvier 2016 ;
2°) de rejeter, dans le cadre de l'effet dévolutif, les demandes présentées par M. et Mme B... devant le tribunal administratif.
Le préfet de Saône-et-Loire soutient que :
- le tribunal administratif ne pouvait estimer que les décisions litigieuses se trouvaient frappées de caducité depuis le 24 août 2015 ni, par voie de conséquence, déclarer sans objet les conclusions tendant à l'annulation de ces décisions ; qu'en effet, si l'article 29-2 du règlement européen du 26 juin 2013 prévoit que l' Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre ou reprendre en charge la personne concernée si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'article 27-3 du même règlement stipule que le transfert se trouve suspendu en cas de recours contre la décision de remise du demandeur d'asile, et ce jusqu'à ce que la juridiction saisie ait statué ; que cette suspension est soumise à la seule condition, remplie en l'espèce, que l'Etat responsable soit informé du report du transfert en application de l'article 9-1 du règlement n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;
- aucun des moyens présentés par M. et Mme B...en première instance n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 mai 2016, M. et MmeB..., représentés par Me Corneloup, concluent au rejet de la requête et demandent à la cour de mettre à la charge de l'Etat à verser à leur conseil la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à charge pour ce dernier de renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat à sa mission d'aide juridictionnelle.
Ils soutiennent que le moyen d'appel du préfet n'est pas fondé.
M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 juin 2016.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte) ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Besse, rapporteur public.
1. Considérant que M. et MmeB..., ressortissants kosovares, qui déclarent être entrés sur le territoire français le 26 décembre 2014, ont présenté une demande d'asile ; qu'après avoir constaté que leurs empreintes digitales avaient été préalablement enregistrées en Hongrie, le préfet de Saône-et-Loire a, par deux arrêtés en date du 22 avril 2015, décidé leur remise aux autorités hongroises ; que, par un jugement du 14 janvier 2016, le tribunal administratif de Dijon a prononcé un non-lieu à statuer sur les demandes de M. et Mme B...tendant à l'annulation desdits arrêtés du préfet de Saône-et-Loire et rejeté le surplus de leurs demandes ; que le préfet de Saône-et-Loire relève appel de ce jugement en tant qu'il a prononcé un non lieu à statuer ;
Sur le non lieu à statuer prononcé par le tribunal administratif :
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 27 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, relatif aux voies de recours contre les décisions de transfert d'un étranger vers un autre Etat membre : " Voies de recours / 1. Le demandeur ou une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), dispose d'un droit de recours effectif, sous la forme d'un recours contre la décision de transfert ou d'une révision, en fait et en droit, de cette décision devant une juridiction. (...) / 3. Aux fins des recours contre des décisions de transfert ou des demandes de révision de ces décisions, les États membres prévoient les dispositions suivantes dans leur droit national: / a) le recours ou la révision confère à la personne concernée le droit de rester dans l'État membre concerné en attendant l'issue de son recours ou de sa demande de révision; ou / b) le transfert est automatiquement suspendu et une telle suspension expire au terme d'un délai raisonnable, pendant lequel une juridiction, après un examen attentif et rigoureux de la requête, aura décidé s'il y a lieu d'accorder un effet suspensif à un recours ou une demande de révision; ou / c) la personne concernée a la possibilité de demander dans un délai raisonnable à une juridiction de suspendre l'exécution de la décision de transfert en attendant l'issue de son recours ou de sa demande de révision. Les États membres veillent à ce qu'il existe un recours effectif, le transfert étant suspendu jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la première demande de suspension. La décision de suspendre ou non l'exécution de la décision de transfert est prise dans un délai raisonnable, en ménageant la possibilité d'un examen attentif et rigoureux de la demande de suspension. La décision de ne pas suspendre l'exécution de la décision de transfert doit être motivée. / 4. Les États membres peuvent prévoir que les autorités compétentes peuvent décider d'office de suspendre l'exécution de la décision de transfert en attendant l'issue du recours ou de la demande de révision. (...) " ; qu'aux termes de l'article 29 du règlement précité, relatif aux modalités et délais de transfert : " 1. Le transfert du demandeur (...) de l'État membre requérant vers l'État membre responsable s'effectue (...) au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. (...) / 2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. " ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation aux articles L. 213-2 et L. 213-3, L. 511-1 à L. 511-3, L. 512-1, L. 512-3, L. 512-4, L. 513-1 et L. 531-3, l'étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 211-1, L. 211-2, L. 311-1 et L. 311-2 peut être remis aux autorités compétentes de l'Etat membre qui l'a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, ou dont il provient directement, en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec les Etats membres de l'Union européenne. / L'étranger visé au premier alinéa est informé de cette remise par décision écrite et motivée prise par une autorité administrative définie par décret en Conseil d'Etat. / Cette décision peut être exécutée d'office par l'administration après que l'étranger a été mis en mesure de présenter des observations et d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. " ; qu'aux termes de l'article L. 531-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " Les dispositions de l'article L. 531-1 sont applicables, sous la réserve mentionnée à l'avant-dernier alinéa de l'article L. 741-4, à l'étranger qui demande l'asile, lorsqu'en application des dispositions des conventions internationales conclues avec les Etats membres de l'Union européenne l'examen de cette demande relève de la responsabilité de l'un de ces Etats. " ;
4. Considérant, enfin, qu'aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " III. - En cas de décision de placement en rétention ou d'assignation à résidence en application de l'article L. 561-2, l'étranger peut demander au président du tribunal administratif l'annulation de cette décision dans les quarante-huit heures suivant sa notification. " ;
5. Considérant que depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, le recours dirigé contre une décision de transfert, prise après le 1er novembre 2015, suspend l'exécution de la décision jusqu'au jugement du tribunal ; que, toutefois, avant l'entrée en vigueur de cette loi, si l'introduction d'un recours sur le fondement du III de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en cas de placement en rétention ou d'assignation à résidence, applicable quelle que soit la mesure d'éloignement, autre qu'un arrêté d'expulsion, et notamment une décision ordonnant la remise d'un demandeur d'asile aux autorités de l'Etat responsable de l'examen de sa demande, avait par elle-même pour effet de suspendre l'exécution de la mesure d'éloignement, tel n'était pas le cas de l'introduction d'un recours pour excès de pouvoir exercé, dans les conditions de droit commun, contre la décision de remise d'un étranger aux autorités d'un autre Etat membre lorsque cet étranger n'avait pas fait l'objet d'une mesure de placement en rétention administrative ou d'assignation à résidence ; que, dans cette dernière hypothèse, la mesure de remise pouvait faire l'objet d'une demande de suspension ordonnée par le juge des référés statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, ou de toute mesure ordonnée sur le fondement de l'article L. 521-2 du même code ;
6. Considérant que les décisions de remise aux autorités hongroises prises à l'encontre de M. et Mme B...le 22 avril 2015 sont soumises au régime contentieux qui existait à l'encontre de ce type de décisions avant l'entrée en vigueur de la loi du 29 juillet 2015 ; qu'il ressort des pièces du dossier que M. et MmeB..., qui n'ont fait l'objet ni d'un placement en rétention administrative, ni d'une assignation à résidence, ont chacun présenté, devant le tribunal administratif de Dijon, dans les conditions de droit commun, une demande tendant à l'annulation des arrêtés du 22 avril 2015 par lesquels le préfet de Saône-et-Loire a décidé leur remise aux autorités hongroises ; que les recours ainsi introduits ne présentaient pas de caractère suspensif ; que M. et Mme B...n'ont pas obtenu, dans le cadre d'un référé, la suspension de l'exécution de ces arrêtés ; que, par suite, conformément aux dispositions précitées de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, et malgré les indications erronées données par le préfet de Saône-et-Loire à la Hongrie sur l'introduction par M. et Mme B...d'un recours présentant un caractère suspensif, le délai fixé pour l'exécution des mesures de remise aux autorités hongroises avait commencé à courir à compter du 24 février 2015, date à laquelle les autorités hongroises ont donné leur accord pour la reprise en charge de M. et MmeB... ; que M. et Mme B...n'étant pas emprisonnés et n'ayant pas cherché à prendre la fuite, ce délai était de six mois ; qu'ainsi, lorsque le tribunal administratif de Dijon a statué le 14 janvier 2016 sur les demandes des intéressés, les décisions du préfet de Saône-et-Loire, qui ne pouvaient plus être exécutées, étaient devenues caduques ; que, par suite, cette caducité étant intervenue postérieurement à l'introduction des demandes, et les arrêtés litigieux n'ayant reçu aucun commencement d'exécution, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Dijon a jugé qu'il n'y avait plus lieu à statuer sur les demandes des intéressés ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet de Saône-et-Loire n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a prononcé un non-lieu à statuer sur les demandes présentées par M. et MmeB... ;
8. Considérant que M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Corneloup renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée, de mettre à la charge de l'Etat le paiement à cet avocat de la somme de 1 000 euros qu'il demande ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de Saône-et-Loire est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Corneloup, avocat de M. et MmeB..., la somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme C...B...et M. A... B.... Copie en sera adressée au préfet de Saône-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 8 novembre 2016, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Mear, président-assesseur,
Mme Duguit-Larcher, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 29 novembre 2016.
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N° 16LY00978
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