Procédure devant la cour
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 4 septembre 2015, 3 mars 2017 et 28 avril 2017, la SCI Emmanuelle, représentée par la SCP Lemoine-Clabeaut, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1301034 du tribunal administratif de Grenoble du 9 juillet 2015 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du préfet de la Drôme du 14 juin 2012 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a intérêt à agir du fait des conséquences engendrées et du préjudice économique, commercial et foncier que lui cause la décision litigieuse ;
- le jugement est irrégulier au regard du respect des droits de la défense, dès lors que son mémoire enregistré le 26 février 2015 assorti de deux pièces jointes n'a pas été communiqué aux parties et n'a pas été pris en compte, alors qu'il comportait un moyen nouveau tiré du détournement de procédure ;
- les premiers juges ont statué infra petita ;
- les études ne tiennent pas compte de la présence sur le site du logement du gardien, du trafic routier induit par l'alimentation en bois de la centrale, des effets de cette dernière sur le potentiel agricole de la zone, des émissions atmosphériques de toutes natures et des risques industriels, notamment d'explosion, de la centrale et des silos ; dans ces conditions, les premiers juges ont commis une erreur manifeste d'appréciation et dénaturé les faits de l'espèce en estimant que les études d'impact et de danger n'étaient pas insuffisantes ;
- le jugement est entaché d'erreur de droit en ce que les silos figurent sous la rubrique 1532 de la nomenclature, moins contraignante en matière de dangerosité, alors qu'ils auraient dû figurer sous la rubrique 2160 ;
- la décision en litige est entachée de détournement de procédure.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2017 et un mémoire complémentaire enregistré le 28 avril 2017, la société Drôme Energie Services, représentée par la SELARL Enckell avocats, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la SCI Emmanuelle au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par un mémoire enregistré le 3 mars 2017, la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir :
- qu'il se rapporte aux écritures présentées par le préfet devant les premiers juges ;
- que la société requérante ne justifie pas d'un intérêt à agir ;
- que le jugement n'est pas entaché d'irrégularité ;
- qu'aucune erreur manifeste d'appréciation n'est caractérisée par l'insuffisance de l'étude d'impact ;
- que les moyens tirés de l'insuffisance de l'étude de danger, de la dénaturation des faits, de l'erreur de droit et du détournement de procédure ne sont pas fondés.
La clôture de l'instruction a été fixée au 3 mars 2017 par ordonnance du 3 janvier 2017, puis reportée au 28 avril 2017 et au 29 mai 2017 par ordonnances du 22 mars 2017 et du 9 mai 2017.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-François Alfonsi, président-rapporteur,
- les conclusions de M. Marc Clément, rapporteur public,
- et les observations de Me A... pour la société Drôme Energie ;
1. Considérant que la SCI Emmanuelle relève appel du jugement du 9 juillet 2015 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de la SCI Emmanuelle et de l'EARL Saint Flore dirigée contre l'arrêté du 14 juin 2012 par lequel le préfet de la Drôme a autorisé l'exploitation d'une centrale de cogénération biomasse et sa chaudière auxiliaire sur le territoire de la commune de Pierrelatte ;
2. Considérant que dans leur mémoire enregistré le 26 février 2015 au greffe du tribunal administratif, la SCI Emmanuelle et l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Saint Flore soutenaient que l'arrêté en litige du 14 juin 2012 est entaché de détournement de procédure ; que les premiers juges ont omis de répondre à ce moyen, qui n'est pas inopérant ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen tiré du défaut de communication dudit mémoire, leur jugement est entaché d'irrégularité ; qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de la SCI Emmanuelle et de l'EARL Saint Flore ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'autorité environnementale l'agence régionale de santé Rhône-Alpes et l'Institut national de l'origine et de la qualité ont émis des avis, respectivement le 24 mars 2011, le 28 février 2011 le 11 juillet 2011 ; qu'ainsi, et alors que l'absence de mention des organismes qui ont été consultés dans les visas de l'arrêté attaqué est sans incidence sur sa légalité, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles L. 122-1, R. 512-21-IV, L. 221-1, L. 512-6 du code de l'environnement et L. 1435-1 du code de la santé publique doit, en tout état de cause, être écarté ;
4. Considérant que la rubrique n° 2160 de la nomenclature annexée à l'article R. 511-9 du code de l'environnement concerne les silos destinés au stockage de céréales et autres produits agricoles, et non les silos qui, destinés comme en l'espèce au stockage de bois ou matériaux combustibles analogues et de produits ou déchets répondant à la définition de la biomasse, relèvent de la rubrique n° 1532 de cette nomenclature ; que les requérantes ne sont, par suite, pas fondées à soutenir qu'en classant l'installation en cause dans la rubrique n° 1532, le préfet en aurait inexactement apprécié la nature ;
En ce qui concerne l'étude d'impact :
5. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article R. 512-6 du code de l'environnement : " I. - A chaque exemplaire de la demande d'autorisation doivent être jointes les pièces suivantes : (...) / 4° L'étude d'impact prévue à l'article L. 122-1 dont le contenu, par dérogation aux dispositions de l'article R. 122-3, est défini par les dispositions de l'article R. 512-8 ; / 5° L'étude de dangers prévue à l'article L. 512-1 et définie à l'article R. 512-9 ; (...)" ; qu'aux termes de l'article R. 512-8 du même code, dans sa rédaction applicable à l'autorisation contestée : " I. - Le contenu de l'étude d'impact mentionnée à l'article R. 512-6 doit être en relation avec l'importance de l'installation projetée et avec ses incidences prévisibles sur l'environnement, au regard des intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1. / II. - Elle présente successivement : / (...) / 2° Une analyse des effets directs et indirects, temporaires et permanents de l'installation sur l'environnement et, en particulier, sur les sites et paysages, la faune et la flore, les milieux naturels et les équilibres biologiques, sur la commodité du voisinage (bruits, vibrations, odeurs, émissions lumineuses) ou sur l'agriculture, l'hygiène, la santé, la salubrité et la sécurité publiques, sur la protection des biens matériels et du patrimoine culturel. Cette analyse précise notamment, en tant que de besoin, l'origine, la nature et la gravité des pollutions de l'air, de l'eau et des sols, les effets sur le climat le volume et le caractère polluant des déchets, le niveau acoustique des appareils qui seront employés ainsi que les vibrations qu'ils peuvent provoquer, le mode et les conditions d'approvisionnement en eau et d'utilisation de l'eau ; / (...) / 4° a) Les mesures envisagées par le demandeur pour supprimer, limiter et, si possible, compenser les inconvénients de l'installation ainsi que l'estimation des dépenses correspondantes. Ces mesures font l'objet de descriptifs précisant les dispositions d'aménagement et d'exploitation prévues et leurs caractéristiques détaillées. Ces documents indiquent les performances attendues, notamment en ce qui concerne la protection des eaux souterraines, l'épuration et l'évacuation des eaux résiduelles et des émanations gazeuses, ainsi que leur surveillance, l'élimination des déchets et résidus de l'exploitation, les conditions d'apport à l'installation des matières destinées à y être traitées, du transport des produits fabriqués et de l'utilisation rationnelle de l'énergie ; (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 512-9 : " I. - L'étude de dangers mentionnée à l'article R. 512-6 justifie que le projet permet d'atteindre, dans des conditions économiquement acceptables, un niveau de risque aussi bas que possible, compte tenu de l'état des connaissances et des pratiques et de la vulnérabilité de l'environnement de l'installation. / Le contenu de l'étude de dangers doit être en relation avec l'importance des risques engendrés par l'installation, compte tenu de son environnement et de la vulnérabilité des intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1. / II. - Cette étude précise, notamment, la nature et l'organisation des moyens de secours dont le demandeur dispose ou dont il s'est assuré le concours en vue de combattre les effets d'un éventuel sinistre. Dans le cas des installations figurant sur la liste prévue à l'article L. 515-8, le demandeur doit fournir les éléments indispensables pour l'élaboration par les autorités publiques d'un plan particulier d'intervention. / L'étude comporte, notamment, un résumé non technique explicitant la probabilité, la cinétique et les zones d'effets des accidents potentiels, ainsi qu'une cartographie des zones de risques significatifs. (...) " ;
6. Considérant que les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une étude d'impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de cette étude, que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative ;
7. Considérant, en premier lieu, que la seule production de l'avis d'imposition à la taxe d'habitation du gardien des serres ne suffit pas à établir que l'étude d'impact aurait sous évalué la distance entre la centrale en cause et la maison d'habitation de ce gardien ;
8. Considérant, en deuxième lieu, que cette étude, qui évalue justement à 150.000 tonnes par an la quantité de plaquettes de bois destinées à l'alimentation de la chaufferie, contient une analyse des nuisances qui résulteront de la pollution engendrée par le trafic de camions qui alimenteront la centrale et les conséquences des mesures prises pour en limiter l'impact ; qu'en faisant état du résultat de leurs propres calculs, fondés sur des hypothèses pour le moins incertaines, la requérante ne critique pas utilement cette analyse et les conclusions qui en ont été tirées, qui reposent sur des hypothèses plausibles ;
9. Considérant que l'émission de particules dites " PM10 " liée au trafic des poids lourds destinés à alimenter la centrale ne présente, eu égard à la densité de circulation de ces engins sur l'axe rhodanien situé à proximité de l'installation en cause, qu'un caractère résiduel ; que la SCI requérante n'est, par suite, pas fondée à soutenir que l'absence d'évaluation spécifique de telles émissions a vicié l'étude d'impact ;
10. Considérant, en troisième lieu, que la SCI Emmanuelle, tout en admettant que l'étude d'impact prévoit la réduction des émissions d'urée et se prononce sur les quantités d'émissions atmosphériques prévisionnelles de l'installation ainsi que sur les seuils réglementaires, soutient que cette étude " est muette sur [ l'incidence de ces émissions sur ] l'activité de serres maraîchères ", affirme que l'annexe relative aux ombres portées par l'installation sur les serres de tomates est incomplète et fait état des préjudices de toute nature susceptibles d'être causés à la production agricole de l'exploitation voisine ; qu'elle n'apporte cependant, à l'appui d'une telle argumentation, pas d'éléments suffisants pour permettre de considérer que l'étude d'impact serait entachée d'insuffisances à ces égards ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que, contrairement à ce qui est soutenu, l'étude d'impact n'est entachée d'aucune insuffisance qui aurait été susceptible de nuire à l'information complète de la population ou de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative ;
En ce qui concerne l'étude de danger :
12. Considérant que par la production d'un résumé de l'étude de danger de la chaufferie biomasse de Rennes, la SCI requérante ne critique pas de façon pertinente l'étude de danger relative à la centrale de Pierrelatte, qui évalue la probabilité de survenue d'accidents ainsi que leur degré de gravité et affecte les effets spécifiques de l'explosion de la chaudière biomasse d'une cotation 3/5 (graves), la probabilité d'un tel accident étant côtée 3/5 (improbable), ramenée à 1/5 (possible mais extrêmement peu probable) après mise en place des mesures de réduction des potentiels de danger ;
13. Considérant que ni le document de la base de données ARIA se rapportant aux risques liés aux silos contenant des matières végétales dégageant des poussières qu'elle a produit, ni aucune autre pièce du dossier, ne permettent d'établir que le risque d'accident par explosion de silos contenant de la biomasse ainsi que des copeaux et des particules de bois, serait aussi élevé que le soutient la SCI requérante, qui ne critique pas utilement l'avis du 24 mars 2011 par lequel l'Autorité environnementale de la région Rhône-Alpes a estimé que l'étude de danger avait clairement identifié les risques industriels ;
14. Considérant, en outre, que le risque d'explosion des chaudières à gaz et fuel et non de la centrale biomasse, a été pris en compte par les prescriptions de l'arrêté en litige, dont l'article 7.1.4 prévoit la construction d'un mur afin de protéger les serres voisines ; que, dans ces conditions, la SCI Emmanuelle n'est pas fondée à soutenir que l'étude de danger serait entachée d'insuffisances ou d'omissions de nature à vicier la procédure à l'issue de laquelle a été délivrée l'autorisation attaquée ;
15. Considérant, enfin, que le détournement de procédure allégué n'est pas établi ;
16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SCI Emmanuelle n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 14 juin 2012 par lequel le préfet de la Drôme a autorisé la société Drôme Energie Service à exploiter une centrale de cogénération biomasse et sa chaudière auxiliaire sur le territoire de la commune de Pierrelatte ;
Sur les frais du litige :
17. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à chacune des parties la charge de ses propres frais d'instance ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1301034 du tribunal administratif de Grenoble du 9 juillet 2015 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la SCI Emmanuelle et l'EARL Saint Flore devant le tribunal administratif de Grenoble tendant à l'annulation de l'arrêté du 14 juin 2012 par lequel le préfet de la Drôme a autorisé l'exploitation d'une centrale de cogénération biomasse et sa chaudière auxiliaire sur le territoire de la commune de Pierrelatte est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Emmanuelle, à la société Drôme Energie Services et au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.
Copie en sera adressée à l'exploitation agricole à responsabilité limitée Saint Flore et au préfet de la Drôme.
Délibéré après l'audience du 20 mars 2018, à laquelle siégeaient :
M. Jean-François Alfonsi, président de chambre,
M. Hervé Drouet, président assesseur,
M. Marc Clément, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 10 avril 2018.
7
N° 15LY03041
mg