Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 7 juillet 2017, Mme B..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lyon du 11 avril 2017 ;
2°) d'annuler les décisions du préfet du Rhône du 30 août 2016 ;
3°) d'enjoindre à cette autorité préfectorale de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, de procéder à une nouvelle instruction de sa demande dans le délai d'un mois et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros, à verser à son conseil, en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision portant refus de séjour n'a pas été précédée d'un examen particulier de sa situation ;
- cette décision méconnaît le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- en vertu de l'article L. 111-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sa durée de présence à Mayotte doit être comptabilisée comme une durée de présence en France ;
- cette décision est entachée d'erreurs de fait ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être annulée en conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de séjour ;
- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de destination doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- Mayotte étant situé en France, le préfet ne peut légalement l'obliger à quitter le territoire à destination de ce département français ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 novembre 2017, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 500 euros soit mise à la charge de Mme B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir qu'aucun des moyens invoqués par l'appelante n'est fondé.
Par une décision du 7 juin 2017, le bureau d'aide juridictionnelle a refusé d'accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle à Mme B....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Lesieux ;
1. Considérant que Mme B... demande à la cour d'annuler le jugement du 11 avril 2017 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 30 août 2016 du préfet du Rhône lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, lui faisant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de renvoi en cas d'exécution d'office ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; (...) " ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme B..., née le 5 mai 1995, de nationalité comorienne, est entrée à Mayotte en 2003, à l'âge de 8 ans ; que titulaire d'un titre de séjour d'un an portant la mention " liens personnels et familiaux " valable du 19 août 2014 au 18 août 2015, délivré par le représentant de l'Etat à Mayotte, elle est entrée en France métropolitaine le 18 février 2015, sous couvert de son passeport revêtu d'un " visa " " non professionnel " de 33 jours ; qu'en application de l'article L. 832-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui prévoit, sauf exceptions, que les titres de séjours délivrés par le représentant de l'Etat à Mayotte, n'autorisent le séjour que sur le territoire de Mayotte, Mme B... ne peut utilement se prévaloir de l'ancienneté de son séjour à Mayotte pour contester le refus de séjour qui lui est opposé ; que toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'intéressée, jeune majeure, est entrée en France métropolitaine pour y rejoindre sa mère et ses quatre frère et soeurs, dont trois sont de nationalité française ; que si la mère de l'appelante, entrée en France en octobre 2014, quelques mois avant sa fille, n'était pas en possession d'un titre de séjour à la date de la décision contestée, sa demande, présentée en qualité de parent d'enfant français, était en cours d'instruction et a reçu une réponse positive du préfet du Rhône dès le mois de septembre 2016 ; qu'en outre, il ressort des pièces du dossier que le père de Mme B... vit aux Comores depuis au moins le mois de juin 2010, date à laquelle l'autorité parentale sur l'appelante, alors mineure, avait été déléguée à l'ancien compagnon de sa mère ; que par ailleurs la grand-mère maternelle de Mme B... réside régulièrement en France métropolitaine sous couvert d'une carte de résident, et que sa tante qui l'a hébergée à son arrivée en France avant que Mme B... ne puisse résider avec sa mère et ses frère et soeurs, est de nationalité française ; qu'il ressort ainsi des pièces du dossier, sans que le préfet du Rhône ne le conteste, que les liens personnels et familiaux de Mme B..., jeune majeure, se situent de façon prépondérante en France métropolitaine ; qu'il en résulte que par la décision contestée portant refus de séjour, le préfet du Rhône a porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ; que Mme B... est fondée à soutenir que cette décision méconnaît le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
4. Considérant qu'il y a lieu, pour ce motif, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, d'annuler la décision refusant de délivrer un titre de séjour à Mme B... ainsi que, par voie de conséquence, les autres décisions du 30 août 2016 ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande dirigée contre les décisions du préfet du Rhône du 30 août 2016 ;
Sur les autres conclusions :
6. Considérant, en premier lieu, que le présent arrêt, eu égard au motif d'annulation sur lequel il se fonde, implique nécessairement la délivrance par le préfet du Rhône à Mme B... d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ; qu'il y a lieu d'enjoindre au préfet du Rhône de délivrer cette carte dans le délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt ; qu'il appartient également au préfet, conformément à ce que prévoient les dispositions de l'article L. 512-4 du même code, de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour dans le délai de quinze jours ;
7. Considérant, en deuxième lieu, qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il y a lieu, en revanche, de rejeter les conclusions présentées par le préfet du Rhône, sur le même fondement, à l'encontre de Mme B... qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1608730 du tribunal administratif de Lyon du 11 avril 2017 ainsi que les décisions du préfet du Rhône du 30 août 2016 sont annulées.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Rhône de délivrer à Mme B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de cette notification.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B... la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par le préfet du Rhône sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 12 avril 2018, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président de chambre,
Mme Michel, président-assesseur,
Mme Lesieux, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 mai 2018.
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N° 17LY02637