Par une requête enregistrée le 20 janvier 2015, la SARL Jean Jaurès Immobilier, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 3 de ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 13 novembre 2014 qui rejette le surplus des conclusions de sa demande ;
2°) de lui accorder la décharge des impositions restant à sa charge et des pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'écart, de 3 euros par titre, entre la valeur vénale et la valeur d'acquisition des titres de la société Les Boscs n'est pas significatif, n'aboutissant qu'à une rectification de 960 euros ;
- il appartient à l'administration de justifier de l'application d'une surcote de 20 % sur la valeur des parts cédées par un tiers, alors qu'elle n'a pas contesté la valeur retenue pour cette cession ;
- si une intention libérale est présumée en cas de relation d'intérêt entre les parties, cette présomption n'est pas irréfragable ;
- les cessions litigieuses n'ont pas été faites dans l'intention de lui accorder une libéralité mais afin de lui permettre d'obtenir les fonds nécessaires au financement des activités des sociétés du groupe ;
- la méthode d'évaluation de titres non cotés ne peut résulter que d'une combinaison de valeurs, les réponses ministérielles aux députés Vasseur le 5 novembre 1990, n° 12409 et Balligand le 28 janvier 1991, n° 26720 écartant la possibilité de retenir une seule mesure, mathématique, de rendement ou de productivité ;
- la méthode retenue par l'administration est incomplète et viciée, l'administration ayant refusé de prendre en compte l'évaluation d'un terrain, sans procéder à une autre évaluation, et de tenir compte de l'absence de liquidité des titres.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 août 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les conclusions tendant à la décharge des impositions en litige sont irrecevables, la requérante n'ayant précisé le montant de l'impôt sur les sociétés dont elle demande la décharge ni dans sa réclamation, ni dans sa demande devant le tribunal administratif, ni dans sa requête ;
- le gérant de la SARL Le Belvédère, associé à 50 % de la SARL Jean Jaurès Immobilier, a reconnu que les titres avaient été cédés à des prix minorés, la libéralité correspondante ayant été imposée sur le fondement du c de l'article 111 du code général des impôts ;
- la libéralité concernant les titres de la SARL Le Monte Cristo a été évaluée à un montant de 253 615 euros correspondant à la différence entre les capitaux propres de l'entreprise et la valeur nominale des titres cédés, cette libéralité étant confirmée par le fait que la SARL Le Monte Cristo a bénéficié d'une distribution de 282 225 euros ;
- la libéralité concernant les titres de la société Les Boscs a été évaluée en retenant un prix d'acquisition de 19,20 euros, un tiers ayant cédé ses parts de cette société à un prix unitaire de 16 euros et une surcote de 20 % étant justifiée dans la mesure où cette acquisition permettait à la SARL Jean Jaurès Immobilier de bénéficier d'un pouvoir de décision lié à la détention de la majorité des parts ;
- l'existence d'une libéralité est présumée en cas d'écart significatif entre le prix et la valeur vénale lorsque les parties sont en relation d'intérêt ;
- la requérante n'établit pas que les cessions litigieuses visaient à obtenir de nouveaux financements ;
- la méthode d'évaluation retenue a été acceptée par le gérant de la SARL Le Belvédère, détenteur de 50 % des parts de la requérante ;
- un rapport établi plus de deux ans après la cession des parts de la société Le Monte Cristo ne saurait suffire à établir que les immobilisations comptabilisées au bilan de cette société avaient été surévaluées.
Par une ordonnance du 31 août 2016, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 octobre 2016.
En application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative l'instruction a été rouverte en ce qui concerne la réclamation préalable de la SARL Jean Jaurès Immobilier dont copie a été demandée à l'administration fiscale.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pourny, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Bourion, rapporteur public ;
1. Considérant que la SARL Jean Jaurès Immobilier, qui exerce une activité de lotisseur, de marchand de biens et de bureau d'études, détenait 90 % des parts de la SARL Le Belvédère ; que cette dernière, dont le gérant détenait 50 % des parts de la SARL Jean Jaurès Immobilier, détenait elle-même l'intégralité des parts de la SARL Le Monte Cristo et 60 % des parts de la SARL Les Boscs ; que la SARL Le Belvédère a cédé à la SARL Jean Jaurès Immobilier, en décembre 2007, à leurs valeurs nominales, l'ensemble des parts sociales de la SARL Le Monte Cristo, pour un prix total de 7 500 euros, et 60 % des parts de la SARL Les Boscs, pour un prix total de 4 800 euros ; qu'après avoir procédé à une vérification de la comptabilité de la SARL Jean Jaurès Immobilier l'administration fiscale a estimé que ces cessions étaient intervenues à des prix minorés et a rectifié le résultat déficitaire déclaré par la SARL Jean Jaurès Immobilier pour l'exercice clos le 30 avril 2008 du montant de la minoration de prix, évaluée à 254 575 euros, sur le fondement du 2 de l'article 38 du code général des impôts, en tant que minoration d'actif, et sur celui du c de l'article 111 du même code, en tant qu'avantage occulte constitutif d'une distribution ; que la SARL Jean Jaurès Immobilier a demandé au tribunal administratif de Lyon la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2008 et 2009 à la suite de ces rectifications ; que le tribunal administratif de Lyon a réduit son résultat imposable et prononcé la décharge des impositions correspondant à la rectification opérée sur le fondement du 2 de l'article 38 du code général des impôts, par les articles 1er et 2 de son jugement du 13 novembre 2014, et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande par l'article 3 du même jugement ; que la SARL Jean Jaurès Immobilier conteste l'article 3 de ce jugement ;
Sur la fin de non recevoir opposée par le ministre :
2. Considérant que si le ministre soutient que la requérante n'a jamais précisé le montant des impositions qu'elle conteste dans sa réclamation adressée à l'administration, sa demande devant le tribunal administratif ou sa requête susvisée, il résulte de la réclamation du 25 juin 2011 que cette dernière portait, comme la demande présentée au tribunal administratif, sur l'ensemble des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes auxquelles la requérante a été assujettie au titre des années 2008 et 2009 et que la requête porte sur l'ensemble des droits et pénalités restant en litige, évalués par le ministre à des montants non contestés de 32 260 euros de droits et 2 839 euros de pénalités au titre de l'année 2008 et 17 324 euros de droits et 693 euros de pénalités au titre de l'année 2009 ; que cette fin de non recevoir doit, par suite, être écartée ;
Sur le bien-fondé des impositions restant en litige :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués (...) c) les rémunérations et avantages occultes (...) " ; qu'en cas d'acquisition par une société à un prix que les parties ont délibérément majoré par rapport à la valeur vénale de l'objet de la transaction, ou, s'il s'agit d'une vente, délibérément minoré, sans que cet écart de prix comporte de contrepartie, l'avantage ainsi octroyé doit être requalifié comme une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d'une distribution de bénéfices au sens des dispositions précitées du c de l'article 111 du code général des impôts, alors même que l'opération est portée en comptabilité et y est assortie de toutes les justifications concernant son objet et l'identité du cocontractant, dès lors que cette comptabilisation ne révèle pas, par elle-même, la libéralité en cause ; que la preuve d'une telle distribution occulte doit être regardée comme apportée par l'administration lorsqu'elle établit l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé et, d'autre part, d'une intention, pour la société, d'octroyer, et, pour le cocontractant, de recevoir, une libéralité du fait des conditions de la cession, sans que cet avantage soit assorti d'une contrepartie ;
4. Considérant que la valeur vénale des titres d'une société non admis à la négociation sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue ; que l'évaluation des titres d'une telle société doit être effectuée, par priorité, par référence au prix d'autres transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires ; que, toutefois, en l'absence de transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires, l'administration peut légalement se fonder sur l'une des méthodes destinées à déterminer la valeur des titres ou sur la combinaison de plusieurs de ces méthodes ;
En ce qui concerne la rectification relative aux parts de la SARL Le Monte Cristo :
5. Considérant qu'après avoir relevé que la SARL Jean Jaurès Immobilier a bénéficié de la cession par sa filiale, la SARL Le Belvédère, à un prix global de 7 500 euros, de l'intégralité des parts sociales de la SARL Le Monte Cristo, alors que les capitaux propres de cette société s'élevaient encore à un montant de 261 115 euros, le vérificateur a estimé que la SARL Jean Jaurès Immobilier et sa filiale la SARL Le Belvédère avaient délibérément minoré le prix de cession de ces parts par rapport à leur valeur vénale ; que le vérificateur a évalué l'écart de prix constaté à un montant de 253 615 euros, correspondant à la différence entre les capitaux propres de la SARL Le Monte Cristo et le prix de cession des parts de cette société ; que cette évaluation a été confortée dans la réponse aux observations de la contribuable par l'indication que la SARL Le Monte Cristo a versé 282 225 euros de dividendes à la SARL Jean Jaurès Immobilier ;
6. Considérant qu'en l'absence d'autre transaction concernant les parts sociales de la SARL Le Monte Cristo ou une société comparable, l'administration fiscale a pu légalement se fonder, pour établir la valeur des parts de cette société, sur l'une des méthodes alternatives permettant d'évaluer la valeur réelle des parts sociales de la SARL Le Monte Cristo ; que si la requérante conteste le recours à la seule méthode mathématique, fondée sur le montant des capitaux propres de la SARL Le Monte Cristo, elle ne fait état d'aucune autre méthode aboutissant à une valeur inférieure, alors qu'il est constant qu'elle a perçu de la SARL Le Monte Cristo 282 225 euros de dividendes peu après l'acquisition des parts de cette société ; qu'enfin, elle ne saurait se prévaloir de réponses ministérielles, relatives à l'application de l'article 666 du code général des impôts, dont elle n'a, en tout état de cause, pas fait application ;
7. Considérant que la SARL Jean Jaurès Immobilier ne conteste pas sérieusement le montant des capitaux propres de la SARL Le Monte Cristo en faisant seulement état d'une évaluation concernant un terrain de cette dernière, dès lors que cette évaluation est postérieure de plus de deux ans à la cession des parts de cette société, et qu'elle ne justifie pas de la nécessité d'appliquer un abattement lié à l'étroitesse du marché pour la négociation de titres non cotés ; que l'administration fiscale doit, par suite, être regardée comme ayant établi l'existence d'une minoration de prix de 253 615 euros ;
8. Considérant que la SARL Jean Jaurès Immobilier soutient que la SARL Le Belvédère ne lui a pas cédé ses titres de la SARL Le Monte Cristo dans l'intention de lui accorder une libéralité, mais afin de lui permettre d'obtenir les crédits nécessaires au financement des activités de l'ensemble des sociétés du groupe auquel elles appartenaient ; que, toutefois, elle n'établit pas l'existence d'une telle contrepartie ; que, par suite, elle n'est pas fondée à contester la rectification concernant les titres de la SARL Le Monte Cristo :
En ce qui concerne la rectification relative aux parts de la SARL Les Boscs :
9. Considérant que l'administration fiscale a constaté que la SARL Le Belvédère a cédé à la SARL Jean Jaurès Immobilier trois cents parts de la SARL Les Boscs, représentant 60 % du capital de cette société, à un prix unitaire de 16 euros, correspondant à la valeur nominale de ces parts, alors que le montant des capitaux propres de cette dernière s'élevait à 40 241 euros et qu'un tiers avait cédé, au même prix de 16 euros, sa participation minoritaire dans cette société ; qu'eu égard au montant des capitaux propres de la SARL Les Boscs à la date de la cession et au caractère majoritaire de la participation que détenait la SARL Le Belvédère dans la SARL Les Boscs, l'administration fiscale a estimé qu'il fallait évaluer à 19,20 euros la valeur vénale unitaire des parts que détenait la SARL Le Belvédère dans la SARL Les Boscs ; qu'elle a, en conséquence, retenu que la SARL Jean Jaurès Immobilier avait bénéficié, de la part de sa filiale, la SARL Le Belvédère, d'une libéralité d'un montant de 960 euros et rectifié de ce montant le résultat imposable de la SARL Jean Jaurès Immobilier ; que, toutefois, le caractère majoritaire de la participation que détenait la SARL Le Belvédère et l'écart entre la valeur nominale des parts de la SARL Les Boscs et le montant de ses capitaux propres ne suffisent pas à démontrer l'existence d'un écart significatif entre la valeur vénale réelle des titres cédés et le prix de cession de ces titres ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'administration fiscale n'établit pas l'existence de la minoration de prix alléguée doit être retenu ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SARL Jean Jaurès Immobilier est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 3 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon lui a refusé une réduction des impositions restant en litige à hauteur de celle correspondant à la réduction de 960 euros du résultat imposable de son exercice clos le 30 avril 2008 ;
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
11. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme au profit de la SARL Jean Jaurès Immobilier au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le résultat imposable de l'exercice clos le 30 avril 2008 de la SARL Jean Jaurès Immobilier est réduit d'un montant de 960 euros.
Article 2 : La SARL Jean Jaurès Immobilier est déchargée des droits et pénalités correspondant à la réduction de sa base d'imposition décidée à l'article 1er ci-dessus.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 13 novembre 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la SARL Jean Jaurès Immobilier est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Jean Jaurès Immobilier et au ministre de l'économie et des finances.
Délibéré après l'audience du 23 mars 2017 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
M. Pourny, président-assesseur,
M. Savouré, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 13 avril 2017.
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N° 15LY00255