Par une requête enregistrée le 19 août 2020, M et Mme A..., représentés par Me H..., avocat, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 2002649 - 2002650 du 23 juillet 2020 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions susmentionnées ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie de leur délivrer un titre de séjour, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de cent euros par jour de retard, ou à défaut, de réexaminer leur situation dans les mêmes conditions ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, au profit de leur conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- leur recours est recevable ;
- le traitement requis par l'état de santé de leur enfant n'est pas effectivement disponible en Albanie ;
- ces décisions méconnaissent les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 octobre 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
le rapport de Mme D..., présidente assesseure ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... et son épouse, ressortissants albanais, nés respectivement le 28 mai 1977 et le 6 décembre 1981 ont déclaré être entrés en France le 22 novembre 2018, accompagnés de leurs deux enfants. Le 31 janvier 2019, leurs demandes d'asile ont été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Ces refus ont été confirmés le 12 juillet 2019, par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Le 8 octobre 2019, M. et Mme A... ont sollicité la délivrance de titres de séjour en raison de l'état de santé de l'un de leur fils. Par décisions du 28 février 2020 le préfet de la Haute-Savoie a refusé de leur délivrer des titres de séjour. M. et Mme A... relèvent appel du jugement 23 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces décisions.
2. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
3. Il ressort de l'avis émis le 12 février 2020 que le collège de médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que l'état de santé de l'enfant de M. et Mme A... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais qu'il était en mesure de bénéficier d'un traitement approprié en Albanie eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans ce pays. Les requérants produisent à l'instance plusieurs certificats médicaux dont il ressort que l'enfant B..., né le 16 janvier 2017 est atteint d'une maladie très rare, une encéphalopathie convulsivante par un syndrome de West favorisée par un déficit génétique en co-enzyme A entraînant un polyhandicap caractérisé notamment par une atteinte neurologique, une tétraparésie spastique et une épilepsie. Son état de santé, qui ne lui permet ni de tenir sa tête droite ni de se tenir assis, requiert une prise en charge pluridisciplinaire spécialisée très régulière, notamment en neuropédiatrie, gastropédiatrie, kinésithérapie, rééducation, médecine physique et réadaptation, orthophonie et ophtalmologie ainsi que des appareillages et installations orthopédiques spécialisés. Par ailleurs, une alimentation entérale sur sonde naso-gastrique a été instaurée en mai 2019 et une intervention consistant en la pose d'une sonde de gastrotomie est envisagée. Il ressort également de ces certificats que le jeune B... bénéficie pour cette maladie rare d'un traitement très spécifique par Decorenone dont il n'existe pas d'équivalent identifié à ce jour et prescrit dans le cadre d'une autorisation temporaire d'utilisation nominative.
4. Le préfet fait valoir en produisant plusieurs documents dont la plupart sont non traduits, qu'en Albanie, le centre hospitalier universitaire " Mère Thérésa " dispose d'un département de pédiatrie comprenant des services de neuropédiatrie, de gastro-entérologie et d'ophtalmologie pouvant traiter l'épilepsie du jeune B..., que les soins en orthophonie et en kinésithérapie pourraient être réalisés dans un centre intitulé " Phisio Health Physiotherapy Albania ", situé à Tirana et auprès d'une logopédiste exerçant au sein de la " Klinika Mjekesore Komuna e Parisit " et que la médecine physique et de réadaptation est une spécialité mentionnée dans la fiche MEDCOI concernant l'Albanie. Toutefois, en ce qui concerne le traitement par Decorenone dont bénéficie le jeune B..., le préfet se borne à affirmer, sans le démontrer, que ce traitement étant délivré grâce à une autorisation temporaire d'utilisation nominative, il n'existe aucune certitude médicale quant à son bénéfice alors qu'il ressort du I de l'article L. 5121-12 du code de la santé publique qu'une autorisation temporaire d'utilisation nominative est délivrée, à titre exceptionnel, à un patient nommément désigné ne pouvant participer à une recherche impliquant la personne humaine, lorsqu'en l'absence de traitement approprié, un traitement, destiné à traiter une maladie grave ou rare, est susceptible de présenter un bénéfice pour le patient et que son efficacité et sa sécurité sont présumées en l'état des connaissances scientifiques et que la mise en oeuvre du traitement ne peut pas être différée. Dans ces conditions, et dès lors qu'il n'est pas démontré l'absence d'efficacité du traitement médicamenteux délivré au jeune B..., il est de l'intérêt supérieur de cet enfant, qui bénéficie à la date de la décision attaquée d'une prise en charge adaptée dont il est justifié qu'un tel traitement n'existe pas en Albanie, de pouvoir poursuivre ses soins en France. Par suite, dans les conditions très particulières de l'espèce, M. et Mme A... sont fondés à soutenir que le préfet a méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, que M. et Mme A... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à l'annulation des décisions portant refus de titre de séjour.
Sur les conclusions à fin d'injonction, sous astreinte :
6. Compte tenu des motifs du présent arrêt, l'annulation des décisions du 28 février 2020, implique nécessairement la délivrance à M. et Mme A... d'autorisations de séjour sur le fondement de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie d'y procéder dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
7. M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761 1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me H..., avocate de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me H... de la somme de 1 000 euros.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2002649 - 2002650 du tribunal administratif de Grenoble du 23 juillet 2020 et les décisions du 28 février 2020 du préfet de la Haute-Savoie portant refus de titre de séjour sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Savoie de délivrer à M. et Mme A... des autorisations de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me H... une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. et Mme A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à Mme E... A..., à Me H..., au préfet de la Haute-Savoie et au ministre de l'intérieur. Copie du présent arrêt sera adressée au procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Annecy.
Délibéré après l'audience du 4 février 2021 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme D..., présidente assesseure,
Mme G..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 février 2021.
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N° 20LY02366
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