Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 4 avril 2019, le préfet du Rhône demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 25 mars 2019 ;
2°) de rejeter la demande de M. B... devant le tribunal administratif.
Il soutient que :
- le tribunal a entaché son jugement d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- M. B... s'est rendu coupable de fraude pour obtenir un avantage indu.
Par un mémoire enregistré le 17 juin 2019 M. A... B..., représenté par Me D..., avocate, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'État le paiement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- il doit bénéficier de la présomption de minorité ; les conclusions des examens médicaux quant à la détermination de son âge ne sont pas probantes ; le défaut d'authenticité des documents d'état civil qu'il a produits n'est pas établi ;
- l'obligation de quitter le territoire méconnaît le 1° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle est intervenue en violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de destination et l'interdiction de retour sur le territoire français méconnaissent les articles 3-1 de la convention de New-York et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- ces deux décisions sont illégales du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 mai 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Josserand-Jaillet, président,
- les observations de Me C..., substituant Me D..., avocate de M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., de nationalité malienne, s'est présenté comme mineur à son entrée irrégulière en France le 5 juin 2018. Il a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance le 19 juin 2018. Le 11 décembre 2018, parallèlement à une procédure judiciaire, le préfet du Rhône l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé son pays d'origine pour destination et lui a interdit le retour. Le préfet du Rhône relève appel du jugement n° 1809088 du 25 mars 2019 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions.
2. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". En vertu de l'article 1er du décret susvisé n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état-civil étranger : " Lorsque, en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger, l'autorité administrative saisie d'une demande d'établissement ou de délivrance d'un acte ou de titre procède ou fait procéder, en application de l'article 47 du code civil, aux vérifications utiles auprès de l'autorité étrangère compétente, le silence gardé pendant huit mois vaut décision de rejet(...) ".
3. Il résulte de la combinaison de ces dispositions qu'en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger et pour écarter la présomption d'authenticité dont bénéficie un tel acte, l'autorité administrative procède aux vérifications utiles ou y fait procéder auprès de l'autorité étrangère compétente. L'article 47 du code civil précité pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère dans les formes usitées dans ce pays. Il incombe donc à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question. En revanche, l'administration française n'est pas tenue de solliciter nécessairement et systématiquement les autorités d'un autre État afin d'établir qu'un acte d'état civil présenté comme émanant de cet État est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont dispose l'administration française sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié. Il en découle que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
4. M. B... s'est présenté en France sous cette identité en déclarant être né le 31 janvier 2002 à Guemou, au Mali. Il a produit à l'appui de ses affirmations un acte de naissance n° 607/CRD Reg13 Sd et un extrait d'acte de naissance établi sur la base de cet acte. Le rapport d'analyse documentaire du 11 septembre 2018 par les services de la police aux frontières Sud-Est établit la contrefaçon de l'acte de naissance notamment par les éléments du tampon humide et plusieurs irrégularités. L'extrait d'acte de naissance délivré sur la base de cet acte est par suite dépourvu de valeur probante. Il ressort par ailleurs des propres déclarations de l'intéressé, à plusieurs reprises, aux services de police notamment chargés de la procédure judiciaire ouverte à son encontre pour usage de faux documents, que ces documents lui auraient été adressés en Italie où il séjournait dans un camp de réfugiés sur son itinéraire vers la France, en contradiction avec ses affirmations sur l'absence de communication avec sa famille depuis son départ du Mali jusqu'à son arrivée en France et sur son incapacité à se localiser et à user des services locaux en langue étrangère, dont les services postaux. Enfin, l'administration établit qu'il a été identifié par les autorités italiennes comme demandeur de protection internationale en Italie le 17 juillet 2015, ce que M. B... a reconnu, et avoir déclaré à cette occasion être né le 13 septembre 1990. L'expertise médicale visant à déterminer son âge biologique, que M. B... ne conteste pas sérieusement au cas d'espèce en se bornant à dénier à ces examens toute valeur probante par principe, conforte cette dernière date de naissance déclarée en estimant, par la conjonction combinée de plusieurs méthodes, son âge réel minimum à plus de vingt-et-un ans, et en concluant en tout état de cause à l'incompatibilité totale avec l'âge déclaré de seize ans et neuf mois. Il en résulte que, nonobstant sa prise en charge, au seul vu de de ses déclarations, par l'aide sociale à l'enfance et les circonstances de la formation et de l'aide dont il a ainsi indûment bénéficié, M. B... ne pouvait se prévaloir de sa minorité à la date du 11 décembre 2018. Dans ces conditions, en excluant expressément ces circonstances de son appréciation, c'est à tort que, pour annuler les décisions en litige, le tribunal administratif s'est fondé sur le motif tiré de l'atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de l'intéressé.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B....
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire :
6. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français :/ 1° L'étranger mineur de dix-huit ans ; (...) ". Ainsi qu'il a été dit au point 4, M. B... ne justifie pas de sa minorité à la date à laquelle est intervenue l'obligation de quitter le territoire en litige, à laquelle s'apprécie sa légalité. Dès lors, M. B... ne peut utilement se prévaloir de ces dispositions.
7. Par le même motif, M. B..., qui ne justifie pas avoir été mineur à la date de l'arrêté attaqué, ne peut utilement se prévaloir des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier1990.
8. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Ces stipulations ne sauraient, en tout état de cause, s'interpréter comme comportant pour un État l'obligation générale de respecter le choix, par un demandeur de titre de séjour, d'y établir sa résidence privée et de permettre son installation ou le regroupement de sa famille sur son territoire.
9. Compte tenu de la brève durée et des conditions de l'entrée et du séjour en France de M. B..., qui est célibataire, et qui n'établit pas ne pas avoir conservé des attaches familiales dans son pays d'origine, nonobstant la motivation qu'il a pu montrer durant sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance, l'obligation de quitter le territoire prise à son encontre ne porte pas, au regard des buts poursuivis, une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, ce refus ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination et de l'interdiction de retour sur le territoire français :
10. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que M. B... ne peut utilement se prévaloir, contre la décision fixant le pays de destination et l'interdiction de retour sur le territoire français, de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990.
11. Pour les motifs mentionnés ci-dessus dans le cadre de l'examen de la légalité de l'obligation de quitter le territoire qui lui a été opposée, la décision fixant le pays de destination et l'interdiction de retour sur le territoire français ne méconnaissent pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. Compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, M. B... n'est pas fondé à se prévaloir de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.
13. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le préfet du Rhône est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé les décisions en litige du 11 décembre 2018.
14. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'État, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, verse une somme au conseil de M. B... au titre des frais liés au litige.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1809088 du 25 mars 2019 du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : Les conclusions de M. B... sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....
Copie en sera adressée au préfet du Rhône et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
M. Josserand-Jaillet, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
Mme Burnichon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 décembre 2019.
Le président, rapporteur,
D. Josserand-JailletLe président assesseur,
Ph. Seillet
La greffière,
S. Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 19LY01267