Par une requête et un mémoire enregistrés les 11 mars et 3 novembre 2020, le préfet de l'Ain demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 de ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 21 février 2020 ;
2°) de rejeter la demande de M. A... devant le tribunal.
Le préfet soutient que :
- le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé ;
- le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a dénaturé les faits de l'espèce, a commis une erreur de fait et une erreur de droit ;
- eu égard au comportement de l'intéressé qui est en France avec un passeport falsifié et au fait qu'il ne justifie pas d'une présence ancienne et permanente en France, les décisions en litige n'ont pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le 1° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les décisions litigieuses ont été prises par une autorité compétente ;
- l'obligation de quitter le territoire français ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle ne méconnaît pas l'article 3-1 de la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant ;
- elle n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- le refus de lui accorder un délai de départ volontaire n'est pas illégal du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- ce refus n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;
- il ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il ne méconnaît pas l'article 3-1 de la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant ;
- le requérant ne peut exciper de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi ;
- il ne peut exciper de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français à l'encontre de l'interdiction de retour sur le territoire français ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire enregistré le 23 octobre 2020, M. A..., représenté par Me C..., avocat, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 200 euros, soit mise à la charge de l'Etat, à son profit, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le préfet a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le cas échéant, il reprend les moyens qu'il a développés en première instance.
Par un mémoire enregistré le 7 janvier 2021, M. A... sollicite un renvoi d'audience afin que le magistrat qui a statué sur le sursis à exécution du jugement attaqué ne siège pas dans la formation de jugement amenée à statuer sur le bien-fondé de l'appel du préfet.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B..., présidente assesseure ;
- les observations de Me C..., représentant M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., né le 11 décembre 1964, de nationalité coréenne, déclare être entré sur le territoire français en 2014. Il a été interpellé et placé en retenue administrative le 10 février 2020 par les services de la police aux frontières de l'Ain, puis placé en garde à vue le lendemain pour détention et usage de faux documents administratifs. Par des décisions du 11 février 2020, le préfet de l'Ain l'a obligé à quitter le territoire français sur le fondement des dispositions du 1° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sans assortir cette obligation d'un délai de départ volontaire, a fixé le pays de renvoi, et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de six mois. Le préfet de l'Ain relève appel du jugement du 21 février 2020 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a annulé ses décisions du 11 février 2020, lui a enjoint de réexaminer la situation de M. A... dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour et a mis à la charge de l'Etat une somme de 600 euros à verser à M. A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "
3. M. A... fait valoir que son épouse, qui est titulaire d'une carte de séjour pluriannuelle de quatre ans valable jusqu'au 23 août 2022 en qualité d'entrepreneur, réside régulièrement en France avec leur fils qui est scolarisé. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. A..., qui n'a jamais déposé de demande de titre de séjour en France, ne justifie d'aucune insertion sociale ou professionnelle particulière. Les attestations qu'il produit émanant du responsable de l'aumônerie catholique coréenne de Paris et d'une compatriote chez qui il aurait logé entre août 2014 et février 2015 ne permettent pas de démontrer l'ancienneté et la permanence de sa résidence en France, auprès de son épouse et de son fils, alors qu'il a déclaré devant les services de police vivre en Suisse ou en Corée du Sud. Enfin, il n'apporte aucun document permettant d'établir qu'il subviendrait à l'entretien et à l'éducation de son fils mineur, alors qu'il a déclaré n'avoir aucune activité professionnelle. Dans ces conditions, et compte tenu des conditions d'entrée et de séjour en France, l'obligation faite à l'intéressé de quitter le territoire français ne porte pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Elle ne méconnaît dès lors pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué, le préfet de l'Ain est fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a annulé ses décisions du 11 février 2020 motif pris de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales par l'obligation de quitter le territoire français.
5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les parties tant devant le tribunal administratif de Lyon que devant la cour.
Sur le moyen commun aux décisions en litige :
6. Les décisions litigieuses, signées le 11 février 2020 par Mme D... G..., cheffe de la mission éloignement, en vertu d'une délégation accordée le 5 novembre 2019 et publiée le lendemain au recueil des actes administratifs de la préfecture, ne sont pas entachées d'incompétence.
Sur les moyens propres à l'obligation de quitter le territoire français :
7. En premier lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent des enfants, qu'elles soient le fait (...) des tribunaux, des autorités administratives (...), l'intérêt supérieur des enfants doit être une considération primordiale. ".
8. Ainsi qu'il a été indiqué précédemment, le requérant n'établit pas qu'il subviendrait à l'entretien et à l'éducation de son fils mineur. Ainsi, le préfet de l'Ain a pu l'obliger à quitter le territoire français sans méconnaître les stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
9. En second lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'obligation de quitter le territoire en litige, compte tenu de ses effets, soit entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences qu'elle est susceptible de comporter pour la situation personnelle de l'intéressé.
Sur les moyens propres à la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire :
10. En premier lieu, compte tenu de ce qui précède, M. A... n'est pas fondé à invoquer, par la voie de l'exception, l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions contre la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire.
11. En deuxième lieu, aux termes du II de l'article L. 5111 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) h) Si l'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français ; (...) ".
12. Pour refuser d'accorder à M. A... un délai de départ volontaire, le préfet s'est fondé sur le a) et le h) du 3° du paragraphe II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il est constant que M. A... ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français et n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour. De plus, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a déclaré vouloir rester en France en réponse à la question posée par les services de police de savoir quelle serait son attitude en cas de mesure d'éloignement prise à son encontre. Contrairement à ce que soutient le requérant, le préfet a pu valablement relever qu'en formulant une telle réponse, M. A... avait explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à une obligation de quitter le territoire français. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
13. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux retenus précédemment, la décision litigieuse ne méconnait ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle du requérant.
Sur le moyen propre à la décision fixant le pays de renvoi :
14. Compte tenu de ce qui précède, M. A... n'est pas fondé à invoquer, par la voie de l'exception, l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions contre la décision fixant le pays de renvoi.
Sur les moyens propres à la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de six mois :
15. En premier lieu, compte tenu de ce qui précède, M. A... n'est pas fondé à invoquer, par la voie de l'exception, l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions contre la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.
16. En second lieu, aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour (...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".
17. Pour décider d'assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire d'une durée de six mois, le préfet de l'Ain s'est notamment fondé sur le fait que M. A... se maintenait irrégulièrement en France, sans faire de démarche pour régulariser sa situation, qu'il a été placé en garde à vue, le 11 février 2020 pour des faits de détention et d'usage de faux documents administratifs et qu'il ne démontrait pas participer effectivement à l'entretien et à l'éducation de son fils. Dans ces conditions, et alors même que l'intéressé n'a pas déjà fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement, en faisant interdiction à M. A... de retourner sur le territoire français durant six mois, le préfet de l'Ain n'a pas commis d'erreur d'appréciation au regard des critères définis au III de l'article L. 5111 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
18. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Ain est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a annulé les décisions litigieuses et a fait droit à ses conclusions accessoires.
Sur les frais liés au litige :
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat soit condamné à verser à M. A... la somme qu'il demande au titre des frais exposés à l'occasion du litige.
DECIDE :
Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2001182 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon du 21 février 2020 sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lyon et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... A..., au préfet de l'Ain et au ministre de l'intérieur.
Copie du présent arrêt en sera adressée au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Lyon.
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2021 à laquelle siégeaient :
Mme B..., présidente,
Mme H..., première conseillère,
Mme I..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 février 2021.
2
N° 20LY01029
cm