Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 12 mars 2015, M. C... F..., représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler totalement ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 17 février 2015 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 4 septembre 2014 par lequel le préfet de la Savoie a rejeté sa demande de renouvellement de carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale", l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il sera renvoyé ;
3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet de la Savoie de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" dans un délai de trente jours à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de la Savoie de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois, et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de deux jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
5°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce que le mémoire en défense du préfet de la Savoie, arrivé après la clôture de l'instruction, est visé, en méconnaissance de l'article R. 613-3 du code de justice administrative ;
- les premiers juges ont méconnu le principe du contradictoire, dès lors qu'il n'a pas été mis en mesure de répondre à ce mémoire en défense qui ne lui a pas été communiqué ;
- le Tribunal n'a pas répondu au moyen tiré par voie d'exception de l'illégalité du refus de titre de séjour présenté à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français ;
S'agissant de la décision de refus de renouvellement de titre de séjour :
- elle méconnaît le 4° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que, selon les propres déclarations de son épouse française, les témoignages de leurs proches et les autres pièces produites, la vie commune entre eux n'a jamais cessé, la procédure de divorce ayant été abandonnée ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que la communauté de vie avec son épouse n'a jamais cessé, qu'il n'a plus aucune famille au Maroc, son père étant décédé en août 2014, qu'il exerce l'activité d'animateur culturel indépendant sous le statut d'auto-entrepreneur, qu'il est suivi en France pour de lourdes affections psychiatriques alors qu'il n'a jamais bénéficié au Maroc d'une prise en charge de qualité identique de ses pathologies et qu'il est intégré sur le plan culturel en France, intervenant notamment comme musicien dans différents festivals ;
S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus de renouvellement de titre de séjour ;
- elle est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors que, prise à la suite d'un refus de renouvellement de carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" au titre du 4° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, elle l'empêche de faire valoir un droit au séjour à un autre titre ;
S'agissant de la décision fixant un délai de départ volontaire de trente jours :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
S'agissant de la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
Par une ordonnance du 11 août 2015, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 septembre 2015.
Un mémoire en défense, enregistré le 15 janvier 2016, après la clôture de l'instruction et présenté par le préfet de la Savoie, n'a pas été communiqué en application de l'article R. 613-3 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Drouet, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que M. F... relève appel du jugement n° 1407015 du 17 février 2015 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 septembre 2014 du préfet de la Savoie rejetant sa demande de renouvellement de carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale", l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays à destination duquel il sera renvoyé ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article R. 613-3 du code de justice administrative : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication et ne sont pas examinés par la juridiction. / (...) " ; que lorsque, postérieurement à la clôture de l'instruction, le juge est saisi d'une production, d'un mémoire ou d'une pièce, émanant d'une partie à l'instance, il lui appartient de prendre connaissance de cette production pour déterminer s'il y a lieu de rouvrir l'instruction afin de la soumettre au débat contradictoire et de pouvoir en tenir compte dans le jugement de l'affaire ; que, s'il s'abstient de rouvrir l'instruction, le juge doit se borner à viser la production sans l'analyser et ne peut la prendre en compte sans entacher sa décision d'irrégularité ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier de première instance que le mémoire en défense du préfet de la Savoie a été produit le 23 janvier 2015, soit après la clôture de l'instruction intervenue le 31 décembre 2014 ; que le Tribunal, qui n'a pas communiqué ce mémoire à M. F..., l'a visé sans l'analyser ; qu'il ne s'est pas fondé dans les motifs de son jugement sur des éléments de droit ou de fait qui n'auraient été contenus que dans ce mémoire et que M. F... n'aurait pas eu la possibilité de discuter ; qu'il suit de là que doivent être écartés le moyen tiré de ce que le Tribunal aurait méconnu les dispositions précitées de l'article R. 613-3 du code de justice administrative en visant le mémoire en défense du préfet de la Savoie et celui tiré de ce que la procédure suivie devant les premiers juges aurait été conduite en méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure ;
4. Considérant, d'autre part, qu'à l'appui des conclusions de sa demande de première instance tendant à l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français, M. F... excipait notamment de l'illégalité du refus de renouvellement de sa carte de séjour temporaire ; que le Tribunal ne s'est pas prononcé sur ce moyen, qui n'était pas inopérant ; que, dès lors, M. F... est fondé à soutenir que le jugement attaqué, en tant qu'il a statué sur lesdites conclusions, est intervenu sur une procédure irrégulière et doit, pour ce motif et dans cette mesure, être annulé ;
5. Considérant qu'il y a lieu pour la Cour de se prononcer immédiatement par voie d'évocation sur lesdites conclusions de la demande de première instance et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur le surplus des conclusions de la requête ;
Sur les conclusions de la requête dirigées contre le refus de renouvellement de titre de séjour :
6. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du 4° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / (...) / 4° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français ; (...) " ;
7. Considérant qu'il est constant qu'avant l'édiction de la décision en litige, Mme E... épouse F...avait engagé une procédure de divorce à l'encontre de son époux, déposé plusieurs plaintes contre lui en raison de violences, sollicité du juge aux affaires familiales une ordonnance de protection et attesté de l'abandon du domicile conjugal par M. F... ; que si le requérant soutient avoir regagné le domicile conjugal et que le couple s'est réconcilié, les pièces produites à l'appui de ces affirmations font état d'une situation postérieure à la décision contestée ; que, dans ces conditions, la communauté de vie entre M. F... et son épouse de nationalité française étant rompue au 4 septembre 2014, date de la décision en litige, le préfet de la Savoie n'a pas méconnu les dispositions précitées du 4° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant de renouveler sur ce fondement la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" de l'intéressé ;
8. Considérant, en second lieu, que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ;
9. Considérant que M. F..., né le 8 octobre 1980 et de nationalité marocaine, fait valoir que la communauté de vie avec son épouse n'a jamais cessé, qu'il n'a plus aucune famille au Maroc, son père étant décédé en août 2014, qu'il exerce l'activité d'animateur culturel indépendant sous le statut d'auto-entrepreneur, qu'il est suivi en France pour de lourdes affections psychiatriques alors qu'il n'a jamais bénéficié au Maroc d'une prise en charge de qualité identique de ces pathologies et qu'il est intégré sur le plan culturel en France, intervenant notamment comme musicien dans différents festivals ; que, toutefois, la communauté de vie avec son épouse étant rompue à la date de la décision contestée, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'intéressé se trouve sans charge de famille à cette date ; qu'il n'est entré sur le territoire français que le 8 septembre 2013 et n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où il a vécu jusqu'à l'âge de trente-deux ans ; que, par suite, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, la décision en litige portant refus de renouvellement de titre de séjour n'a pas porté au droit de M. F... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport à ses motifs et n'a, ainsi, pas méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur les conclusions dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français présentées devant le tribunal administratif :
10. Considérant, en premier lieu, que par un arrêté du 1er septembre 2014, régulièrement publié au recueil des actes administratifs du département, le préfet de la Savoie a donné à Mme D...A..., directrice de la réglementation et des services aux usagers de la préfecture et signataire de la décision en litige, délégation de signature notamment en matière d'obligations de quitter le territoire français ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision contestée doit être écarté ;
11. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de ce qu'il a été dit ci-dessus que M. F... n'est pas fondé à exciper, à l'encontre de la décision l'obligeant à quitter le territoire français, de l'illégalité de la décision rejetant sa demande renouvellement de titre de séjour ;
12. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / (...) / 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré ; / (...) " ;
13. Considérant que, par décision du 4 septembre 2014, le préfet de la Savoie a refusé à M. F... le renouvellement de la carte de carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" qui lui avait été délivrée sur le fondement du 4° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, dans ces conditions, l'intéressé se trouvait, en vertu des dispositions précitées du 3° du I de l'article L. 511-1 du même code, dans l'un des cas justifiant le prononcé à son encontre d'une obligation de quitter le territoire français ; que, contrairement à ce que soutient M. F..., le préfet ne s'est pas considéré en situation de compétence liée pour l'obliger à quitter le territoire du fait du refus de renouvellement de son titre de séjour, dès lors qu'il est notamment mentionné dans la décision en litige que l'intéressé ne justifie ni de considérations humanitaires, ni de motifs exceptionnels permettant son admission au séjour au titre de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que, de l'examen de sa situation personnelle et familiale, il ne ressort aucun élément susceptible de lui permettre de bénéficier d'un dérogation à la réglementation en vigueur et qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ; que, par suite, la décision en litige obligeant M. F... à quitter le territoire français, laquelle, au demeurant, ne l'empêche pas de faire valoir un droit au séjour sur un fondement autre que celui du 4° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'est pas entachée d'erreur de droit ;
14. Considérant, en dernier lieu, que pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 9 dans le cadre de l'examen de la légalité de la décision de refus renouvellement de titre de séjour, la décision obligeant M. F... à quitter le territoire français n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle et familiale ;
15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision l'obligeant à quitter le territoire français ;
Sur les conclusions de la requête dirigées contre la décision fixant un délai de départ volontaire de trente jours et contre la décision fixant le pays de renvoi :
16. Considérant qu'il résulte de ce qu'il vient d'être dit que M. F... n'est pas fondé à exciper, à l'encontre de ces deux décisions, de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français ;
17. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 4 septembre 2014 l'obligeant à quitter le territoire français et n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté les conclusions de sa demande dirigées contre les décisions du même jour rejetant sa demande de renouvellement de carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale", fixant un délai de départ volontaire de trente jours et fixant le pays à destination duquel il sera renvoyé ; que, par voie de conséquence, doivent être rejetées ses conclusions à fin d'injonction et celles qu'il présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 17 février 2015 est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions de la demande de M. F... dirigées contre la décision du 4 septembre 2014 du préfet de la Savoie l'obligeant à quitter le territoire français.
Article 2 : Les conclusions de la demande de M. F... devant le tribunal administratif de Grenoble tendant à l'annulation de l'obligation de quitter le territoire prononcée à son encontre par décision du préfet de la Savoie du 4 septembre 2014 et le surplus des conclusions de sa requête, sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... F...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Savoie.
Délibéré après l'audience du 26 janvier 2016, à laquelle siégeaient :
M. Boucher, président de chambre ;
M. Drouet, président-assesseur ;
Mme Peuvrel, premier conseiller.
Lu en audience publique le 16 février 2016.
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N° 15LY00848
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