Procédure devant la cour
Par une requête et des mémoires enregistrés les 21 septembre 2016, 14 décembre 2017 et 7 juin 2018, M. D...représenté par Me Tournu, avocat, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Dijon du 1er juillet 2016 ;
2°) de condamner la commune de Nevers à lui verser la somme globale de 378 564 euros en réparation des préjudices causés par l'illégalité des différentes autorisations d'urbanisme délivrées par le maire de la commune de Nevers ;
3°) d'assortir le prononcé des condamnations d'une astreinte de 300 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt ;
4°) de subroger la commune de Nevers dans les droits de M. D...dans les procédures envisagées devant les juridictions judiciaires ;
5°) de mettre à la charge de la commune de Nevers une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les illégalités fautives commises par la commune de Nevers sont en lien avec les nombreux préjudices qu'il a subis ;
- les préjudices dont il demande réparation sont constitués par : le surcoût d'achat incluant les frais financiers après neuf années (63 783 euros), les taxes foncières acquittées pendant cinq ans (1 750 euros), le coût des travaux inutiles et de leur financement après neuf années (135 366 euros), les frais d'architecte (5 000 euros), les frais de justice (4 035 euros), les pertes locatives sur vingt ans (72 900 euros), la perte estimée de plus-value à la revente (44 270 euros) et son préjudice B...(50 000 euros).
Par des mémoires en défense enregistrés les 9 mars 2017 et 1er mars 2018, la commune de Nevers, représentée par son maire en exercice, par Me Phelip, avocat, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de M. D...une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le requérant ne démontre pas le lien de causalité entre la prétendue faute de la commune et les préjudices qu'il invoque et qui résultent de son comportement fautif ;
- les sommes demandées ne sont justifiées ni dans leur principe, ni dans leurs montants.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de MmeF..., première conseillère,
- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public,
- et les observations de Me Tournu, représentant M. D..., et de Me Phelip, représentant la commune de Nevers.
Considérant ce qui suit :
1. Le 5 novembre 2010, M. D... a signé un acte de vente portant sur un garage situé au n° 28 de la rue Paul Vaillant Couturier à Nevers ainsi que deux appartements situés au n° 32 de la même rue. M. D...a présenté une déclaration préalable en vue de transformer ce garage en quatre appartements de type F2. Le 21 juin 2010, le maire de Nevers a pris un arrêté de non-opposition à travaux qui a été suspendu par le juge des référés du tribunal administratif de Dijon par une ordonnance du 17 mars 2011. En conséquence de cette ordonnance, le maire de Nevers a retiré cet arrêté le 20 mai 2011. M. D...a alors déposé un dossier de demande de permis de construire qui lui a été accordé par le maire de Nevers, le 8 août 2011. Par un jugement du 2 février 2012 (n° 1102120), le tribunal administratif de Dijon a annulé cet arrêté en raison de l'incompétence de son signataire. Sur appel de la commune de Nevers, la cour administrative d'appel de Lyon a, par un arrêt du 18 décembre 2012 (n° 12LY01030), confirmé le jugement attaqué en substituant au motif d'annulation initialement retenu par le tribunal celui tiré de la violation des dispositions du 3 de l'article UB 3 du plan d'occupation des sols de la commune de Nevers relatives à la desserte des constructions. Toutefois, dans l'intervalle, le maire de Nevers a délivré à M. D...un nouveau permis de construire le 9 juillet 2012, lequel a été annulé tant par le tribunal administratif de Dijon, par un jugement du 4 avril 2013 (n° 1201988), que par la cour administrative d'appel de Lyon, par un arrêt du 11 février 2014 (n° 13LY01301), en raison de la méconnaissance de l'article UB 3 du règlement du plan d'occupation des sols de la commune alors applicable. M. D...relève appel du jugement du 1er juillet 2016 par lequel le tribunal administratif de Dijon n'a que très partiellement fait droit à sa demande en condamnant seulement la commune de Nevers à l'indemniser des préjudices qu'il a ainsi subis à hauteur d'une somme globale de 4 035,20 euros et demande que cette somme soit portée à 354 975 euros.
Sur la responsabilité de la commune de Nevers :
2. En premier lieu, M. D...se prévaut de l'illégalité du " certificat d'urbanisme " du 27 avril 2012, au motif qu'il conclurait, de manière erronée, à la constructibilité de la parcelle AK 366 sur laquelle se situe le garage qu'il a acquis. Cependant, comme l'a jugé à bon droit le tribunal, ce document, s'il s'intitule " certificat d'urbanisme ", n'a pas été délivré sur le fondement de l'article L. 410-1 du code de l'urbanisme. Il s'agit en réalité d'une réponse du directeur départemental adjoint des services d'incendie et de secours de la Nièvre à une demande d'avis du maire de Nevers sur la défense incendie de l'habitation située au 28 rue Paul Vaillant. Le directeur départemental adjoint des services d'incendie et de secours s'y est limité à apprécier le respect par le projet des exigences des articles R. 111-4 et R. 111-3 du code de l'urbanisme. Il n'est pas allégué que cette appréciation serait erronée. Par suite, aucune illégalité n'entache cet avis du 27 avril 2012.
3. En deuxième lieu, M. D...se prévaut de l'illégalité de l'arrêté de non-opposition à déclaration préalable du 21 juin 2010. Le projet, qui portait sur un changement de destination et entraînait une modification de la façade, devait faire l'objet d'un permis de construire, en vertu du b de l'article R. 421-14 du code de l'urbanisme alors applicable. En outre, le projet ne respectait pas les règles fixées par l'article UB 3 du règlement du plan d'occupation des sols en vigueur en matière de desserte et le maire aurait donc dû s'opposer au projet en vertu de l'article L. 421-7 du code de l'urbanisme. Ainsi, en délivrant l'arrêté du 21 juin 2010 portant déclaration de travaux, le maire de Nevers a commis une illégalité fautive susceptible d'engager la responsabilité de la commune de Nevers.
4. En troisième lieu, M. D...se prévaut de l'illégalité des permis de construire qui lui ont été délivrés, à tort, les 8 août 2011 et 9 juillet 2012. La cour, par les deux arrêts susmentionnés des 18 décembre 2012 et 11 février 2014, devenus définitifs, a confirmé les annulations prononcées en première instance de ces deux permis de construire pour violation de l'article UB 3 du règlement du plan d'occupation des sols. Ces illégalités résultant de la délivrance de ces permis de construire sont fautives et de nature à engager la responsabilité de la commune de Nevers.
Sur les préjudices subis :
En ce qui concerne les préjudices relatifs à la valeur du bien immobilier, aux taxes foncières sur les propriétés bâties, aux travaux de transformation entrepris et au coût financier des emprunts souscrits pour l'achat du bien et la réalisation des travaux :
5. M. D...demande à être indemnisé de la différence résultant du prix qu'il a payé pour l'acquisition du garage qu'il entendait transformer en local à usage d'habitation et la valeur réelle de ce garage, ainsi que des frais financiers liés à ce surcoût. M. D...demande également le remboursement des taxes foncières qu'il a acquittées pendant cinq ans, soit 1 750 euros, ainsi que celui correspondant au montant des travaux réalisés dans son immeuble 28 rue Paul Vaillant Couturier et aux frais financiers liés à ces travaux.
6. En premier lieu, il est constant que la promesse de vente conclue le 19 avril 2010 était assortie " à la condition suspensive de la délivrance par l'autorité compétente de l'accord sur la déclaration préalable déposée autorisant à transformer le garage (...) en deux logements en duplex ou quatre logements de type F2 " et prévoyait que cette condition était " réputée réalisée par l'obtention de ladite autorisation, purgée de tout recours, au plus tard le 30 juin 2010 ". L'arrêté de non-opposition aux travaux délivré le 21 juin 2010, qui a fait l'objet d'un référé suspension et d'un recours au fond déposés devant le tribunal administratif de Dijon le 25 février 2011, n'était pas définitif à la date à laquelle M. D...a signé l'acte authentique d'acquisition du garage, le 5 novembre 2010, et lorsqu'il a entrepris des travaux au cours de l'hiver 2010-2011, faute pour le pétitionnaire de rapporter la preuve qui lui incombe de l'existence et de la régularité de l'affichage de l'autorisation d'urbanisme qui lui avait été accordée. Ainsi, en signant l'acte de vente et en réalisant des travaux sans attendre que l'autorisation ait acquis de manière certaine un caractère définitif, M. D... a délibérément renoncé au bénéfice de la condition suspensive de la promesse de vente. Il suit de là, que le préjudice dont il demande réparation a, en réalité, été causé par sa seule imprudence.
7. En second lieu, le préjudice relatif à des frais d'acquisition et de réalisation de travaux exposés antérieurement à la délivrance des permis de construire ne saurait procéder, par un lien de causalité directe, de l'illégalité fautive résultant de la délivrance ultérieure de ces autorisations d'urbanisme.
En ce qui concerne les frais d'architecte :
8. M. D...demande la prise en compte des frais d'architecte d'un montant de 5 000 euros exposés " en pure perte ". Toutefois, les illégalités affectant la délivrance des deux permis de construire sont dépourvues de tout lien avec ces frais, qui ont été exposés par M. D... avant la délivrance des deux permis de construire, et alors que ce dernier n'avait encore aucune assurance quant à la délivrance des permis sollicités. En outre, dès le 17 mars 2011, le juge des référés du tribunal administratif de Dijon avait relevé dans son ordonnance l'existence d'un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté de non-opposition aux travaux tant au regard de l'article UB 3 du règlement du plan d'occupation des sols que celles de l'article R. 111-5 du code de l'urbanisme.
En ce qui concerne les frais de justice :
9. Les frais de justice, s'ils ont été exposés en conséquence directe d'une faute de l'administration, sont susceptibles d'être pris en compte dans le préjudice résultant de l'illégalité fautive imputable à l'administration. Toutefois, lorsque l'intéressé a fait valoir devant le juge une demande fondée sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le préjudice est intégralement réparé par la décision que prend le juge sur ce fondement. Il n'en va autrement que dans le cas où le demandeur ne pouvait légalement bénéficier de ces dispositions.
10. Il résulte de l'instruction que dans l'instance contentieuse relative à la légalité du permis de construire délivré le 9 juillet 2012 par le maire de la commune de Nevers à M.D..., ce dernier a été condamné par la cour administrative d'appel de Lyon à verser la somme globale de 1 500 euros au Syndicat des copropriétaires de l'immeuble 28 rue Paul-Vaillant-Couturier, à M. et MmeC..., M. E...et MmeB.... Il justifie également avoir acquitté à son conseil deux notes d'honoraires pour des montants respectifs de 1 425,70 euros et 1 109,50 euros. Par suite, il y a lieu de porter la somme de 2 535, 20 euros allouée par le tribunal administratif de Dijon à 4 035,20 euros.
En ce qui concerne le préjudice B...:
11. M. D...demande au titre du préjudice B...subi une somme de 50 000 euros. Toutefois, les difficultés financières auxquelles il a dû faire face et son divorce sont sans lien direct avec les fautes commises par le maire de Nevers dans la délivrance d'autorisations de construire illégales. En revanche, les désagréments liés à cinq années de procédure et les incertitudes relatives à la faisabilité du projet ont généré pour l'intéressé un préjudice B...de nature à lui ouvrir droit à réparation. Eu égard aux illégalités répétées de la commune de Nevers, et, en dépit de l'imprudence fautive commise par M. D...en renonçant au bénéfice de la condition suspensive insérée dans le compromis de vente, il sera fait, dans les circonstances de l'espèce, une juste appréciation de son préjudice B...en l'évaluant à 1 500 euros.
12. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin, en tout état de cause, de statuer sur les conclusions à fin de subrogation et d'astreinte, que M. D...est seulement fondé à demander que l'indemnité que le tribunal administratif de Dijon a condamné la commune de Nevers à lui verser, soit portée à la somme de 5 535,20 euros.
Sur les frais de l'instance :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Nevers une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. D...et non compris dans les dépens.
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font en revanche obstacle à ce que soit mise à la charge de M.D..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la commune de Nevers à ce titre.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 4 035,20 euros que la commune de Nevers a été condamnée à verser à M. D...par le jugement du tribunal administratif de Dijon est portée à 5 535,20 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Dijon du 1er juillet 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La commune de Nevers versera à M. D...une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D...et les conclusions de la commune de Nevers tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D...et à la commune de Nevers.
Délibéré après l'audience du 8 novembre 2018 à laquelle siégeaient :
Mme Fischer-Hirtz, président de chambre,
M. Souteyrand, président-assesseur,
MmeF..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 6 décembre 2018.
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N° 16LY03208