Procédure devant la cour
I - Par une requête, enregistrée le 11 janvier 2016, la Maison de l'intercommunalité de Haute Tarentaise, représentée par la SELARL CDMF Avocats Affaires publiques, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement n° 1303237 du 10 novembre 2015, en tant que le tribunal administratif de Grenoble l'a condamnée à payer à M. E... une somme de 2 896,02 euros avec intérêts au taux légal à compter du 21 juin 2013 ;
2°) de ramener à la somme de 186 euros le montant de la rémunération due à M. E... ;
3°) de mettre à la charge de M. E... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que
- c'est à tort que les juges de première instance ont considéré que le siège de la communauté de communes, situé à Bourg-Saint-Maurice, constituait un lieu de travail pour M. E..., dès lors que le lieu d'exercice de son activité d'enseignement se situe exclusivement à Val d'Isère ou à Tignes, l'intéressé passant avant son premier cours au siège uniquement pour récupérer les clés du véhicule de service mis à sa disposition et sans y exercer la moindre activité et sans y être contraint par sa hiérarchie ;
- le passage de l'agent au siège n'est pas imposé au titre d'un lieu de travail mais résulte de son choix de bénéficier de la mise à disposition du véhicule de service, avantage en nature accordé par la collectivité publique ;
- seul le temps de trajet de Val d'Isère à Tignes, de dix-huit minutes sur trente-six semaines de l'année scolaire 2010-2011, soit une durée totale de dix heures et quarante minutes, peut être rémunéré à hauteur de la somme de 186 euros correspondant à un taux horaire de 17,30 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 octobre 2016, M. B... E..., représenté par Me A..., avocate, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident et à titre subsidiaire, à ce qu'il soit enjoint au président de la Maison de l'intercommunalité de Haute Tarentaise, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, de liquider, pour les années scolaires 2010-2011, 2011-2012 et 2012-2013, la rémunération qui lui est due au titre de 167,40 heures de trajet entre les sites d'enseignement de l'école de musique ;
3°) à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la Maison de l'intercommunalité de Haute Tarentaise au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- depuis son recrutement par la Maison de l'intercommunalité de Haute Tarentaise, il a toujours exercé ses fonctions de professeur de clarinette sur le site principal de Bourg-Saint-Maurice, outre pour certaines années sur les sites de Val d'Isère et de Tignes ;
- si les trajets entre son domicile et les locaux de l'école de musique à Bourg-Saint-Maurice sont des trajets domicile-travail non payables, ceux entre Bourg-Saint-Maurice et les lieux d'enseignement de Val d'Isère et de Tignes constituent un temps de travail effectif devant être rémunéré ;
- le refus de considérer le temps de déplacement entre les locaux principaux de l'école de musique à Bourg-Saint-Maurice et les sites d'enseignement à Tignes et à Val d'Isère comme du temps de travail effectif entraîne une rupture d'égalité entre enseignants de l'école de musique, dès lors que certains dispensent l'ensemble de leurs cours dans les locaux principaux et que d'autres sont contraints d'effectuer un ou plusieurs déplacements dans la semaine vers ces sites annexes ;
- seule la prise en compte du temps de déplacement vers ces sites permet de garantir l'égalité entre tous les enseignants de l'école de musique intercommunale.
Par un arrêt n° 16LY00090 du 5 décembre 2017, la cour administrative de Lyon a ramené la somme de 2 896,02 euros, que la Maison de l'intercommunalité de Haute Tarentaise a été condamnée à verser à M. E..., par le jugement n° 1303237 du 10 novembre 2015 du tribunal administratif de Grenoble, à la somme de 186,84 euros.
Par une décision n° 420703 du 10 juin 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et a renvoyé à la Cour le jugement de l'affaire.
II - Par courriers du 23 juin 2020, les parties ont été informées du renvoi à la cour administrative d'appel de Lyon, de l'affaire qui a été enregistrée sous le n° 20LY01646.
Par un mémoire enregistré le 6 octobre 2020, la maison de l'intercommunalité de Haute Tarentaise, représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Grenoble rendu le 10 novembre 2015 par lequel elle a été condamnée à verser à M. E... la somme de 2 896,02 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 21 juin 2013 en tant qu'il a fait droit à la demande de rémunération des temps de trajet (aller/retour) entre Bourg-Saint-Maurice et les lieux d'exercice des enseignements à Val d'Isère et à Tignes et en conséquence de ramener la condamnation de l'établissement à la somme de 186 euros ;
2°) de mettre à la charge de M. E... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la durée de travail effectif s'entend comme le temps pendant lequel les agents sont à la disposition de leur employeur et doivent se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles et que, ce faisant, le passage de M. E... à Bourg-Saint-Maurice ne constitue pas " un premier lieu de travail " imposé par la collectivité publique employeur, mais bien au contraire un passage auquel l'agent consent volontairement pour bénéficier du véhicule de service, soit un avantage en nature octroyé par la collectivité employeur à l'agent.
Par un mémoire enregistré le 7 octobre 2020, M. E... représenté par Me A... :
1°) conclut au rejet de la requête d'appel formée par la communauté de communes de Haute Tarentaise ;
2°) et à ce que la Cour prenne acte de ce qu'il renonce aux conclusions aux termes desquelles il sollicitait qu'il soit enjoint au président de la communauté de communes de modifier son contrat de travail ;
3°) demande la confirmation du jugement du 10 novembre 2015 en tant d'une part, que le tribunal administratif de Grenoble a qualifié de " temps de travail effectif " les temps de déplacement effectués entre les différents lieux d'enseignement de l'Ecole de Musique de Haute Tarentaise, d'autre part qu'il a condamné la communauté de communes de Haute Tarentaise à lui verser la rémunération due au titre de 167,40 heures effectuées pour la période 2010-2013 ;
4°) à titre principal, demande de dire et juger que le montant des sommes dues s'élève à la somme de 2 896 euros pour la période 2010-2013 ;
5°) à titre subsidiaire, demande à ce qu'il soit enjoint au président de la communauté de communes de faire procéder au calcul du montant de la rémunération due au titre des 167,40 heures effectuées, ce sur la base du taux horaire appliqué au cours de la période considérée et à ce que cette injonction soit assortie d'une astreinte de 150 euros par jour de retard ;
6°) et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la maison de l'intercommunalité de Haute Tarentaise sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient d'une part que les locaux situés à Bourg-Saint-Maurice sont bien les locaux principaux de l'école, où sont dispensés la grande majorité des cours d'instruments et que les " antennes " de Tignes et Val d'Isère n'accueillent qu'une petite partie de ceux-ci et d'autre part, qu'il ne sollicite pas de rémunération au titre de ses déplacements entre domicile et travail, lesquels se limitent à la partie Chambéry/Bourg-Saint-Maurice.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;
- le décret n° 2000-815 du 25 août 2000 modifié relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'État et dans la magistrature ;
- le décret n° 91-861 du 2 septembre 1991 portant statut particulier du cadre d'emplois des assistants territoriaux d'enseignement artistique (musique, danse, art dramatique, arts plastiques) ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Fédi, président-assesseur,
- les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant la communauté de communes de Haute Tarentaise ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 10 novembre 2015, le tribunal administratif de Grenoble a condamné la maison de l'intercommunalité de Haute Tarentaise, devenue la communauté de communes de Haute Tarentaise au 1er janvier 2017, à verser à M. E..., agent non titulaire à temps non complet recruté par contrat à durée indéterminée en qualité d'assistant territorial d'enseignement artistique de l'école de musique intercommunale, la somme de 2 896,02 euros avec intérêts au taux légal, correspondant à la rémunération des durées de trajets accomplis par ce dernier entre les divers sites de l'école de musique intercommunale, au sein de laquelle il a enseigné au titre des années scolaires 2010-2011, 2011-2012 et 2012-2013. Par un arrêt du 5 décembre 2017, la cour administrative d'appel de Lyon a réformé ce jugement en ramenant à 186,84 euros la somme à verser à M. E.... Cet arrêt a été annulé par une décision du 10 juin 2020 du Conseil d'Etat, lequel a renvoyé à la cour administrative de Lyon le jugement de l'affaire.
Sur les conclusions tendant au paiement des heures de service affecté au temps de trajet :
2. Aux termes de l'article 2 du décret du 25 août 2000 modifié relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'État et dans la magistrature : " La durée de travail effectif s'entend comme le temps pendant lequel les agents sont à la disposition de leur employeur et doivent se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ". Aux termes de l'article 7 du même décret : " Les régimes d'obligations de service sont, pour les personnels qui y sont soumis, ceux définis dans les statuts particuliers de leur cadre d'emplois " Aux termes de l'article 2 du décret susvisé du 2 septembre 1991 portant statut particulier du cadre d'emplois des assistants territoriaux d'enseignement artistique : " Les assistants d'enseignement artistique assurent un service hebdomadaire de vingt heures ". Le temps de trajet d'un agent pour se rendre de son lieu d'exercice professionnel, qui s'entend, par défaut, comme le lieu de résidence administrative de la commune où se trouve le service auquel il est affecté, vers un autre lieu de travail, doit être regardé comme du temps de travail effectif, dès lors que, durant ce laps de temps, l'agent est à la disposition de son employeur et ne peut vaquer librement à ses occupations personnelles.
3. Aux termes de l'article 2 du règlement intérieur de l'école de musique de Haute Tarentaise : " Les locaux principaux de l'école de musique se trouvent (...) à Bourg-Saint-Maurice. Des annexes de l'école de musique existent sur Tignes et Val d'Isère ". Il est constant que la résidence administrative de M. E... est fixée au siège principal de l'école de musique à Bourg-Saint-Maurice. Les obligations de service auxquelles est soumis M. E..., telles qu'elles résultent de son contrat de travail et de l'avenant n° 1, qui sont d'une durée hebdomadaire de trois heures quinze minutes, le conduisent à se déplacer sur les sites annexes de l'école situés sur les territoires des communes de Tignes et Val d'Isère, dont l'intéressé ne peut, au demeurant, déterminer librement la distance et le temps et sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. Par suite, les déplacements effectués entre la résidence administrative de M. E..., située à Bourg-Saint-Maurice, et les lieux d'enseignement de l'établissement sont au nombre des obligations de service de M. E... qui doivent être regardés comme du temps de travail effectif, au sens des dispositions de l'article 2 du décret du 25 août 2000, et être rémunérés à ce titre. La circonstance que M. E... dispose d'un véhicule de service pour se rendre à Tignes et à Val d'Isère depuis le siège de l'école de musique, est sans incidence sur la qualification de travail effectif des trajets en litige, alors même que le véhicule de service permet à M. E... de disposer des équipements indispensables à l'utilisation d'une route de montagne et qu'il n'est pas contesté qu'en provenance de Chambéry, pour se rendre à Tignes ou Val d'Isère, le fait de passer par Bourg-Saint-Maurice constitue le trajet le plus direct.
4. La somme réclamée par M. E... d'un montant de 2 896 euros, correspondant à 167,40 heures de trajet assimilable à du temps de travail effectif, au tarif horaire de 17,30 euros, n'est pas contestée par la collectivité territoriale. Par suite, il y a lieu de condamner la communauté de communes de Haute Tarentaise à verser à M. E... la somme 2 896 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 21 juin 2013, date d'enregistrement de la requête devant le tribunal administratif.
5. Il résulte de tout ce qui précède que la communauté de communes de Haute Tarentaise n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble l'a condamnée à verser à M. E... la somme de 2 896 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 21 juin 2013.
Sur les frais liés au litige :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. E..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la communauté de communes de Haute Tarentaise. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la communauté de communes de Haute Tarentaise la somme de 2 000 euros à verser à M. E..., au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la maison de l'intercommunalité de Haute Tarentaise est rejetée.
Article 2 : La communauté de communes de Haute Tarentaise versera à M. E... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté de communes de Haute Tarentaise et à M. B... E....
Délibéré après l'audience du 9 février 2021, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président,
M. Gilles Fédi, président-assesseur,
M. Pierre Thierry, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 février 2021.
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N° 20LY01646