Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 20 août 2020, Mme D..., représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler les décisions du préfet de l'Ain du 15 novembre 2019 et du 9 décembre 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Ain de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour avec droit au travail dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la mesure d'éloignement est entachée d'une erreur de fait quant à son lieu d'hébergement, qui a eu des conséquences sur l'appréciation portée par l'autorité préfectorale sur l'atteinte à sa vie privée et familiale ;
- la décision procède d'un défaut d'examen particulier de sa situation et d'un vice de procédure, dès lors qu'elle est intervenue avant la date du rendez-vous en préfecture en vue du dépôt d'une demande de titre de séjour ;
- elle est intervenue en violation du principe général du droit d'être entendu, dès lors qu'elle a été privée de la possibilité de faire valoir, de manière utile et effective, des éléments pertinents de nature à faire obstacle à l'édiction d'une décision de retour ;
- elle méconnaît le principe général de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique, pour avoir été édictée le lendemain de la délivrance d'une convocation pour le 2 décembre 2019 en vue de la présentation d'une demande de titre de séjour ;
- elle procède d'une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'illégalité de la mesure d'éloignement entraîne l'illégalité de la décision fixant le pays de destination ainsi que de la décision l'obligeant à se présenter à la gendarmerie ;
- l'obligation de présentation à la gendarmerie méconnaît le principe de liberté d'aller et venir ;
- elle est entachée d'erreur de fait, dès lors qu'elle ne s'est jamais soustraite à une mesure d'éloignement ;
- elle procède d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation, en ce qu'elle fait obstacle à ce qu'elle se présente avec son passeport, remis aux services de gendarmerie, lors de sa présentation en préfecture en vue de déposer sa demande de titre de séjour.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 janvier 2021, le préfet de l'Ain conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 juillet 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme H..., première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... épouse D..., ressortissante de République G... née le 28 avril 1992, a déclaré être entrée en France le 19 août 2018, accompagnée de son époux et de leurs deux enfants mineurs. Sa demande de protection a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 27 novembre 2018 puis par la Cour nationale du droit d'asile le 27 août 2019. Par un arrêté du 15 novembre 2019, le préfet de l'Ain lui a fait obligation de quitter le territoire français sur le fondement du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a fait obligation de se présenter une fois par semaine à la brigade de gendarmerie d'Ambérieu-en-Bugey. Par un arrêté du 9 décembre 2019, il a abrogé l'article 4 de sa précédente décision, le remplaçant par une obligation de présentation à la brigade de gendarmerie de Bourg-en-Bresse. Mme D... demande à la cour d'annuler le jugement du 9 avril 2020 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un tel moyen, d'apprécier si l'intéressé a été privé de cette garantie ou, à défaut, si cette irrégularité a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision.
3. Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme D... aurait été, à un moment de la procédure, informée de ce qu'elle était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ou mise à même de présenter des observations, la procédure de demande d'asile n'ayant pas une telle finalité. Dans ces conditions le préfet de l'Ain a entaché sa décision d'irrégularité.
4. Toutefois, si la requérante fait valoir qu'à la date de la décision en litige, elle entendait invoquer, au soutien de sa demande de titre de séjour, la situation de son époux, bénéficiaire d'une promesse d'embauche, et l'obtention du statut de réfugié en 2017 par ses beaux-parents et un de ses beaux-frères, désormais titulaires de cartes de résident, il ressort des pièces du dossier que ces circonstances n'ont pas été susceptibles d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision attaquée, dès lors que le préfet connaissait nécessairement la situation administrative de la famille de M. D..., résidant dans le même département, que l'époux de Mme D... n'a pas obtenu le bénéfice d'une protection, quelles que soient les mentions pouvant figurer à son sujet dans la décision de la Cour nationale du droit d'asile relative à la situation de ses parents et de son frère, et que la présentation d'une simple promesse d'embauche permettait à l'intéressé de prétendre non à la délivrance de plein droit d'un titre de séjour, qui aurait fait obstacle à son éloignement, et donc à celui de son épouse, mais à une admission exceptionnelle au séjour, qui ne présente pas les mêmes garanties. Ce moyen doit, par suite, être écarté.
5. En deuxième lieu, si la décision attaquée mentionne par erreur que Mme D... occuperait indûment un hébergement réservé aux demandeurs d'asile, alors que cette prise en charge avait cessé depuis un mois, il ressort des pièces du dossier que le préfet aurait pris la même décision, et aurait en particulier procédé à la même appréciation de la consistance de la vie privée et familiale de la requérante, s'il n'avait pas commis cette erreur. Ce moyen doit, par suite, être écarté.
6. En troisième lieu, contrairement à ce que soutient la requérante, la circonstance que la décision en litige soit intervenue le lendemain de la délivrance d'une convocation à un rendez-vous fixé au 2 décembre 2019, auprès des services préfectoraux, en vue de déposer une demande de titre de séjour ne suffit pas à révéler que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle au vu des éléments portés à sa connaissance.
7. En quatrième lieu, si Mme D... soutient avoir eu, du fait de la délivrance d'une convocation pour le 2 décembre 2020, l'espérance légitime de pouvoir déposer une demande de titre de séjour et fait valoir que la mesure d'éloignement litigieuse, intervenue le lendemain de la remise de cette convocation, aurait ainsi méconnu le principe de confiance légitime faisant partie des principes généraux du droit de l'Union européenne, ainsi que le principe de sécurité juridique, elle ne conteste pas avoir effectivement pu se rendre à sa convocation du 2 décembre 2020, ainsi que le soutient le préfet, dès lors que la mesure d'éloignement prise à l'encontre d'un étranger dont la demande d'asile a été rejetée, sur le fondement du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'a ni pour objet, ni pour effet, de faire obstacle au dépôt ultérieur par l'intéressé d'une demande d'admission au séjour sur un autre fondement. Par suite, la décision attaquée n'a, en tout état de cause, porté atteinte ni au principe de confiance légitime ni au principe de sécurité juridique.
8. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée Mme D..., son époux et leurs deux enfants de cinq ans n'étaient présents que depuis un peu plus d'un an en France, soit le temps de l'examen de leur demande d'asile. La seule production d'une promesse d'embauche de M. D... en qualité de maçon est insuffisante à justifier d'une intégration particulière durant ce bref délai, au cours duquel le mari de la requérante s'est en outre fait défavorablement connaître pour des faits de vol en réunion et par escalade, qu'il a reconnus lors de son audition par le service enquêteur. La présence régulière en France des beaux-parents et du beau-frère de la requérante ne suffit pas à placer en France le centre de ses attaches familiales, alors que la propre cellule familiale de l'intéressée était constituée avant le départ de sa belle-famille G..., qu'elle n'apporte aucun élément de nature à démontrer qu'elle-même et sa famille auraient été directement touchées par le conflit d'ordre privé ayant entraîné ce départ, et qu'elle a vécu l'essentiel de son existence en Albanie, pays dans lequel il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle serait dépourvue d'attaches privées ou familiales. Elle n'apporte pas davantage d'élément de nature à établir qu'elle aurait personnellement subi du fait de ses origines des discriminations susceptibles de faire obstacle à la poursuite d'une vie privée et familiale normale en Albanie. Dans ces conditions, la mesure d'éloignement contestée n'a pas porté au droit de Mme D... au respect de sa vie privée et familiale, garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Pour les mêmes motifs, elle ne procède pas davantage d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
9. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, doit être écarté.
Sur la légalité de l'obligation de présentation et de remise des documents d'identité :
10. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, doit être écarté.
11. En deuxième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 513-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger auquel un délai de départ volontaire a été accordé en application du II de l'article L. 511-1 peut, dès la notification de l'obligation de quitter le territoire français, être astreint à se présenter à l'autorité administrative ou aux services de police ou aux unités de gendarmerie pour y indiquer ses diligences dans la préparation de son départ ". Selon l'article R. 513-3 du même code : " L'autorité administrative désigne le service auprès duquel l'étranger doit effectuer les présentations prescrites et fixe leur fréquence qui ne peut excéder trois présentations par semaine ".
12. Contrairement à ce que soutient la requérante, en prévoyant une obligation de présentation par semaine aux services de gendarmerie, sur le fondement des dispositions législatives précitées dont la conformité à la Constitution ne fait pas l'objet d'un mémoire distinct, le préfet n'a pas commis d'erreur d'appréciation.
13. En troisième lieu, il ressort des termes de l'arrêté attaqué que le préfet de l'Ain ne s'est pas mépris sur la situation administrative de Mme D..., qui faisait l'objet de sa première mesure d'éloignement. Il s'ensuit que si l'obligation de présentation mentionne la nécessité d'éviter que l'intéressée ne se soustraie " derechef " à cette mesure d'éloignement, cette mention est constitutive d'une simple erreur de plume demeurée sans influence sur la légalité de la décision attaquée, que le préfet de l'Ain aurait de surcroît édictée même s'il n'avait pas commis cette erreur.
14. En dernier lieu, aux termes de l'article R. 513-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui bénéficie d'un délai de départ volontaire en application du II de l'article L. 511-1 ou du sixième alinéa de l'article L. 511-3-1 peut être tenu de remettre à l'autorité administrative qui lui a accordé ce délai l'original de son passeport ou de tout autre document d'identité ou de voyage en sa possession en échange d'un récépissé valant justification d'identité sur lequel est portée la mention du délai accordé pour son départ ".
15. Ainsi que l'a relevé à bon droit le premier juge, il résulte des dispositions précitées que la remise de son passeport par un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement s'accompagne de la délivrance d'un récépissé valant justification d'identité. Par suite, Mme D... n'est pas fondée à soutenir que la décision portant obligation de présentation aurait fait obstacle à ce qu'il puisse valablement justifier de son identité lors de sa présentation personnelle en préfecture en vue du dépôt de sa demande de titre de séjour. Le moyen tiré de l'erreur de droit et de l'erreur manifeste d'appréciation dont serait entachée cette décision ne peut, dès lors, qu'être écarté.
16. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction doivent être également rejetées.
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse au conseil de Mme E... épouse D... la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme E... épouse D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... épouse D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Ain.
Délibéré après l'audience du 4 février 2021, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme A..., présidente assesseure,
Mme H..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 février 2021.
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N° 20LY02384