Par un jugement n° 1402398 du 24 juillet 2014 le tribunal administratif de Grenoble a annulé ces décisions, a enjoint au préfet de l'Isère de délivrer à M. D...une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement en lui délivrant, dans l'attente et sous huit jours, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à son avocat en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 25 août 2014, le préfet de l'Isère demande à la Cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 24 juillet 2014 et de lui adjuger le bénéfice de ses écritures de première instance.
Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont conclu à la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que, nonobstant son entrée en France en 2007, le mariage de M. D...s'est soldé par un échec et qu'aucun enfant n'est né de cette union ; que l'intéressé n'établit pas l'intensité de la relation qu'il entretient avec son frère résident sur le territoire national, alors que tous deux conservent la possibilité de se rendre visite ; il ne démontre ni l'existence de liens personnels intenses, stables et anciens sur le sol français, ni l'absence de liens familiaux dans son pays d'origine où il a nécessairement forgé des attaches personnelles et sociales, y ayant vécu jusqu'à l'âge de trente ans et dans lequel rien ne s'oppose à son insertion professionnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 octobre 2014, M. A...D..., représenté par MeC..., conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 1 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative pour être versée à son avocat, sous réserve qu'il renonce à percevoir l'aide juridictionnelle.
Il fait valoir que :
- la décision de refus de titre de séjour méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en raison de ses attaches sur le territoire français où il a vécu maritalement pendant quatre ans, où il a nécessairement noué pendant sept ans d'importantes attaches professionnelles et personnelles, où vit son frère et où il s'est intégré par le travail ;
- pour les mêmes motifs, cette décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 6-1 de la décision n° 1/80 du 19 septembre 1980 du conseil d'association institué par l'accord d'association conclu le 12 septembre 1963 entre la communauté économique européenne et la République de Turquie ;
- la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français doit être annulée en conséquence de l'illégalité de la décision de refus de séjour ;
- le signataire de cette décision n'avait pas dûment reçu délégation de signature ;
- cette décision est entachée d'erreur de droit dès lors que le préfet s'est estimé en situation de compétence liée ;
- le signataire de la décision accordant un délai de départ volontaire de trente jours n'avait pas dûment reçu délégation de signature ;
- cette décision est entachée de défaut de motivation et d'examen de sa situation personnelle ;
- elle est entachée d'erreur de droit dès lors que le préfet s'est estimé lié par la décision faisant obligation de quitter le territoire français ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences sur sa situation personnelle ;
- le signataire de la décision fixant le pays de renvoi n'avait pas dûment reçu délégation de signature ;
- cette décision doit être annulée en conséquence de l'illégalité des décisions précédentes.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord instituant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie en date du 12 septembre 1963, approuvé et confirmé par la décision 64/732/CEE du Conseil du 23 décembre 1963 ;
- la décision n° 1/80 du 19 septembre 1980 du conseil d'association entre la Communauté économique européenne et la Turquie ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Dèche, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que M.D..., de nationalité turque, né le 15 août 1977, a épousé en Turquie, le 13 août 2007, une ressortissante française ; qu'entré en France le 14 septembre 2007, il a bénéficié du 23 novembre 2007 au 27 décembre 2011 de cartes de séjour temporaires délivrées sur le fondement du 4° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, divorcé le 8 décembre 2011, il a sollicité, le 5 décembre 2011, auprès du préfet de l'Isère, la délivrance d'une carte de résident sur le fondement du 3° de l'article L. 314-9 du même code ; que cette demande a été rejetée par décision du 17 mars 2014, rejet assorti d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai d'un mois et de la désignation du pays de renvoi en cas d'éloignement forcé ; que, pour annuler ces décisions, le tribunal administratif de Grenoble s'est fondé sur le motif tiré de ce que le refus de titre de séjour porte au droit de M. D...au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels il a été pris et méconnaît, dès lors, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ;
3. Considérant que M.D..., entré en France le 14 septembre 2007, a bénéficié, en qualité de conjoint d'une ressortissante française, de cartes temporaires de séjour pour la période du 23 novembre 2007 au 27 décembre 2011 ; qu'il établit avoir exercé, du 5 décembre au 14 décembre 2007, l'emploi d'ouvrier d'exécution du bâtiment, celui de carreleur du 13 février au 31 juillet 2008, et, du 15 octobre au 20 novembre 2008, celui de façadier, emploi qu'il a également occupé du 1er janvier au 31 juillet 2009 ; qu'il a occupé le métier de plâtrier du 23 septembre au 23 novembre 2009, celui de peintre en bâtiment d'octobre à décembre 2010 et celui d'ouvrier agricole du 11 mai au 3 juin 2011 ; qu'en qualité de maçon il a travaillé du 20 juin 2011 au 3 avril 2012, puis du 29 juin au 31 juillet 2012 et enfin, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, d'octobre 2013 à avril 2014 ; que, dès lors, eu égard à la régularité et à la stabilité de cette vie professionnelle ainsi qu'à l'ancienneté de son séjour en France, dont quatre ans en qualité de conjoint d'une ressortissante française, alors même qu'il a divorcé le 8 décembre 2011 et qu'il n'a pas d'enfant, M. D... doit être regardé comme ayant fixé le centre des intérêts personnels et professionnels en France ; que, par suite, dans les circonstances de l'espèce, eu égard à la durée et aux conditions de son séjour sur le territoire national, nonobstant la circonstance qu'il n'établit pas être dénué d'attaches dans son pays d'origine, la décision de refus de titre de séjour contestée doit être regardée comme ayant portant à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et comme méconnaissant ainsi les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé ses décisions du 17 mars 2014 et lui a enjoint de délivrer à M. D...une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" ;
5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me C...d'une somme de 1 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi susvisée du 10 juillet 1991, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle ;
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet de l'Isère est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à MeC..., sous réserve qu'il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. A...D...et à Me B...C....
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 12 janvier 2016 à laquelle siégeaient :
M. Boucher, président de chambre ;
M. Drouet, président-assesseur ;
Mme Dèche, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 février 2016.
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et au préfet de l'Isère en ce qui les concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 14LY02698
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