Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 17 septembre 2020, M. B..., représenté par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement de la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon du 6 avril 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Rhône du 13 juin 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à venir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. B... soutient que :
- il n'a pas fourni un seul mais plusieurs certificats médicaux, lesquels sont circonstanciés et l'OSAR est un organisme reconnu de manière internationale comme une organisation indépendante ; il établit ne pouvoir bénéficier des traitements et soins disponibles actuellement au Nigéria ; la décision de refus de titre de séjour méconnaît ainsi le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision de refus de titre de séjour méconnaît également les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français méconnaît l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; le préfet a méconnu l'étendue de ses compétences en assortissant de façon automatique la décision de refus de titre de séjour d'une obligation de quitter le territoire français ;
- la décision fixant le pays de destination méconnaît les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par une ordonnance du 19 novembre 2020, la requête a été dispensée d'instruction.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 août 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme C..., première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., de nationalité nigériane, est entré en France le 9 juillet 2013, selon ses déclarations, pour solliciter l'asile. Sa demande d'asile ayant été rejetée en dernier lieu par la Cour nationale du droit d'asile le 20 septembre 2016, il a demandé la délivrance d'un titre de séjour " vie privée et familiale " au titre de son état de santé. Par un arrêté du 13 juin 2019, le préfet du Rhône a refusé de lui délivrer le titre demandé, lui a fait obligation de quitter le territoire français avec un délai de départ volontaire de trente jours et a fixé le pays de destination. M. B... relève appel du jugement par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...) ".
3. Il résulte des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans le pays dont l'étranger est originaire et que si ce dernier y a effectivement accès. Toutefois, la partie qui justifie de l'avis d'un collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié et effectivement accessible dans le pays de renvoi.
4. En l'espèce, aux termes de l'avis émis par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dont le préfet s'est approprié les termes, l'état de santé de M. B... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité mais, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié et peut voyager sans risque à destination de ce pays.
5. M. B... conteste la disponibilité d'un traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine. Il produit des certificats médicaux et un rapport de l'organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR), auxquels les certificats médicaux se réfèrent, selon lesquels un retour dans son pays d'origine l'exposerait à une interruption de son suivi psychiatrique compte tenu de la moins bonne qualité du système de soins notamment dans le domaine de la psychiatrie et de leur coût, le remboursement des soins n'étant pas la règle. Le préfet produit toutefois un document du ministère de l'intérieur néerlandais, issu d'une base de données médicales financée par le fonds européen pour les réfugiés, indiquant qu'il est possible, au Nigéria, d'être suivi par un psychiatre ou un psychologue, dans le cadre d'une psychothérapie, en ambulatoire comme dans le cadre d'une hospitalisation, de même que d'accéder à des soins d'urgence si nécessaire et le rapport de l'OSAR, qui fait état de l'existence d'hôpitaux psychiatriques et de cliniques psychiatriques n'affirme pas le contraire. La circonstance que ces soins ne puissent être, pour l'essentiel, être dispensés qu'à Lagos, compte tenu de l'insuffisante couverture du reste du territoire par ce type de structures, n'invalide pas le constat de leur disponibilité au Nigéria. Si M. B... est sans revenu ni activité en France, où il n'a jamais disposé d'un titre de séjour lui permettant de travailler, il ne donne aucune précision sur ses moyens et conditions d'existence avant son départ du Nigéria. En admettant qu'il ne soit pas éligible à l'assurance maladie et que les soins que son état requiert ne soient pas remboursés, il ne ressort pas des pièces du dossier que sa maladie serait invalidante au point qu'il ne puisse travailler et ainsi disposer des moyens d'y accéder. Enfin, s'il allègue qu'un retour dans son pays d'origine pourrait aggraver son état de santé, cela ne ressort pas des pièces du dossier alors qu'il en ressort au contraire que sa grande précarité en France a été à l'origine d'une dégradation de son état de santé psychique. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de la méconnaissance du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
6. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales " toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance " et " il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l 'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
7. D'une part, si M. B... fait valoir être installé en France depuis plus de six années à la date de la décision contestée, les attestations produites ne permettent pas d'établir qu'il aurait noué sur le territoire national des relations amicales et privées d'une particulière intensité. D'autre part, ainsi qu'il a été dit, le risque éventuel d'une dégradation de l'état de santé de M. B... en cas de retour dans son pays d'origine n'est pas établi. M. B... n'est ainsi pas fondé à soutenir que le refus de délivrance d'un titre de séjour porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été pris et aurait ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains et dégradants. ".
9. M. B... soutient appartenir à la communauté Enyiogugu et encourir la mort en cas de retour dans son pays d'origine, du fait d'un différend l'opposant à sa communauté religieuse. Toutefois, par ses seules allégations, en l'absence de documents ou justificatifs versés au dossier suffisamment probants à cet égard et de tout élément nouveau, M. B..., dont la demande d'asile a d'ailleurs été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, puis par la Cour nationale du droit d'asile le 20 septembre 2016, n'établit pas la réalité de risques personnellement et directement encourus en cas de retour dans son pays d'origine. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 précité doit être écarté.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours :
10. En premier lieu, à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français, M. B... soulève le même moyen que celui, déjà présenté devant le tribunal administratif, tiré de ce que le préfet se serait estimé lié par le refus de titre et n'aurait pas exercé son pouvoir d'appréciation avant de l'obliger à quitter le territoire français. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption du motif retenu par le premier juge.
11. En second lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. _ L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré ; (...) 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 743-2, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) La décision énonçant l'obligation de quitter le territoire français est motivée (...). ".
12. Aux termes de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...). " Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union et qu'il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré, lequel se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.
13. Une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la décision faisant grief que si la procédure administrative en cause aurait pu, en fonction des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, aboutir à un résultat différent du fait des observations et éléments que l'étranger a été privé de faire valoir. En l'espèce, ainsi qu'il a déjà été dit, après le rejet de sa demande d'asile, M. B... a déposé une demande de titre de séjour au titre de son état de santé. A l'occasion du dépôt de sa demande, il a été conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demandait que lui soit reconnu un droit au séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui était loisible de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Le droit de l'intéressé d'être entendu n'imposait pas à l'autorité administrative de mettre l'intéressé à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français qui a été prise à la suite du refus définitif de sa demande d'asile et du rejet de sa demande de titre de séjour au titre de son état de santé. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu préalablement à une décision administrative défavorable doit être écarté.
14. Pour les motifs exposés ci-dessus aux points 7 et 9, les moyens tirés de la méconnaissance par l'obligation de quitter le territoire français litigieuse des stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.
En ce qui concerne la décision attaquée fixant le pays de destination :
15. Les moyens tirés de la violation par la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement, des stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale, doivent, en l'absence de tout élément particulier invoqué tenant à cette décision, être écartés par les mêmes motifs que ceux développés précédemment aux points 7 et 9.
16. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B.... Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 11 février 2021, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme D..., présidente-assesseure,
Mme C..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 mars 2021.
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N° 20LY02717