Par une requête enregistrée le 13 mars 2020, Mme A..., représentée par Me D..., avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1902462 du 11 décembre 2019 du tribunal administratif de Dijon ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions susmentionnées ;
3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, de procéder à un réexamen de sa situation dans le même délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros, à son profit, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le préfet aurait dû saisir la commission du titre de séjour ;
- le refus de titre de séjour est insuffisamment motivé ;
- le préfet n'apporte aucun élément sérieux de nature à émettre un doute sur la paternité de M. G... ; le refus de titre de séjour méconnaît le 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- l'obligation de quitter le territoire français est illégale, du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elle méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la décision fixant le délai de départ volontaire est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de renvoi est illégale du fait de l'illégalité des autres décisions ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire enregistré le 17 novembre 2020, le préfet de la Côte-d'Or conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la commission du titre de séjour ne devait pas être saisie ;
- il est établi, par les éléments du dossier qu'une fraude à la reconnaissance de paternité était avérée et que ladite fraude faisait obstacle à ce qu'un titre de séjour soit délivré à la requérante ;
- le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation sur le droit au respect de sa vie privée et familiale sera écarté ;
- l'intérêt supérieur de l'enfant n'a pas été méconnu ;
- la décision fixant le délai de départ volontaire n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation ;
- les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'ont pas été méconnues.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 février 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989, signée par la France le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B..., présidente assesseure ;
- et les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante de la République Démocratique du Congo, née le 29 décembre 1995, est entrée en France le 1er novembre 2012. Sa demande d'asile a été rejetée le 23 septembre 2015, par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Ce refus a été confirmé par la Cour nationale du droit d'asile, le 14 avril 2016. Elle a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français le 5 juillet 2016. Le 1er décembre 2016, elle a sollicité la délivrance d'un premier titre de séjour en qualité de parent d'enfant français. Par décisions du 23 juillet 2019, le préfet de la Côte-d'Or a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme A... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée (...) ".
3. Si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 21 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français ou de procéder, le cas échéant, à son retrait.
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a donné naissance, le 7 décembre 2014, à Dijon, à une enfant qui a été reconnue, de manière anticipée, le 26 août 2014, par M. G..., ressortissant français. Pour rejeter la demande de titre de séjour présentée par Mme A..., sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Côte-d'Or, se fondant sur un faisceau d'indices, a estimé que la reconnaissance de cet enfant était frauduleuse. Il a, à ce titre, retenu que le père déclaré de l'enfant était l'auteur d'une autre reconnaissance de paternité d'une enfant née d'une mère différente, qu'il n'existait aucune relation ou communauté de vie connue ou déclarée entre Mme A... et M. G..., qui réside en région parisienne. Le préfet s'est également fondé sur que le fait Mme A... a entrepris des démarches en vue de la délivrance d'un certificat de nationalité, un mois après la naissance de sa fille et que l'intéressée a présenté sa demande de titre de séjour en qualité de parent d'enfant français juste après avoir fait l'objet d'un refus de titre de séjour au titre de l'asile. Enfin, le préfet a retenu que M. G... ne participait pas à l'entretien et à l'éducation de l'enfant.
5. Toutefois, ces seules circonstances, contestées par la requérante notamment en ce qui concerne la participation du père de son enfant à son entretien et son éducation, ne permettent pas à elles seules, de démontrer le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité en cause et de considérer qu'elle n'aurait été souscrite que dans le but de faciliter l'obtention d'un titre de séjour à la requérante.
6. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Côte-d'Or ne pouvait refuser, pour ce motif, de délivrer à Mme A... un titre de séjour sans méconnaître les dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En conséquence, le refus de titre de séjour en litige et, par voie de conséquence, l'obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et la décision fixant le pays de renvoi dont ce refus est assorti, sont entachés d'illégalité et doivent être annulés.
7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande et à demander l'annulation de ce jugement ainsi que celle des décisions du 23 juillet 2019.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
9. Eu égard au motif qui fonde l'annulation des décisions en litige et dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'un changement dans la situation de droit ou de fait de la requérante y fasse obstacle, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de la Côte-d'Or délivre à Mme A... la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " prévue au 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En conséquence, il y a lieu de lui adresser une injonction en ce sens et de lui impartir un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Maître D... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Dijon du 11 décembre 2019 et les décisions du préfet de la Côte-d'Or du 23 juillet 2019 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Côte-d'Or de délivrer à Mme A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à Me D... la somme de 1 000 euros, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la part contributive de l'État.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A..., à Me D..., au préfet de la Côte-d'Or et au ministre de l'intérieur.
Copie du présent arrêt en sera adressée au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Dijon.
Délibéré après l'audience du 26 novembre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme B..., présidente assesseure,
Mme F..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2020.
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N° 20LY01083
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