Par une requête, enregistrée le 30 avril 2019, M. A..., représenté par Me B..., avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 23 avril 2019 du tribunal administratif de Lyon ;
2°) d'annuler l'arrêté du 18 mai 2018 du préfet de l'Ardèche ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Ardèche de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans un délai de trente jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à compter de la notification du jugement à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros à verser à Me B..., en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- en lui opposant l'insuffisance de maîtrise de la langue française, le préfet et les juges de première instance ont commis une erreur de fait ;
- le tribunal administratif a entaché son jugement d'une erreur de droit en retenant le critère de la langue pour appliquer les dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne comportent pas cette condition ;
- le préfet de l'Ardèche ne pouvait pas lui opposer une insuffisante maîtrise de la langue française sans méconnaître l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'administration, qui n'établit pas la fraude, était tenue par les actes d'état civil présentés pour justifier de sa minorité à son entrée en France ;
- il remplit les conditions posées par l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il n'a plus d'attaches dans son pays d'origine, contrairement à ce que soutient le préfet sans l'établir ;
- en fondant son arrêté sur un défaut de maîtrise de la langue française, le préfet n'a pas apprécié sa situation de manière globale comme il y est tenu, tandis que le seul motif tiré d'attaches familiale conservées dans son pays d'origine est erroné.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 novembre 2019, non communiqué, le préfet de l'Ardèche conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le juge de première instance a fait droit à sa demande de substitution de motifs ;
- il a procédé à un examen circonstancié de la situation de M. A... ;
- aucune erreur d'appréciation ou de droit n'a été commise ;
- l'appelant n'expose aucun moyen ou éléments susceptibles d'avoir une incidence sur la légalité des décisions en litige et sur l'appréciation des premiers juges.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 mai 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et son décret d'application n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Josserand-Jaillet, président, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Entré irrégulièrement sur le territoire français selon ses déclarations le 13 novembre 2016, et pris en charge par l'aide sociale à l'enfance en tant que mineur isolé, M. A..., ressortissant guinéen né le 6 mars 2000 à Correrah-Boke (Guinée), a sollicité à sa majorité un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 18 mai 2018, dont M. A... a sollicité l'annulation devant le tribunal administratif de Lyon, le préfet de l'Ardèche a rejeté sa demande d'admission au séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire, et a fixé son pays d'origine pour destination de cette mesure. M. A... relève appel du jugement n° 1900819 du 23 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Lyon, sur renvoi après annulation par un arrêt du 4 février 2019 d'un premier jugement du 16 octobre 2018, a rejeté sa demande.
2. Aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue au 1° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. (...) ".
3. Lorsqu'il examine une demande de titre de séjour portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans le cadre de l'examen d'une demande l'admission exceptionnelle au séjour, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans et qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle. Disposant d'un large pouvoir d'appréciation, il doit ensuite prendre en compte la situation de l'intéressé appréciée de façon globale au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française.
Sur la légalité de l'arrêté du 18 mai 2018 pris dans son ensemble :
4. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser à M. A... le titre de séjour sollicité sur le fondement de ces dispositions, le préfet de l'Ardèche, qui a subsidiairement étendu son examen à l'application de l'article L. 313-14 et du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, s'est fondé principalement sur les attaches familiales qu'aurait conservées l'intéressé dans son pays d'origine.
5. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
6. Par la voie de la substitution de motifs, retenue par le juge de première instance qui a par ailleurs écarté comme entachée d'erreur l'appréciation portée par l'administration sur les attaches conservées par l'intéressé dans son pays d'origine, le préfet, ajoutant dans ces conditions cette considération nouvelle à son appréciation globale, a opposé à M. A... l'insuffisance de maîtrise de la langue française pour maintenir son refus de séjour au titre des mêmes dispositions précitées de l'article L. 313-15.
7. Il ressort toutefois des pièces du dossier, et notamment de l'avis de la structure d'accueil et des témoignages des enseignants ayant participé à la formation de M. A..., que, d'une part, celui-ci a suivi les enseignements et les stages avec sérieux et motivation, sans que sa pratique de la langue française fasse obstacle aux bons résultats obtenus, d'autre part que les enseignements de français et d'histoire ont été aménagés et personnalisés dans le but de le faire progresser, sans que ces aménagements le soustraient à la sanction de l'examen final, à l'issue de sa scolarité en CAP plaquiste. Il est établi par les mêmes pièces que l'absence d'évaluation par le professeur de français de l'appelant en fin de deuxième et troisième trimestres, sur laquelle le tribunal administratif a fondé son appréciation, résulte de l'organisation personnalisée de sa scolarité en français.
8. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 que le préfet de l'Ardèche doit être regardé comme, au niveau de l'appel, s'étant fondé sur une insuffisance dans la pratique du français pour avoir rejeté la demande de titre de séjour de M. A... formée sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
9. Toutefois il ne ressort pas des dispositions précitées de cet article que cette condition soit au nombre de celles qu'elles énumèrent pour la délivrance, à titre exceptionnel, d'un titre de séjour aux étrangers qui les remplissent. Dès lors, si le préfet peut, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation tel que défini au point 3, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, prendre en compte dans l'appréciation globale qu'il lui appartient de mener de la situation du demandeur, l'aisance de celui-ci à utiliser la langue française, c'est en pondération des autres éléments justifiés par l'intéressé au regard des conditions posées par l'article L. 313-15.
10. En l'espèce, en retenant comme prépondérante une insuffisance de maîtrise de la langue française, au demeurant non établie dans son degré par les pièces du dossier, contre l'ensemble des éléments positifs justifiant du sérieux de la formation suivie par M. A... et de son comportement d'intégration, pour lui refuser le séjour, le préfet de l'Ardèche a entaché son appréciation de la situation globale de l'appelant d'une erreur manifeste.
11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 18 mai 2018 par lequel le préfet de l'Ardèche a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi, et à demander l'annulation de ces décisions.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
12. L'annulation prononcée ci-dessus du refus de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'implique pas, eu égard au fait que le titre prévu par ces dispositions est délivré dans l'année qui suit le dix-huitième anniversaire de l'intéressé, la délivrance, à la date à laquelle la cour statue, d'un tel titre à l'appelant. Il y a lieu, dans ces conditions, d'enjoindre seulement au préfet de l'Ardèche de réexaminer la situation de M. A... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 :
13. M. A... étant bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, son avocat peut prétendre au bénéfice des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l'espèce, l'État versera, en application de ces dispositions, la somme
de 1 000 euros à Me B..., sous réserve que cette dernière renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 23 avril 2019 du tribunal administratif de Lyon et l'arrêté du préfet de l'Ardèche du 18 mai 2018 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Ardèche de réexaminer la demande de titre de séjour de M. A... dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : En application du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, l'État versera la somme de 1 000 euros à Me B..., sous réserve que cette dernière renonce à percevoir le bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A..., au ministre de l'intérieur et à Me C... B....
Copie en sera adressée au préfet de l'Ardèche.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2019 à laquelle siégeaient :
M. Josserand-Jaillet, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
Mme Rémy-Néris, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 décembre 2019.
Le président, rapporteur,
D. Josserand-JailletLe président assesseur,
Ph. Seillet
La greffière,
S. Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 19LY01673