Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 10 décembre 2020, Mme B..., veuve A..., représentée par la SCP Couderc-Zouine, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 2 octobre 2020 du tribunal administratif de Lyon ;
2°) d'annuler l'arrêté du 9 décembre 2019 par lequel le préfet du Rhône a refusé de l'admettre au séjour, a assorti ce refus de l'obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation et, enfin, en cas d'annulation de la seule décision portant obligation de quitter le territoire français, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Mme B... soutient que :
1°) s'agissant de la décision portant refus de séjour :
- elle est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'il appartient au préfet de produire l'avis du collège des médecins de l'OFII pour en justifier l'existence ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 313-11, 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 313-11, 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
2°) s'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale par exception d'illégalité de la décision portant refus de séjour ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 511-4, 10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
3°) s'agissant de la décision fixant le délai de départ volontaire à trente jours :
- elle est illégale par exception d'illégalité des décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français ;
4°) s'agissant de la décision fixant le pays de destination :
- elle est illégale par exception d'illégalité des décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Le préfet du Rhône, auquel la requête a été communiquée, n'a pas produit de mémoire.
Par décision du 4 novembre 2020, le bureau d'aide juridictionnelle a constaté la caducité de la demande d'aide juridictionnelle présentée par Mme B....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Fédi, président-assesseur.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante malgache née le 19 novembre 1945, est régulièrement entrée en France, le 23 octobre 2015, munie de son passeport revêtu d'un visa de court séjour portant la mention " ascendant non à charge " d'une durée de quatre-vingt-dix jours. Par une demande présentée le 25 novembre 2016, elle a sollicité son admission au séjour en qualité d'étranger malade. Mme B... relève appel du jugement du tribunal administratif de Lyon du 2 octobre 2020 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Rhône du 9 décembre 2019 qui a refusé de l'admettre au séjour, a assorti ce refus de l'obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi de cette mesure d'éloignement.
Sur la légalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 1° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...). Selon l'article R. 313-22 du même code : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé (...) ".
3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner, pour lui, des conséquences d'une exceptionnelle gravité, et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. La partie qui justifie de l'avis d'un collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié et effectivement accessible dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. Si la légalité d'une décision s'apprécie à la date à laquelle elle a été prise, il appartient au juge de tenir compte des justifications apportées devant lui, dès lors qu'elles attestent de faits antérieurs à la décision critiquée, même si ces éléments n'ont pas été portés à la connaissance de l'administration avant qu'elle se prononce.
4. Le préfet du Rhône s'est approprié le sens de l'avis du collège de médecins de l'OFII émis le 1er juillet 2018, selon lequel si l'état de santé de l'intéressée nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, eu égard aux caractéristiques du système de santé de son pays d'origine, Mme B... pourrait effectivement y bénéficier d'une prise en charge appropriée. Pour contester cette analyse, l'appelante produit différents documents et notamment quatre certificats médicaux soulignant que, porteuse d'un pace maker, elle doit faire l'objet d'un suivi qui ne pourrait être assuré à Madagascar. Toutefois, il ressort, tout d'abord, de la lecture de ces attestations que, si la requérante a souffert d'une importante affection cardiaque, le suivi en cause est celui relatif au seul pace maker qui lui a été posé lors d'une intervention réalisée le 14 juillet 2017 et qui consiste à procéder à des vérifications techniques devant être réalisées semestriellement ou annuellement, notamment pour surveiller si la pile fonctionne bien, si le niveau de charge de la batterie est correct pour pouvoir programmer le remplacement du stimulateur cardiaque à temps, pour vérifier l'intégrité des sondes et détecter certains troubles du rythme cardiaque. Le certificat médical du 10 janvier 2020 émanant d'un médecin français, qui indique qu'un retour dans son pays d'origine l'exposerait à un décès rapide en cas de problème avec son simulateur, ne peut permettre d'établir que le suivi technique du pace maker ne pourrait être assuré à Madagascar. Ensuite, Mme B... ne peut utilement se prévaloir, de façon générale et non circonstanciée, du sous-équipement médical, du manque d'hygiène et de la situation d'extrême pauvreté connus à Madagascar. Enfin, le certificat médical rédigé le 12 janvier 2016 par un praticien hospitalier du " pôle de cardiologie, urgence et soins continus " du centre hospitalier de Vienne ne fait état que d'une contre-indication " temporaire " à un vol long-courrier et ne peut être regardé comme un document probant compte tenu de son ancienneté. De même, s'il est produit un certificat médical du 17 octobre 2020, faisant état de ce que l'intéressée ne peut pas faire un long trajet en avion, ce certificat est, quant à lui, postérieur à la décision attaquée. Par suite, dès lors que l'appelante n'apporte aucun élément de nature à établir, d'une part, qu'elle ne pourrait pas bénéficier, dans son pays, d'une prise en charge adaptée à la spécificité de sa pathologie, d'autre part, qu'elle ne pourrait pas effectuer de courts séjours en France en lien avec son pace maker, c'est sans méconnaître les dispositions précitées de l'article L. 313-11, 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le préfet du Rhône a refusé de délivrer à Mme B... le titre de séjour demandé.
5. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour en France des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : [...] 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
6. Mme B... fait état de ce qu'âgée de 74 ans, elle réside en France depuis 2015 où elle bénéficie d'attaches familiales, sa fille, son gendre et leurs trois enfants, de nationalité française y demeurant. Toutefois, la présence de l'intéressée sur le territoire national demeure récente. Enfin, il n'est pas contesté que l'intéressée n'est pas dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine, où elle a passé l'essentiel de son existence et où réside l'une de ses filles. Les circonstances que son époux soit décédé et que son gendre est médecin généraliste et perçoit à ce titre un revenu mensuel de plus de 10 000 euros ne permettent pas d'établir que l'intéressée ait fait preuve d'une réelle volonté d'insertion socioprofessionnelle sur le territoire français. Ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, la décision de refus de séjour en litige n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Elle n'a ainsi pas méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet du Rhône n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
7. En dernier lieu, Mme B... réitère en appel, sans les assortir d'éléments nouveaux, ses moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français par exception d'illégalité de la décision portant refus de séjour, de ce que la mesure d'éloignement méconnait les dispositions de l'article L. 511-4, 10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de ce que la décision fixant le délai de départ volontaire à trente jours serait illégale par exception d'illégalité des décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français, de ce que la décision fixant le pays de destination serait illégale par exception d'illégalité des décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français et de ce que cette dernière décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.
8. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., veuve A..., et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 15 mars 2022, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
M. Gilles Fédi, président-assesseur,
Mme Sophie Corvellec, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mars 2022.
Le rapporteur,
Gilles Fédi
Le président,
Jean-Yves TallecLa greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 20LY03647