Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 28 juillet 2020, Mme H..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annulé l'arrêté du 2 décembre 2019 du préfet de l'Isère portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois en lui délivrant dans l'attente une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le refus de titre de séjour est insuffisamment motivé ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen complet de sa demande et s'est abstenu de statuer sur sa demande subsidiaire de délivrance d'une carte de résident ;
- pour refuser de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet s'est basé sur de simples présomptions sans caractériser des éléments précis et concordants ;
- le refus de séjour porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale eu égard à la durée de sa présence en France, où ses enfants sont scolarisés et insérés, et de son intégration professionnelle ;
- il méconnaît l'intérêt supérieur de ses enfants mineurs, scolarisés, et en particulier celui de son fils aîné, autiste, scolarisé dans un institut médico-éducatif où il peut bénéficier d'un suivi adapté ;
- il procède d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- la mesure d'éloignement méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît également les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'obligation de quitter le territoire méconnaît également les dispositions du 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle procède enfin d'une erreur manifeste d'appréciation.
La requête a été communiquée au préfet de l'Isère, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Mme H... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 juillet 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme J..., première conseillère,
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme H..., ressortissante du Nigéria née le 22 juillet 1978, a déclaré être entrée en France le 30 juin 2012, accompagnée de ses fils mineurs, respectivement nés le 3 juillet 2003 en Suède et le 26 décembre 2008 en Italie. Ayant donné naissance en France, le 4 août 2012, à une fille reconnue prénatalement, le 10 juillet 2012, par M. G... D..., ressortissant français, elle a obtenu, à compter du 21 juin 2013, la délivrance d'une carte de séjour temporaire en qualité de mère d'un enfant français, sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, renouvelée jusqu'au 16 décembre 2016. Elle a sollicité le 30 septembre 2016 le renouvellement de ce titre ou la délivrance d'une carte de résident d'une durée de validité de dix ans. Elle demande à la cour d'annuler le jugement du 27 mars 2020 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 décembre 2019 par lequel le préfet de l'Isère, invoquant la fraude, a alors refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français.
Sur la légalité des décisions attaquées :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée ".
3. Si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 21 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français ou de procéder, le cas échéant, à son retrait.
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme H... a donné naissance, le 4 août 2012, en France, à une enfant qui a été reconnue, de manière anticipée, le 10 juillet 2012, par M. G... D..., ressortissant français. Pour rejeter la demande de renouvellement de titre de séjour présentée par Mme H..., sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de l'Isère a estimé que la " chronologie des faits " établissait que la reconnaissance de cet enfant était frauduleuse. Il a, à ce titre, retenu que le père déclaré de l'enfant était l'auteur en décembre 2011 d'une autre reconnaissance de paternité d'une enfant née d'une mère différente, que Mme H... avait accouché un mois après son entrée en France, sans établir l'antériorité de la relation avec M. D..., qu'il n'était pas justifié non plus d'une communauté de vie avec lui depuis la naissance de l'enfant, et que M. D... ne participait ni à l'entretien ni à l'éducation de la jeune F..., avec laquelle il n'entretenait pas de lien affectif, l'autorité parentale étant par ailleurs exercée exclusivement par Mme H... en vertu d'une décision du juge aux affaires familiales.
5. Toutefois, ces seules circonstances ne permettent pas, à elles seules, d'établir le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité en cause et de considérer qu'elle n'aurait été souscrite que dans le but de faciliter l'obtention d'un titre de séjour à la requérante, en l'absence, notamment, de tout indice de rétribution ou d'une déclaration discordante de l'un ou l'autre parent ou encore d'un tiers quant à la filiation biologique réelle de l'enfant.
6. Par suite, le préfet de l'Isère ne pouvait, pour ce motif, refuser de renouveler le titre de séjour de Mme H... sans méconnaître les dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En conséquence, le refus de titre de séjour en litige et l'obligation de quitter le territoire français qui l'accompagne sont entachés d'illégalité et doivent, pour ce motif, être annulés.
7. Il résulte de ce qui précède que Mme H... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté ses demandes et à demander l'annulation de ce jugement ainsi que des décisions attaquées du 2 décembre 2019.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
9. Eu égard au motif qui fonde l'annulation des décisions en litige et dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'un changement dans la situation de droit ou de fait de la requérante y fasse obstacle, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de l'Isère délivre à Mme H... la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " prévue au 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me C... d'une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sous réserve qu'il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 27 mars 2020 et les décisions du préfet de l'Isère du 2 décembre 2019 portant refus de séjour assorti de l'obligation pour Mme E... H... de quitter le territoire français sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Isère de délivrer à Mme E... H... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me A... C... une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... H..., à Me A... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 25 février 2021, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme B..., présidente assesseure,
Mme J..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 mars 2021.
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N° 20LY02037
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